Dégraissant (poterie)

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le dégraissant (en anglais temper) est un matériau naturellement présent dans l'argile ou ajouté à celle-ci, lors de la préparation de la pâte avant le façonnage et la cuisson des poteries.

Cette technique sert aussi dans le bâti en terre : briques crues ou cuites, torchis, pisés, enduits et mortiers. Dans ces cas, son but est d'augmenter la cohésion et la résistance du matériau.

En poterie, il a deux utilités :

  • Il sert à équilibrer la composition de la pâte afin qu'elle ne soit pas trop « grasse », c'est-à-dire trop collante, lors du façonnage des pièces.
  • Il sert à diminuer la dilatation de l'argile lors d'une élévation brusque de température ; il évite ainsi que la pâte ne se craquèle lors de la cuisson (passage du « point quartz »), mais aussi quand elle est placée dans un four domestique si elle est utilisée pour cuire des aliments. Il permet donc la cohésion de la structure lors du séchage et de la cuisson, et donne une « ossature » aux terres trop fines. Selon sa nature, il affecte aussi les propriétés et les qualités des pots réalisés : résistance au feu, résistance aux chocs, imperméabilité, etc.

Les « terres franches »[modifier | modifier le code]

En poterie, une « terre franche » est une argile dont la préparation ne nécessite aucun lavage (donc aucun ressuage ou affermissement pour ramener l’argile à la consistance nécessaire pour le modelage), ni aucun ajout de dégraissant (par exemple du sable ou du quartz pour les céramiques grossières ou semi-fines[1])[2]. L'expression a donné son nom à l'atelier de poterie antique de Terre-Franche (près de Vichy dans l'Allier) pour la qualité de l'argile présent sur le site.

Les brusques changements de température[modifier | modifier le code]

L'argile est naturellement une roche plastique feuilletée : sa micro-structure est disposée en « feuilles » ou couches très fines, superposées. Lors de la cuisson, cette structure devient « vitreuse » : les espaces entre les couches disparaissent, ses pores se ferment et les feuillets se soudent les uns aux autres. L'air qu'elle contient ayant ainsi disparu, la matière perd une bonne partie de son élasticité et donc de sa capacité à se dilater[3]. Ceci a des conséquences autant pendant la cuisson de la poterie, que pendant son utilisation si elle subit des chocs thermiques en servant à cuire au four des aliments ou autres matières.

Cuisson de la poterie : le passage du « point quartz »[modifier | modifier le code]

Le « point quartz » est la température de 573 °C[4] à laquelle le quartz α (polymorphe de basse température) se transforme en quartz β (polymorphe de haute température)[n 1]. C'est le point auquel la silice cristalline se transforme en silice vitreuse en même temps qu'elle atteint son point de dilatation maximale[5].

C'est la raison pour laquelle on évite de passer trop rapidement cette température lors de la cuisson d’un dégourdi[n 2] en biscuit[n 3],[4], autant en montée (lors de la cuisson) qu'en descente de température (à la sortie de four[n 4]). Cette modification physique brutale a pour effet de fragiliser la pièce, et le dégraissant sert à atténuer cet effet[5] en maintenant la présence de pores dans la pâte[7].

Instruments fortement chauffés[modifier | modifier le code]

Pour les instruments destinés à être chauffés, le problème du passage du point quartz n'est plus à craindre. Mais celui de la dilatation de la céramique est toujours en vigueur. Là aussi, la présence de pores est indispensable pour éviter la brisure, et les céramiques destinées à une utilisation à haute température sont souvent fortement dégraissées. C'est le cas pour les ustensiles de cuisine[7], mais aussi pour certains équipements du bronzier comme les creusets, moules et tuyères[8].

Matériaux utilisés[modifier | modifier le code]

Le dégraissant est fait d'éléments non plastiques[3]. Différents matériaux peuvent être utilisés : sable, chamotte (poterie pilée), talc[5], calcite broyée, coquille, etc. La mousse a été utilisée comme dégraissant par les potiers néolithiques de la région du bassin de l’Escaut, en Normandie et dans le bassin Parisien. L'os pilé et calciné se retrouve dans le nord et le sud de la France[9].

Le bâti en terre[modifier | modifier le code]

Le bâti en terre utilise couramment des pailles diverses, dont l'analyse est une source d'informations sur le groupe socio-culturel qui l'emploie (traitement des récoltes, techniques de construction…)[10].

Des indicateurs culturels[modifier | modifier le code]

Le type de dégraissant choisi peut être indicateur d'une tradition régionale, voire d'une culture spécifique[11]. C'est le cas pour les graines de pavot dans les poteries de plusieurs sites rubanés du sud de la Belgique[9],[12].

Dès l'époque du Bronze ancien (vers 3200 av. J.-C. dans le monde égéen), des dégraissants organiques sont utilisés pour les creusets. On y trouve de la paille et de la balle de céréale, comme dans les céramiques métallurgiques des périodes suivantes (Bronze moyen (env. 2000-1600 av. J.-C.), Bronze final (env. 1600-1050 av. J.-C.). Mais on trouve aussi, par exemple en Crète (sites de Malia, Kommos et Palékastro)[8], des fibres végétales issues d'excréments d'herbivores, et des fibres animales : poils de caprinés et d'autres animaux. Les fondeurs africains utilisent de la balle de sorgho ou de riz, et aussi de la bouse de vache ou du crottin de cheval ou d’âne[13]. Le crottin de ruminant (chèvre, bovin) produit des fibres plus concassées mais plus homogènes que celui des non-ruminants (cheval, âne)[14]. Les excréments ajoutent des composants tels que l'urée et autres résidus riches en alcalins[15] qui donnent au matériau argileux un aspect feuilleté très particulier[14]. Les alcalins ont sur les argiles une action défloculante qui limite la formation des fissures dans le matériau. Les bronziers minoens utilisent les poil de capriné pour leurs creusets et leurs moules ; les bronziers mycéniens qui leur succèdent en Crète utilisent des excréments d'herbivores pour leurs creusets, moules et tuyères[15].
Dans les sites du sud des Pyrénées, la chamotte est utilisée à la Baume du Serrat del Pont (ca)[n 5] (Tortellà, province de Gérone en Catalogne) et la calcite à la grotte de Chaves[17].

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • [Bonnaire & Tengberg 2007] Emmanuelle Bonnaire et Margareta Tengberg, « Éléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtir » (Table ronde : Dégraissants organiques (01 avril 2006)), Cahier des thèmes transversaux ArScAn, UMR 7041 : Archéologie et sciences de l'Antiquité, vol. 7 « Thème VII : Outils et méthodes de la recherche »,‎ , p. 8-13 (lire en ligne [sur academia.edu], consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • [Doosselaere & Oberweiler 2007] Cécile Oberweiler, « Introduction » (Table ronde : Dégraissants organiques (01 avril 2006)), Cahier des thèmes transversaux ArScAn, UMR 7041 : Archéologie et sciences de l'Antiquité, vol. 7 « Thème VII : Outils et méthodes de la recherche »,‎ , p. 5-7 (lire en ligne [sur academia.edu], consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • [Oberweiler 2007] Cécile Oberweiler, « L’utilisation des dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes et mycéniennes » (Table ronde : Dégraissants organiques (01 avril 2006)), Cahier des thèmes transversaux ArScAn, UMR 7041 : Archéologie et sciences de l'Antiquité, vol. 7 « Thème VII : Outils et méthodes de la recherche »,‎ , p. 40-45 (lire en ligne [sur academia.edu], consulté le ). Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • [Picon et al. 1965] Maurice Picon, Robert Périchon et Jeanne Condamin, « Le dosage du quartz dans les céramiques. Application à quelques problèmes des sigillées », Revue archéologique du Centre de la France, vol. 4, nos 3-4,‎ , p. 281-286 (lire en ligne [sur persee]). Document utilisé pour la rédaction de l’article

Liens externes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Pour la transformation de quartz α en quartz β, voir dans l'article « Quartz » la section « Propriétés physiques » ; et dans l'article « Polymorphisme », la section « Transitions displacives ».
  2. Dégourdi : pièce ayant subi une première cuisson à 800-980 °C. Cette première cuisson a deux buts : solidifier la pièce pour faciliter le stockage ; et la rendre poreuse pour faciliter l'émaillage[6].
  3. Biscuit : État de la pâte après la première cuisson à haute température[6].
  4. À la sortie du four, la pièce perd très rapidement entre 300 et 500 °C. La contrainte mécanique importante provoquée par la rétractation de l'argile, est augmentée par la solidification de l’enduit vitreux. Les lèvres d'une fêlure ou brisure indiquent si la cassure est due à la chauffe ou au refroidissement : une cassure due à une chauffe trop rapide montre de l'émail fondu sur la brisure ; un refroidissement trop rapide donne une cassure nette[5].
  5. Serrat del Pont a été occupé au Mésolithique (environ 7 500 ans avant le présent)[16]

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Grandes catégories céramiques> Autres », série « Groupes techniques », sur iceramm.univ-tours.fr.
  2. Picon et al. 1965, p. 283, note 3.
  3. a et b [Landrieux 2019] Chloé Landrieux, La céramique romaine de Sainte-Colombe, le Bourg (Rhône, fouilles 2017): étude pluridisciplinaire du mobilier de la citerne de la pièce J10 (Mémoire de 1ère année, Master Archéologie, Sciences pour l’archéologie, spécialité Céramologie gallo-romaine 2018-2019), Université Lumière Lyon 2, UFR Temps et Territoires, , 146 p., sur imu.universite-lyon.fr (lire en ligne), p. 27.
  4. a et b « Glossaire céramique », sur terremjcaubagn.
  5. a b c et d « Le choc thermique : point quartz », sur arts.savoir.fr.
  6. a et b « Les Potiers d'Uzech-les-Oules > Petit glossaire céramique », sur poterie-uzech-artisanat.com.
  7. a et b Landrieux 2019, p. 39.
  8. a et b Oberweiler 2007, p. 40.
  9. a et b Doosselaere & Oberweiler 2007, p. 6.
  10. Bonnaire & Tengberg 2007, p. 9.
  11. Doosselaere & Oberweiler 2007, p. 5.
  12. [Heim & Hauzeur 2002] Jean Heim et Anne Hauzeur, « Paysage paléobotanique des sites du Rubané et du groupe de Blicquy à Vaux-et-Borset "Gibour" (Hesbaye, Belgique). Culture du blé nu et récolte de pommes en contexte blicquien », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 99, no 2,‎ , p. 289-305 (lire en ligne [sur persee], consulté le ), p. 300.
  13. Oberweiler 2007, p. 42.
  14. a et b Oberweiler 2007, p. 43.
  15. a et b Oberweiler 2007, p. 44.
  16. [Lloveras et al. 2011] (en) Lluís Lloveras, Jordi Nadal, Pilar Garcia-Argüel, Josep M. Fullola et Alicia Estrada, « The land snail midden from Balma del Gai (Barcelona, Spain) and the evolution of terrestrial gasteropod consumption during the Late Palaeolithic and Mesolithic in Eastern Iberia », Quaternary International, université de Barcelone, SERP, Departament de Prehistòria, Història Antiga i Arqueologia, no 30,‎ (lire en ligne [sur academia.edu], consulté le ), p. 5, table 1.
  17. [Oms et al. 2012] F. Xavier Oms, M. Àngels Petit, Juan I. Morales et M. Soledad García, « Le processus de néolithisation dans les Pyrénées orientales. Occupation du milieu, culture matérielle et chronologie », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 109, no 4,‎ , p. 651-670 (lire en ligne [sur persee], consulté le ), p. 657.