Déclaration de Volos

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Une Déclaration de théologiens orthodoxes sur l'enseignement du « Monde russe », également connue sous le nom de Déclaration de Volos (en grec moderne : Διακήρυξη κατά της διδασκαλίας περί Ρωσικού Κόσμου, russe : Декларация об учении о Русском мире, géorgien : დეკლარაცია რუსული სამყაროს სწავლების შესახებ, roumain : O Declarație privind învățătura Lumii Ruse, bulgare : Декларация против идеологията на Руския свят, arabe : إعلان عن مفهوم عقیدة الأرض الروسية) est une déclaration théologique de 2022 publiée par l'Académie d'études théologiques de Volos et signée par plus de 1600 théologiens et clercs de l'Église orthodoxe[1],[2],[3],[4].

Le document, publié le dimanche de l'Orthodoxie, évoque et condamne comme une hérésie l'idéologie promue par le Patriarcat de Moscou depuis la fin de l'URSS et particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine[5],[6] celle du "Monde russe"[7],[8].

Contexte[modifier | modifier le code]

Selon la plupart des chercheurs, le concept de « monde russe » est introduit dans la circulation scientifique et politique moderne en 1993-1997 par PG Shchedrovitsky et EV Ostrovsky[9],[10]. Cette idéologie, mêlant théologie orthodoxe dévoyée, nationalisme extrême et sentiment revanchiste vis-à-vis des anciens territoires de l'Empire russe et de l'URSS se développe principalement depuis l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine. Avec l'intronisation de Cyrille (Gundiaïev) en tant que patriarche de Moscou, l'Église orthodoxe russe devient une courroie de transmission de cette idée dans toutes les couches de la société russe[11],[12],[13].

Cette idéologie voit un espace transnational chercher à justifier une unité civilisationnelle fantasmée à partir des références de la Rus' de Kiev, l'unité de la religion orthodoxe, l'usage de la langue russe dont le centre serait Moscou, perçue comme la Troisième Rome[7],[14],[15].

Depuis la fin de l'URSS, l'Église orthodoxe russe s'engage de manière croissante dans des initiatives visant à asseoir son autorité ecclésiastique sur ce qu'elle perçoit comme son pré-carré traditionnel, tout en essayant d'étendre son influence sur le monde orthodoxe en général[14],[15],[16].

Ainsi, l'Église orthodoxe russe entreprend d'envahir les juridictions orthodoxes autocéphales depuis le début du XXIe siècle, comme l'Église orthodoxe de Jérusalem ou celle d'Alexandrie[17], défendant ces invasions par des principes phylétistes. Lors de l'invasion russe de la Géorgie, l'Église orthodoxe russe s'appuie sur le pouvoir de l'État pour fonder une Église soumise, l'Église orthodoxe abkhaze, qui n'est reconnue par aucune autre Église orthodoxe[18],[19].

Après le schisme orthodoxe de 2018 sur l'autocéphalie de l'Église orthodoxe d'Ukraine, la situation s'aggrave encore davantage, l'Église orthodoxe russe décidant de rompre la communion avec une partie des Églises orthodoxes et de faire rebaptiser les orthodoxes ukrainiens[20],[21].

Après la déclaration de guerre de Vladimir Poutine contre l'Ukraine le 24 février 2022, et avec le début de l'invasion russe de l'Ukraine, la situation devient de plus en plus intenable et tendue au sein de l'Église orthodoxe ; environ 1600 théologiens et clercs, dont de nombreux Russes[22], participent à ce document condamnant les mouvements russes au sein de l'Église et les « hérésies » de l'Église orthodoxe russe[1],[2],[22].

Contenu[modifier | modifier le code]

Le document se compose de deux parties, la première est une note introductive qui dénonce « l'hérésie » de la conception du « Monde russe ». La deuxième partie du document donne un contexte scripturaire et cite la Sainte Tradition pour montrer que la foi orthodoxe n'accepte pas les actions « honteuses » menées par le gouvernement russe et l'Église orthodoxe russe sous la direction du patriarche Cyrille[1],[22].

Ils associent cette « hérésie » à un certain type d'ethno-phylétisme[22].

« Depuis l'intronisation du patriarche Cyrille en 2009, les grandes personnalités du patriarcat de Moscou, ainsi que les porte-paroles de l'État russe, n'ont cessé de puiser dans ces principes pour contrecarrer le fondement théologique de l'unité orthodoxe. Le principe de l'organisation ethnique de l'Église a été condamné au Concile de Constantinople en 1872. Le faux enseignement de l'ethno-phylétisme est à la base de l'idéologie du « Monde russe ». Si nous tenons ces faux principes pour valides, alors l'Église orthodoxe cesse d'être l'Église de l'Évangile de Jésus-Christ, des Apôtres, du Credo de Nicée-Constantinople, des Conciles œcuméniques et des Pères de l'Église. L'unité devient intrinsèquement impossible.
Par conséquent, nous rejetons l'hérésie du « Monde russe » et les actions honteuses du gouvernement russe déclenchant une guerre contre l'Ukraine, qui découle de cet enseignement ignoble et indéfendable en connivence avec l'Église orthodoxe russe, comme profondément non orthodoxe, non chrétienne et tournée contre l'humanité, qui est appelée à être « justifiée… illuminée… et lavée au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de Dieu » (rite baptismal). Tout comme la Russie a envahi l'Ukraine, le patriarcat de Moscou du patriarche Cyrille a envahi l'Église orthodoxe, par exemple en Afrique, provoquant des divisions et des conflits, avec des pertes incalculables non seulement concernant le corps, mais aussi pour l'âme, mettant en danger le salut des fidèles. »

— Déclaration de Volos

Signataires[modifier | modifier le code]

Le document est signé par de nombreux théologiens et clercs orthodoxes de Grèce, de Russie, de Géorgie, de Roumanie, d'Ukraine, de Bulgarie, de France, de République tchèque, des États-Unis, du Liban, d'Allemagne, de Belgique, du Canada ainsi que des théologiens d'Inde et de Serbie[22].

Si la majorité des signataires ne font évidemment pas partie de l'Église orthodoxe russe, une petite centaine est membre de l'Église orthodoxe russe, ou de la tradition orthodoxe russe, notamment des théologiens du Séminaire Saint Vladimir à New York ou les Lossky en France[22].

Portée et conséquences[modifier | modifier le code]

Le document précède les condamnations officielles du Patriarcat d'Alexandrie et de toute l'Afrique[23],[24],[25] et plus tard du Patriarcat Œcuménique de Constantinople[26],[27].

Dans leur échange épistolaire de début 2023, le patriarche œcuménique, Bartholomée Ier, et l'archevêque de Chypre, Georges III, ont longuement discuté de la question[28],[29].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c (en-US) Orthodoxy, « A Declaration on the "Russian World" (Russkii mir) Teaching », Public Orthodoxy, (consulté le )
  2. a et b (en) « University of Exeter », www.exeter.ac.uk (consulté le )
  3. (en) Philip Pullella, « Analysis: Ukraine invasion splits Orthodox Church, isolates Russian patriarch », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. (en) « Ecumenism as victim of war: Scholars condemn position of Moscow patriarch », Crux (consulté le )
  5. « М. Н. Тихомиров. Список русских городов дальних и ближних », litopys.org.ua (consulté le )
  6. (ru) « "Русский мир", бессмысленный и беспощадный », Радио Свобода (consulté le )
  7. a et b (en-US) « Russia's Orthodox Soft Power », www.carnegiecouncil.org (consulté le )
  8. (en-US) Heneghan, « The Russian Orthodox Church Acts As Putin's 'Soft Power' In Ukraine », Business Insider (consulté le )
  9. « Русский архипелаг - Русский Мир: восстановление контекста », archipelag.ru (consulté le )
  10. Valentin Ivanovich Fati︠u︡shchenko et Валентин Иванович Фатющенко, Russkiĭ mir v kontekste mirovykh t︠s︡ivilizat︠s︡iĭ : kurs lekt︠s︡iĭ, Moskva, "Gnozis",‎ (ISBN 978-5-94244-026-8, OCLC 462785232, lire en ligne)
  11. « The new Russian cult of war », The Economist,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. (en) Service, « Orthodox Debate Ethnocentric Churches Amid Russia-Ukraine War », News & Reporting (consulté le )
  13. (en-US) Ashenden, « Putin's unholy alliance and the sins of the Russian Orthodox church », The Spectator, (consulté le )
  14. a et b Nicolas Imbert, Vers la construction d'un partenariat entre l'Eglise et l'Etat en Russie post-soviétique ?, Science-Po - Aix, Aix Marseille Université - Institut d'études politiques,
  15. a et b Kristina Stoeckl, Russian Orthodoxy and Secularism, Leiden, (ISBN 978-90-04-44015-9, OCLC 1266679755, lire en ligne)
  16. Imbert, « Ambiguïté et multi-vocalité des relations entre l’église et l’état: En contexte postsoviétique », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. N° 1-2, no 1,‎ , p. 207–215 (ISSN 0338-0599, DOI 10.3917/receo1.531.0207, lire en ligne) :

    « Dans ce contexte, l’auteure évoque « une symphonie des vues » entre l’Église et l’État en Russie. Cette symphonie se retrouve dans la diffusion de l’idée du « monde russe » (russkij mir), un projet idéologique visant à « renforcer la sphère de l’influence culturelle russe » à l’étranger (Alicja Curanovic, in Köllner, p. 205). L’adoption de ce discours est favorable à l’État russe car il lui assure la légitimation de son action politique à l’étranger en usant du pouvoir symbolique dont dispose l’Église ; il l’est aussi à l’Église russe car il lui permet d’étendre son influence et, le cas échéant, de bénéficier des moyens diplomatiques de l’État russe. »

  17. « CATHOLIC ENCYCLOPEDIA: Jerusalem (After 1291) », www.newadvent.org (consulté le )
  18. (en) « Russia obstructs recognition of the OCU by Georgian Church, - Metropolitan Epifaniy - RISU », Religious Information Service of Ukraine (consulté le )
  19. Conroy, « Semi-Recognized States and Ambiguous Churches: The Orthodox Church in South Ossetia and Abkhazia », Journal of Church and State, vol. 57, no 4,‎ , p. 621–639 (ISSN 0021-969X, lire en ligne)
  20. (en) « Metropolitan Hilarion of Volokolamsk: “It is impossible to speak of ‘the recognition of the sacraments’ administered by schismatics” », The Russian Orthodox Church. Department for External Church Relations. (consulté le )
  21. (en) « Russian Orthodox Church calls for re-baptizing Ukrainian children - RISU », Religious Information Service of Ukraine (consulté le )
  22. a b c d e et f (en-GB) Panagiotis, « A Declaration on the “Russian World” (Russkii mir) Teaching », Ακαδημία Θεολογικών Σπουδών Βόλου (consulté le )
  23. « Ανδρείες αποφάσεις Πατριαρχείου Αλεξανδρείας: Παύει μνημόνευση Κυρίλλου, καθαιρεί Λεωνίδα, καταδικάζει "ρωσικό κόσμο" » (consulté le )
  24. (el) Poimin.gr, « Καθαίρεση Μητροπολίτη και διακοπή της μνημόνευσης του Πατριάρχη Μόσχας », poimin.gr,‎ (consulté le )
  25. « Patriarch Theodoros stops commemorating Patriarch Kirill, Russian Exarch declared defrocked by Alexandria | The Paradise News », theparadise.ng (consulté le )
  26. (en-US) NewsRoom, « Bartholomew: Russian Church has sided with Putin, promotes actively the ideology of Rousskii Mir | Orthodox Times (en) », Orthodox Times (consulté le )
  27. (en-GB) Govorun, « The doctrine of the "Russian world" is a dualistic political religion », The European Times, (consulté le )
  28. (el) Andreas Matei, « Βαρθολομαίος προς Κύπρου Γεώργιο: Δίκαιη χαρά για την εκλογή Σας », Εκκλησία της Κύπρου,‎ (consulté le )
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