Histoire des concepts

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L’histoire des concepts est un courant historiographique qui donne son intérêt au contexte historique de signification des concepts liés au monde sociopolitique. Cependant, l’histoire des concepts ne les réduit pas à des simples considérations lexicologiques puisque ces concepts sont abordés à travers de nombreuses relations sémantiques et donc également, à travers des interactions sociales liées au langage.

Pour simplifier, l’histoire des concepts donne de l’importance aux usages d’une langue dans un cadre qui lui est propre et dans lequel des concepts se développent par le biais des auteurs, des acteurs et des orateurs propres à ce cadre[1].

Origine et notion de l’histoire conceptuelle[modifier | modifier le code]

L’histoire des concepts est un courant historiographique qui émerge à la fin des années 1960. Il se veut comme étant en rupture avec l’histoire des idées[2]. C’est ainsi qu’il est associé au « tournant linguistique » et va principalement se développer dans le monde germanique et anglophone[3]. Il a comme objectif « d'analyser l'évolution et les usages des concepts dans tous les domaines concernés par le matériel langagier ». Tout en essayant de savoir ce que veut dire agir dans les sociétés passées et présentes[4].

Ce qui veut dire que l’histoire des concepts a pour mission principale de faire comprendre aux historiens que le langage et la réalité historique sont indissociables. En effet, pour reconstruire le passé, il est fondamental de reconstruire le langage afin de rendre possible une expérience intelligible, ce qui n’est possible que si on connait les concepts. Par conséquent, l’histoire des concepts a comme principe que ce sont les concepts, et non les institutions ou encore les données sensorielles, qui sont la base de la connaissance. Il est donc nécessaire d’utiliser les concepts pour comprendre le passé tel qu’il était[5].

Aperçu sur l’histoire des concepts[modifier | modifier le code]

L’histoire des concepts comporte deux courant principaux, celui de l’histoire sémantique représenté par Reinhart Koselleck et celui de l’histoire du discours représenté par John Greville, Agard Pocock et Quentin Skinner[6].

L’histoire sémantique de Reinhart Koselleck[modifier | modifier le code]

L’histoire sémantique est le premier courant de l’histoire des concepts et se développe, en Allemagne, sous la direction de Reinhart Koselleck et de Begriffsgeschichte[7]. C’est un courant qui se développe en lien avec des traditions allemandes de la philologie, de l’histoire de la philosophie et l’herméneutique, de l’histoire du droit et de l’historiographie[8],[9].

Reinhart Koselleck a développé une méthode spécifique constituant la sémantique de l’histoire des concepts par un travail sur la temporalisation des concepts qui est au centre de sa sémantique de l’histoire. La temporalisation concerne les concepts qui thématisent le temps mais également les concepts socio-politiques énonçant une volonté et la possibilité d’un changement tels que « progrès » et « émancipation », « concepts à venir » déterminant une valeur d’orientation du mouvement historique lorsque l’espace temporel entre le contenu d’expérience et l’horizon d’attente est le plus grand[1] .

La conception du temps historique de Koselleck se déploie en effet à travers ce couple de concepts que forment le champ d’expérience et l’horizon d’attente[10]. Par eux, Reinhart Koselleck tente d’énoncer le simple constat qu'« il n’y a pas d’histoire qui n’ai été constituée par les expériences vécues et les attentes des hommes agissants et souffrants »[11]. Les notions d’expérience et d’attente servent ainsi à Koselleck pour thématiser le temps historique car elles lient le passé et le futur. De plus, elles sont capables de théoriser le temps historique à travers le domaine empirique de recherche puisqu’elles permettent d’orienter les actions concrètes dans la réalisation du mouvement social et politique. Ces deux catégories sont essentielles pour comprendre l’histoire sémantique dans sa globalité[12]. Les concepts possèdent une expérience et une attente car ils détiennent une relation au langage qui leur est spécifique et qui influe sur chaque situation et évènement sur lesquelles ils réagissent[13].

Par conséquent, on se focalise sur une histoire pragmatique et culturelle des concepts tout en les liant avec leurs sources iconographiques.  De ce fait, les concepts ne sont pas abordés seulement dans leurs aspects discursifs mais également dans leurs dimensions corporelles et donc avec leurs poids émotionnels qui nous sont donné à partir des sources visuelles. Il n’est pas question d’établir une sémiologie du concept mais d’appréhender la vision des contemporains basée sur leur conscience collective grâce à la combinaison d’éléments verbaux et iconiques. L’histoire sémantique se concentre sur la question de la pertinence du choix du « format lexical »[14].

L’histoire du discours « L’école de Cambridge »[modifier | modifier le code]

Ce deuxième courant de l’histoire des concepts s’articule autour de John Greville, Agard Pocock et Quentin Skinner.  Dans ce cas-ci, l’histoire des concepts est centrée sur une histoire du discours basé sur un langage politique qui s’intéresse principalement aux grands textes.

Ce courant de l’histoire des concepts énonce que les auteurs vont au-delà d’une simple conceptualisation établie dans une situation spécifique, lorsqu’il écrit, il accapare ainsi le contexte par le biais de leur mouvement argumentatif à travers leurs actes de langages. Par conséquent, ils agissent et donc énoncent quelque chose au sens performatif du dire.

C’est à travers cela que Quentin Skinner se distingue de l’histoire des idées puisqu’il s’intéresse à l’histoire des concepts dans son contexte d’action linguistique qui peut être définie comme : « le moment où le potentiel normatif des concepts est pris dans l’action politique »[15]. C’est ainsi qu’on prend en compte l’aspect argumentatif des concepts comme étant des actes de langage. Quentin Skinner tente de comprendre le sens d’un texte à travers une reconstitution précise du contexte, à la fois celui du débat mais aussi celui des conventions linguistiques dans lesquelles gravite un texte[16].

Approche supplémentaire[modifier | modifier le code]

On peut citer les approches hollandaises et finlandaises sur l’histoire des concepts qui sont liées à des projets nationaux. En effet, dans le cas de la Hollande, il travaille sur la propagation du langage national, dans les Pays-Bas, sous le prisme des mouvements conceptuels[16].

Apport de l’histoire des concepts[modifier | modifier le code]

De manière globale, l’histoire des concepts, en termes d’historiographie, a permis un élargissement des manières de se questionner au sein de l’histoire sociale. A travers l’histoire des concepts mais également les notions de champ d’expérience et d’horizon d’attente de la période qu’on étudie, on arrive à déceler les fonctions politiques et sociales des concepts et leurs usages particuliers, ce qui nous permet d’obtenir une vision globale et temporelle du sujet étudié.  Reinhart Koselleck considère que l’histoire des concepts appartient à l’histoire sociale mais en étant comme une sous partie autonome en termes de méthodologie qui permet d’élargir les champs de l’histoire sociale[12].

En ce qui concerne l’histoire sémantique, elle a permis d’exposer la formation historique de l’identité sociale et nationale. De plus, elle permet d’étudier la formation de l’identité moderne par le biais de métaphysique des « sources du moi »[17]. Ensuite, l’histoire des concepts s’adapte dans la recherche anthropologique puisqu’il est nécessaire d’aborder une approche conceptuelle de la rationalité du jugement pour s’interroger sur les fondements cognitifs et moraux de l’individuation pratique. Plus généralement, l’histoire des concepts permet de développer des projets de recherche nationaux. C’est ainsi que, dans le cas de la France, elle a permis d’apporter de nouveaux angles de recherche sur la question de la Révolution française mais aussi sur la question du souverain et de la souveraineté[18].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Jacques Guilhaimon 2000, p. 108.
  2. Jacques Guilhaimon 2001.
  3. Jacques Guilhaimon 2000, p. 105.
  4. François Dosse 2003, p. 227.
  5. Timothy Goering 2013.
  6. Melvin Richter 1995.
  7. Jacques Guilhaimon 2000, p. 107.
  8. Richter Melvin, « Begriffsgeschichte and the History of Ideas », dans Journal of the History of Ideas, vol.48 -n°2, 1987, p. 248.
  9. Werner Michael, « Les Mots de l’histoire et la Begriffsgeschichte / sémantique historique », dans Revue de l’IFHA, n°4, 2012, p. 187-194.
  10. Bertrand, Crivello et Guillon 2014, p. 27-36.
  11. Reinhart Koselleck 1990, p. 308.
  12. a et b Reinhart Koselleck 1990, p. 308-311.
  13. Delacroix, Dosse et Garcia 2009, p. 115-121.
  14. Jacques Guilhaimon 2000, p. 109.
  15. Jacques Guilhaimon 2000, p. 110.
  16. a et b Jacques Guilhaimon 2000, p. 111.
  17. Charles Taylor 1998.
  18. Jacques Guilhaimon 2000, p. 117-118.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Régis Bertrand, Maryline Crivello et Jean-Marie Guillon (dir.), Les historiens et l'avenir. Comment les hommes du passé imaginaient leur futur. Mélanges offerts à Bernard Cousin, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Le Temps de l’Histoire », (EAN 9782853999441, lire en ligne)
  • Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia (dir.), Historicité, Paris, La Découverte, coll. « Armillaire », (ISBN 9782707156792)
  • François Dosse (dir), La marche des idées. Histoire des intellectuels, Paris, La Découverte, coll. « Armillaire », (ISBN 9782707137814)
  • (en) Timothy Goering, « Concepts, History and the Game of Giving and Asking for Reasons: A Defense of Conceptual History », Journal of the Philosophy of History, vol. 7, no 3,‎ , p. 426-452
  • Jacques Guilhaimon, « De l’histoire des concepts à l’histoire linguistique des usages conceptuels », Genèses, vol. 38, no 1,‎ , p. 105-118 (DOI 10.3917/gen.038.0105, lire en ligne)
  • Jacques Guilhaimon, « L'histoire des concepts : le contexte historique en débat (note critique) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 56, no 3,‎ , p. 685-698 (lire en ligne)
  • (de) Reinhart Koselleck (ed.), Historische Semantik und Begriffsgeschichte, Stuttgart, Klett-Cotta,
  • Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, École des Hautes études en Sciences Sociales, (ISBN 978-2-7132-2533-8)
  • (en) Melvin Richter, The History of Political and Social Concepts, New York et Oxford, Presse universitaire d’Oxford, (ISBN 9780195088267)
  • Charles Taylor, Les sources du moi. La formation de l’identité moderne, Paris, Seuil, (EAN 9782020207126) (éd. orig., (en) Sources of the Self : the Making of the modern Identity, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, )