Weltanschauung

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Weltanschauung [vɛlt.ʔanˌʃaʊ.ʊŋ] Écouter est un terme allemand communément traduit par « conception du monde ». Il associe Welt (monde) et Anschauung (vision, opinion, représentation). Il est courant de dire qu'à toute époque, l'époque qui l'a précédée étonne par sa Weltanschauung, c'est-à-dire sa manière de voir et de concevoir le monde[réf. nécessaire].

Le mot se trouve en allemand dans des textes français parce que « l'expression Weltanschauung a joué un rôle important dans l'auto-définition de la philosophie en Allemagne dans les trente premières années du XXe siècle[1] ».

Weltanschauung et philosophie allemande

Le Dictionnaire des concepts philosophiques signale l'emploi intensif de Weltanschauung dans les textes des sciences humaines ; cependant seule la philosophie allemande en a développé des emplois disciplinaires. Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger la définit au § 26 comme « l'intuition d'un tout, ouvrant sur une idée du monde à laquelle ne correspond aucune connaissance théorique[2] ».

Le titre allemand de nombreux ouvrages du XXe siècle inclut le mot « Weltanschauung », comme Die Typen der Weltanschauung, de Wilhelm Dilthey (1911), et Psychologie der Weltanschauungen de Karl Jaspers (1919). « La question fut alors posée de savoir si la philosophie en général pouvait être considérée comme une conception du monde, et à l'inverse si toute conception du monde était l'équivalent d'une philosophie[1] ».

Critique de la Weltanschauung

Guillaume Fagniez évoque le débat entre Wilhelm Dilthey et Edmund Husserl en 1911, qui aurait marqué le point culminant de l'omniprésence de la Weltanschauung. Husserl rejetait la prétention de la Weltanschauung, « cette fille du scepticisme historique, » à se définir comme philosophie, affirmant « elle n'est pas en mesure (…) de satisfaire à l'exigence de validité absolue et intemporelle de la science philosophique[3] ».

Martin Heidegger dans un texte intitulé « Die Zeit des Weltbildes » (« L'Époque des conceptions du monde »), récuse la philosophie des Weltanschauungen qui, à la manière de Karl Jaspers, se contentent d'établir superficiellement une typologie des attitudes, ne permettant en aucun cas d'en comprendre, selon Jean Greisch, le sens[4]. Pour Heidegger, « la Weltanschauung est en elle-même, interruption, conclusion, fin de système, elle est étrangère à la philosophie qui en tant qu'elle est immersion absolue dans la vie comme telle ne trouve jamais de conclusion[5] ».

Hegel donne l'une des critiques les plus précises de la Weltanschauung. Il opposait à sa propre époque un « absolu », absolu qui lui a permis de critiquer son temps, d'en découvrir les modalités et même de prétendre en décrire un avenir : c'est l'absolu en soi, où la pensée en est à un tel état d'elle-même qu'elle en devient dynamique, qu'elle trouve sa réalisation dans le monde qu'elle crée quand elle le pense[réf. souhaitée].

La critique de Karl Marx en vient à « remettre le monde [et son mode d'approche par la pensée : la dialectique historique] sur ses pieds », c’est-à-dire à renverser la dialectique hégélienne de manière à faire de l'humain, non plus le réalisateur de la pensée pour la pensée, mais le réalisateur du monde pour l'être humain, de l'être humain pour l'être humain. « La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l'homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu'il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même[6] ».

Le philosophe français Guy Debord utilise cette notion en 1967 dans La Société du spectacle :

« Le spectacle ne peut être compris comme l'abus d'un monde de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des images. Il est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite. C'est une vision du monde qui s'est objectivée[7]. »

Sciences sociales

Carl Gustav Jung

En 1931, le psychiatre suisse Carl Gustav Jung consacre tout un essai sur cette notion.

« Le mot allemand Weltanschauung n'est guère traduisible en une autre langue […] : il désigne non seulement une conception du monde mais aussi la manière dont on conçoit le monde. Il y a certes quelque chose de semblable dans le mot « philosophie » (mais celui-ci est) plus restreint intellectuellement, tandis que le mot Weltanschauung englobe tous les genres d'attitude, y compris l'attitude philosophique. C'est ainsi qu'il y a des Weltanschauungen esthétique, religieuse, idéaliste, romantique, pratique, pour n'en citer que quelques unes. En, ce sens, la notion de Weltanschauung se rapproche beaucoup de la notion d'attitude. On peut donc dire que la Weltanschauung est une attitude exprimée sous la forme de concepts. Or que faut-il entendre par « attitude » ? L'attitude est une notion psychologique désignant une certaine ordonnance des contenus psychiques orientée vers un but ou par ce qu'on appelle une représentation principale. […]

Toute conscience supérieure conditionne la Weltanschauung. Toute conscience de raisons et d'intentions est déjà Weltanschauung en germe. Tout accroissement de connaissance et d'expérience est un pas de plus vers son développement. Et en même temps qu'il crée une image du monde, l'homme qui pense se transforme lui-même.

Avoir une Weltanschauung, c'est (en effet) se former (simultanément) une image du monde et de soi-même, savoir ce qu'est le monde et savoir ce que l'on est. […] Cette meilleure connaissance possible exige du savoir et a horreur des présuppositions gratuites, des affirmations arbitraires, des opinions d'autorité. Elle cherche au contraire des hypothèses solidement fondées, sans oublier jamais que tout savoir est borné et sujet à l'erreur. […] Toute Weltanschauung a une singulière tendance à se considérer comme la vérité dernière sur l'univers, alors qu'elle n'est qu'un nom que nous donnons aux choses. […] Une Weltanschauung, c'est une hypothèse et non un article de foi.[8]. »

Références

  1. a et b article Weltanschauung Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 841
  2. Guillaume Fagniez 2017, p. 95.
  3. Guillaume Fagniez 2017, p. 88.
  4. Greisch 1994, p. 20.
  5. Guillaume Fagniez 2017, p. 89-90.
  6. Karl Marx, « Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel, Introduction », .
  7. Guy Debord, La Société du spectacle, Gallimard, coll. « Folio », (1re éd. 1967), p. 17.
  8. Carl Gustav Jung, Seelenprobleme der Gegenwart, Rascher, Zurich, 1931.
    Cité dans « Psychologie analytique et conception du monde, in Problèmes de l'Âme moderne, Buchet Chastel, 1976, pages 95 à 129

Notes

Voir aussi

Bibliographie

  • Michel Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Larousse, , 880 p. (ISBN 978-2-03-585007-2).
  • Jean Greisch, Ontologie et temporalité : Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, PUF, , 1re éd., 522 p. (ISBN 2-13-046427-0).
  • collectif (dir.), Lire les Beiträge zur Philosophie de Martin Heidegger, Hermann, (ISBN 978-2-7056-9346-6).
  • Martin Heidegger (trad. Wolfgang Brokmeier), « L'époque des conceptions du monde », dans Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, coll. « TEL », , 99-146 p. (ISBN 2-07-070562-5).
  • Carl Gustav Jung, Problèmes de l'Âme moderne, Buchet-Chastel, (première partie, chapitre 4 : « Psychologie analytique et Weltanschaung », 1928).

Articles connexes

Liens externes