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Les Naufragés tongiens de l'île ʻAta

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ʻAta
Image du programme Landsat .
Image du programme Landsat .
Géographie
Pays Drapeau des Tonga Tonga
Archipel Tonga
Localisation Océan Pacifique
Superficie 2,3 km2
Point culminant 355
Géologie Île volcanique
Administration
Démographie
Population Aucun habitant
Autres informations
Fuseau horaire UTC+13:00
Île aux Tonga


Les naufragés tongiens de l'île ʻAta étaient un groupe de six adolescents tongiens qui ont survécu pendant 15 mois de 1965 à 1966 après que leur bateau a dérivé vers l'île déserte d'ʻAta au sud des Tonga. Leur histoire remarquable de survie et de coopération a été comparée au roman "Sa Majesté des Mouches" de William Golding, mais avec une fin bien plus positive et édifiante[1],[2].

Histoire[modifier | modifier le code]

En juin 1965, six garçons âgés de 13 à 16 ans - Sione Fataua, Fatai Stephen, Kolo Fekitoa, David Fifita, Luke Veikoso et Mano Totau - se sont enfuis du pensionnat catholique strict St Andrew's à Nukuʻalofa, la capitale du royaume des Tonga. Lassés de la discipline scolaire et de la mauvaise nourriture, ils ont "emprunté" un bateau de pêche en bois de 7 mètres appartenant à un homme nommé Taniela Uhila[2]. Leur plan était de naviguer jusqu'aux Fidji ou même jusqu'en Nouvelle-Zélande pour commencer une nouvelle vie[3],[1].

Cependant, les garçons n'avaient aucune expérience de la navigation hauturière. Ils n'avaient emporté ni cartes, ni boussole, ni provisions suffisantes pour un long voyage. Leur première nuit en mer, alors qu'ils dormaient, leur petit bateau a été pris dans une violente tempête qui a détruit le gouvernail et déchiré les voiles. Pendant les huit jours suivants, ils ont dérivé sans but, luttant contre la faim et la soif sous un soleil brûlant. Ils ont attrapé et partagé quelques poissons crus et ont récupéré un peu d'eau de pluie, mais ils étaient proche de succomber à la déshydratation lorsque le huitième jour, ils ont enfin aperçu l'île rocheuse d'Ata à l'horizon[1].

Autrefois peuplée, l'île d'Ata avait été abandonnée plus d'un siècle auparavant lorsque ses derniers habitants tongiens avaient fui les marchands d'esclaves péruviens. Malgré leur épuisement, les garçons ont réussi à manœuvrer leur bateau en perdition vers le rivage et à se mettre en sécurité sur les rochers escarpés. Au début, ils se sont nourris de poissons attrapés à mains nues, d'œufs d'oiseaux de mer et de noix de coco, et ont bu l'eau de pluie recueillie dans des coquilles de noix de coco. Après trois mois difficiles passés à explorer chaque recoin de l'île, ils ont fait une découverte qui a changé la donne : les vestiges abandonnés d'un ancien village tongien du XIXe siècle appelé Kolomaile. Là, ils ont trouvé des plants de taro sauvage, des bananiers et même des poulets retournés à l'état sauvage, descendants des volailles laissées par les anciens insulaires[1].

Survie[modifier | modifier le code]

Malgré leur jeune âge et le fait qu'ils venaient de différentes îles des Tonga, les garçons se sont rapidement organisés pour survivre ensemble. Tirant parti de leurs connaissances pratiques et de leur sens de la discipline, ils ont établi un système sophistiqué de travail d'équipe et de partage des tâches[2]. Ils ont construit un abri solide avec des rondins et des feuilles de palmier tressées. Ils ont allumé un feu par friction et l'ont entretenu en permanence pendant les 15 mois, à la fois pour la cuisine, la chaleur et comme signal potentiel de sauvetage.

Conscients que l'oisiveté pouvait mener à la dépression et aux conflits, les garçons ont maintenu une routine quotidienne stricte[2]. Ils se sont répartis en équipes de deux, se relayant pour les tâches de jardinage, de cuisine et de guet.

Ils ont défriché et planté un jardin avec des tubercules de taro sauvage. Ils ont piégé les poulets sauvages et récolté leurs œufs. Ils ont pêché avec des hameçons fabriqués à partir de clous et des lances en bois. Aux grandes marées, ils ont récolté des poissons et des langoustes piégées dans les bassins rocheux[4].

Les garçons ont également pris soin de leur bien-être physique et mental. Ils ont construit un "gymnase" avec des haltères fabriquées à partir de bidons remplis de sable et un terrain de badminton avec un filet en feuilles de palmier tressées. Kolo, le plus âgé et le plus habile, a même fabriqué une guitare fonctionnelle à partir de débris métalliques et d'une demi-coque de noix de coco. Le soir, autour du feu, ils chantaient, priaient et racontaient des histoires pour garder espoir[3].

Bien sûr, la vie en groupe confiné n'était pas toujours facile et il y avait parfois des disputes[5]. Mais les garçons avaient un système pour désamorcer les tensions : le fautif devait aller se calmer seul de l'autre côté de l'île avant de revenir présenter des excuses. Le groupe se réunissait alors pour discuter calmement et trouver une solution. C'est cette combinaison de créativité, de compassion et de coopération qui leur a permis de survivre dans des conditions extrêmes tout en préservant leur humanité et leur fraternité[5].

Sauvetage[modifier | modifier le code]

Le 11 septembre 1966, après 15 longs mois passés sur ʻAta, les garçons ont finalement été secourus par hasard. Ce jour-là, un bateau de pêche australien, le Just David, naviguait dans les eaux tonganes éloignées. Le capitaine Peter Warner, 40 ans, cherchait de nouveaux lieux de pêche au crabe et a été intrigué en apercevant de la fumée sur l'île d'Ata, réputée déserte. En s'approchant du rivage, son équipage a soudain entendu des cris. À leur grande surprise, ils ont vu des silhouettes sauter des falaises dans les vagues et nager vers leur bateau[6].

Ce n'est que lorsque le premier garçon, Stephen, a grimpé à bord que Warner a compris qu'il ne s'agissait pas d'une tribu isolée mais de jeunes naufragés. En anglais parfait, Stephen s'est présenté et a expliqué que lui et ses amis étaient bloqués là depuis plus d'un an[5]. Abasourdis mais ravis, les six garçons ont été hissés à bord, vêtus de fortune et avec de longues chevelures[2]. Par radio, Warner a contacté Nukuʻalofa et a appris que les familles des garçons les avaient depuis longtemps présumés morts. Des funérailles avaient même été organisées. Leur survie tenait du miracle[4].

Cependant, de retour au port, la joie des retrouvailles a été de courte durée. Furieux du vol initial de son bateau, Taniela Uhila a fait arrêter et emprisonner les garçons. La population était divisée entre ceux qui réclamaient la clémence et ceux qui voulaient punir les jeunes "délinquants". Heureusement, Peter Warner a rapidement compris la valeur médiatique de leur histoire[6]. Il a convaincu une chaîne de télévision australienne d'acheter les droits exclusifs pour 12 000 dollars. Avec cette somme, il a remboursé Uhila pour le bateau et obtenu la libération des garçons. Il les a ensuite embauchés sur son propre bateau de pêche, réalisant ainsi leur rêve initial de voir le monde au-delà des Tonga[5],[4],[6].

Héritage[modifier | modifier le code]

Bien que remarquable, la véritable histoire de survie des six adolescents tongiens a longtemps été éclipsée dans la culture populaire par la sombre fiction Sa Majesté des mouches de William Golding[4]. Ce n'est que récemment, grâce au livre de 2020 Humankind: A Hopeful History de l'auteur néerlandais Rutger Bregman, qu'elle a été redécouverte par le grand public international[1],[3].

Aujourd'hui âgés de plus de 70 ans, les vrais « naufragés de Tonga » mènent des vies simples entre les Tonga et l'Australie. Malgré la distance, ils sont restés très proches les uns des autres et de Peter Warner au fil des années. Ils attribuent leur survie non pas à la chance mais à leur foi, leur ingéniosité et les valeurs d'entraide qu'ils ont apprises dans leurs familles[2]. Pour Sione Filipe Totau, leur histoire porte un message d'espoir intemporel : « Si les gens d'aujourd'hui avaient la mentalité des “six naufragés tongiens” - si nous nous entraidions tous, n'étions pas avides, prenions soin les uns des autres - nous pourrions tous survivre à ce qui se passe dans le monde. »[3]

Au-delà de l'exploit physique, l'héritage durable des naufragés de Tonga est peut-être leur triomphe de l'esprit humain. Confrontés à des circonstances extrêmes, ces six garçons ont choisi la voie de la compassion, de la coopération et de l'espoir, prouvant que même dans les situations les plus désespérées, nous avons en nous la capacité de préserver le meilleur de notre humanité[2].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e https://www.leparisien.fr/faits-divers/ils-etaient-consideres-comme-morts-lextraordinaire-survie-des-enfants-naufrages-de-lile-data-18-06-2023-J3K2FOKXPRCSTOEUPBCNVHRDCA.php/
  2. a b c d e f et g « Les 6 petits naufragés de l’île perdue », sur lenouveaudetective.com (consulté le ).
  3. a b c et d https://www.desertislandsurvival.com/tonga-castaways/
  4. a b c et d (en) Rutger Bregman, « The real Lord of the Flies: what happened when six boys were shipwrecked for 15 months », The Guardian,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. a b c et d https://www.nebeep.com/the-story-of-the-tongan-castaways/
  6. a b et c « J’ai passé 15 mois sur une île déserte après un naufrage », sur vice.com (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]