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Modèle du ver élastique

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Le modèle du ver élastique (ou modèle WCL) intervient en physique des polymères pour décrire le comportement des polymères semi-flexibles : c'est un modèle de molécule de raideur intermédiaire, dont les segments successifs pointent grossièrement dans une même direction, et dont la longueur de persistance approche est de quelques ordres de grandeur la longueur du polymère. C'est la version continue d'un modèle proposé par Otto Kratky et Günther Porod (1949).

Fondements du modèle[modifier | modifier le code]

Schématisation du modèle du ver, avec le vecteur position et la tangente unitaire.

Plus élaboré que le modèle de chaîne idéale, où la macromolécule est assimilé à un assemblage de barres rigides articulées les unes aux autres, le modèle du ver considère la considère comme une verge élastique isotrope[1],[2],[3].

Ce modèle est particulièrement adapté à la description des polymères durs, dont les segments successifs manifestent une forme de comportement collectif, par lequel les segments voisins tendent à s'aligner. À température ambiante, le polymère affecte une courbure , qui devient nulle à K, pour former un bâtonnet rigide[1].

Pour un polymère de longueur maximum , paramétrons la ligne moyenne de la macromolécule par . Soit le vecteur tangent unitaire à la chaîne au point , et le vecteur position le long de la chaîne, comme sur le schéma ci-contre. Comme , la distance entre les deux extrémités de la macromolécule est

[1].

L'énergie de déformation du polymère s'écrit :

est la longueur de persistance caractéristique du polymère, la constante de Boltzmann, et la température absolue. Aux températures élevées, la distance entre les deux extrémités de la macromolécule sera nettement inférieure à la longueur maximum . Les fluctuations thermiques, en effet, favorisent son enroulement en hélice.

Il est ainsi possible de calculer la fonction de répartition d’orientation du polymère ; on trouve qu'elle suit une décroissance exponentielle de constante 1/P[1],[3] :

Moyenne quadratique de la distance entre extrémités d'un brin de polymère en fonction de la longueur de persistance.

Voici une expression utile donnant la moyenne quadratique de la distance entre extrémités d'un brin de polymère[1],[3] :

Observez que lorsque , . Cela permet de montrer que dans le modèle du ver des macromolécules, la longueur de Kuhn est égale au double de la longueur de persistance. Quand , , et le polymère affecte le comportement d'un bâtonnet rigide[2]. La figure ci-contre montre la rigidification lorsque la longueur de persistance augmente.

Comparaison entre le modèle du ver et les données expérimentales obtenues pour le déploiement de l' ADN-λ[4].

Portée pour la Biologie[modifier | modifier le code]

Les données expérimentales tirées du dépliage de l'ADN des Phage lambda, où les forces ont été calculées à partir des fluctuations browniennes d'une bille attachée à l'ADN, sont données ci-contre. Le modèle, représenté par la ligne continue[4], est calé avec une longueur de persistance de 51,35 nm et un contour de 1 560,9 nm.

Parmi les macromolécules modélisables par ce procédé, et qui sont importantes en biologie, citons :

  • ADN complet (longueur de persistance de 40-50 nm) and ARN (longueur de persistance de 64 nm)[3],[5]
  • simple brin d'ADN (longueur de persistance de 4 nm)[6]
  • ARN non structuré (longueur de persistance de 2 nm)[7]
  • protéines non structurées (longueur de persistance de 0,6-0,7 nm)[8]
  • microtubules (longueur de persistance de 0,52 cm) [9]
  • Phage filamenteux[10]

Déformation des molécules vermiformes[modifier | modifier le code]

À mesure qu'on redresse le polymère, le spectre accessible des fluctuations thermiques s'amoindrit, et une force entropique s'oppose à tout effort externe tendant à redresser le polymère. On peut estimer cette force modératrice à partir de l'énergie mécanique totale du polymère :

.

Ici, le périmètre est noté , la longueur de persistance par, l'allongement par , et la force externe par .

On voit que la molécule présente un comportement élastique non linéaire. On s'est servi d'équipements de laboratoires variés, de la microscopie à force atomique (AFM) aux pinces optiques, pour tenter de caractériser l'élasticité des tissus biologiques. La formule d'interpolation suivante[11] l'approche à 15% près :

Voici une approximation plus précise (erreur relative d'environ 0.01%) de la loi force-allongement[4] :

,

avec , , , , , .

Voici deux approximations de la loi force-allongement plus simples[12], précises à 1% :

Élasticité et modèle du ver[modifier | modifier le code]

On ne peut négliger la force de rappel en configuration déformée : les polymères ne se redressent que sous l'action de forces externes. On tient compte de cette compliance en faisant intervenir un paramètre matériel dans l'hamiltonien du système. Pour les macromolécules très déformées, l'hamiltonien est donné par :

On retrouve dans cette expression le terme entropique décrivant le changement de forme de la molécule, et un terme « enthalpique », qui décrit la déformation du polymère sous l'action d'une force externe. Plusieurs approximations ont été proposées pour la loi de comportement force-déformation décrivant le redressement de l'ADN en conditions physiologiques (pH quasi-neutre, force ionique d'environ 100 mM, température ambiante), avec des forces de l'ordre de 1 000 pN[13],[14].

Aux faibles sollicitations (F < 10 pN), on a obtenu[15] la formule interpolée suivante:

.

Aux fortes déformations, l'approximation suivante est valide[16] :

.

Au voisinage de l'état non déformé, une formule très précise[4] :

,

avec . Les coefficients sont les mêmes que ceux du paragraphe précédent.

Voici deux formules simplifiées donnant l'allongement en fonction de la force, et vice-versa[12] :

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e (en) M. Doi et S.F. Edwards, The Theory of Polymer Dynamics, Oxford University Press, , 408 p. (ISBN 0198519761)
  2. a et b (en) Rubinstein et Ralph H. Colby, Polymer Physics, Oxford University Press, , 454 pages (ISBN 019852059X)
  3. a b c et d B.J. Kirby, Micro- and Nanoscale Fluid Mechanics: Transport in Microfluidic Devices (lire en ligne)
  4. a b c et d C. Bouchiat, « Estimating the Persistence Length of a Worm-Like Chain Molecule from Force-Extension Measurements », Biophysical Journal, vol. 76, no 1,‎ , p. 409–413 (PMID 9876152, PMCID 1302529, DOI 10.1016/S0006-3495(99)77207-3 Accès libre, Bibcode 1999BpJ....76..409B)
  5. J. A. Abels, F. Moreno-Herrero, T. van der Heijden, C. Dekker et N. H. Dekker, « Single-Molecule Measurements of the Persistence Length of Double-Stranded RNA », Biophysical Journal, vol. 88, no 4,‎ , p. 2737–2744 (PMID 15653727, PMCID 1305369, DOI 10.1529/biophysj.104.052811, Bibcode 2005BpJ....88.2737A)
  6. Tinland Bernard, « Persistence Length of Single-Stranded DNA », Macromolecules, vol. 30, no 19,‎ , p. 5763 (DOI 10.1021/ma970381+, Bibcode 1997MaMol..30.5763T)
  7. Huimin Chen et Steve P. Meisburger, « Ionic strength-dependent persistence lengths of single-stranded RNA and DNA », PNAS, vol. 109, no 3,‎ , p. 799–804 (PMID 22203973, PMCID 3271905, DOI 10.1073/pnas.1119057109 Accès libre, Bibcode 2012PNAS..109..799C)
  8. L. J. Lapidus and P. J. Steinbach and W. A. Eaton and A. Szabo and J. Hofrichter, « Single-Molecule Effects of Chain Stiffness on the Dynamics of Loop Formation in Polypeptides. Appendix: Testing a 1-Dimensional Diffusion Model for Peptide Dynamics », Journal of Physical Chemistry B, vol. 106,‎ , p. 11628–11640 (DOI 10.1021/jp020829v)
  9. F. Gittes, « Flexural rigidity of microtubules and actin filaments measured from thermal fluctuations in shape », Journal of Cell Biology, vol. 120, no 4,‎ , p. 923–934 (PMID 8432732, PMCID 2200075, DOI 10.1083/jcb.120.4.923)
  10. (en) A. S. Khalil, J. M. Ferrer, R. R. Brau, S. T. Kottmann, C. J. Noren, M. J. Lang et A. M. Belcher, « Single M13 bacteriophage tethering and stretching », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 104, no 12,‎ , p. 4892–4897 (ISSN 0027-8424, PMID 17360403, PMCID 1829235, DOI 10.1073/pnas.0605727104 Accès libre)
  11. J.F. Marko et E.D. Siggia, « Statistical mechanics of supercoiled DNA », Physical Review E, vol. 52, no 3,‎ , p. 2912–2938 (PMID 9963738, DOI 10.1103/PhysRevE.52.2912, Bibcode 1995PhRvE..52.2912M)
  12. a et b R. Petrosyan, « Improved approximations for some polymer extension models », Rehol Acta, vol. 56,‎ , p. 21–26 (DOI 10.1007/s00397-016-0977-9, arXiv 1606.02519, S2CID 100350117)
  13. Michelle D. Wang, Hong Yin, Robert Landick, Jeff Gelles et Steven M. Block, « Stretching DNA with Optical Tweezers », Biophysical Journal, vol. 72, no 3,‎ , p. 1335–1346 (PMID 9138579, PMCID 1184516, DOI 10.1016/S0006-3495(97)78780-0, Bibcode 1997BpJ....72.1335W)
  14. Divakaran Murugesapillaï, Micah J. McCauley, L. James Maher et Mark C. Williams, « Single-molecule studies of high-mobility group B architectural DNA bending proteins », Biophysical Reviews, vol. 9, no 1,‎ , p. 17–40 (PMID 28303166, PMCID 5331113, DOI 10.1007/s12551-016-0236-4)
  15. J.F. Marko et Eric D. Siggia, « Stretching DNA », Macromolecules, vol. 28, no 26,‎ , p. 8759–8770 (DOI 10.1021/ma00130a008, Bibcode 1995MaMol..28.8759M)
  16. Theo Odijk, « Stiff Chains and Filaments under Tension », Macromolecules, vol. 28, no 20,‎ , p. 7016–7018 (DOI 10.1021/ma00124a044, Bibcode 1995MaMol..28.7016O, lire en ligne)

Bibliographie[modifier | modifier le code]