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Tennyson – Mariana

Le moineau chuchotant sur le toit, les lentes oscillations du balancier et le murmure par lequel répondait le peuplier aux amoureux soupirs du vent, accablaient cette âme craintive; mais par-dessus tout elle détestait l'heure où, chargé de brillants atomes, un rayon de soleil traversait les salles obscures, l'heure où le jour penche vers l'occident. Alors : Je suis bien triste! disait-elle. - Il ne viendra pas! disait-elle encore ; et, pleurant : - Je suis lasse, bien lasse. Oh! Dieu de merci, que ne suis-je morte! 

Texte original : The sparrow's chirrup on the roof, / The slow clock ticking, and the sound / Which to the wooing wind aloof / The poplar made, did all confound / Her sense; but most she loathed the hour / When the thick-moted sunbeam lay / Athwart the chambers, and the day / Was sloping toward his western bower. / Then, said she, 'I am very dreary, / He will not come,' she said; / She wept, 'I am aweary, aweary, / O God, that I were dead!'

Alfred Tennyson (6/08/1809 - 1892) – Mariana (1830)

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s:août 2009 Invitation 1

Villiers de L’Isle-Adam – Hospitalité

Donc, le plus poliment du monde, l'air satisfait, le chapeau à la main, - méditant même un madrigal pour là maîtresse de la maison, - j'entrai, souriant, et me trouvai, de plain-pied, devant une espèce de salle à toiture vitrée, d'où le jour tombait, livide.

À des colonnes étaient appendus des vêtements, des cache-nez, des chapeaux.

Des tables de marbre étaient disposées de toutes parts.

Plusieurs individus, les jambes allongées, la tête élevée, les yeux fixes, l'air positif, paraissaient méditer.

Et les regards étaient sans pensée, les visages couleur du temps.

Il y avait des portefeuilles ouverts, des papiers dépliés auprès de chacun d'eux.

Et je reconnus, alors, que la maîtresse du logis, sur l'accueillante courtoisie de laquelle j'avais compté, n'était autre que la Mort.

Auguste de Villiers de L'Isle-Adam (1838 - 18/08/1889), Contes cruels, 1888 - (À s'y méprendre !, 1883)

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s:août 2009 Invitation 2

Tennyson – Mariana

Le moineau chuchotant sur le toit, les lentes oscillations du balancier et le murmure par lequel répondait le peuplier aux amoureux soupirs du vent, accablaient cette âme craintive; mais par-dessus tout elle détestait l'heure où, chargé de brillants atomes, un rayon de soleil traversait les salles obscures, l'heure où le jour penche vers l'occident. Alors : Je suis bien triste! disait-elle. - Il ne viendra pas! disait-elle encore ; et, pleurant : - Je suis lasse, bien lasse. Oh! Dieu de merci, que ne suis-je morte! 

Texte original : The sparrow's chirrup on the roof, / The slow clock ticking, and the sound / Which to the wooing wind aloof / The poplar made, did all confound / Her sense; but most she loathed the hour / When the thick-moted sunbeam lay / Athwart the chambers, and the day / Was sloping toward his western bower. / Then, said she, 'I am very dreary, / He will not come,' she said; / She wept, 'I am aweary, aweary, / O God, that I were dead!'

Alfred Tennyson (6/08/1809 - 1892) – Mariana (1830)

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s:août 2009 Invitation 3

Jorge Luis Borges - Une bibliothèque infinie

Peut-être suis-je égaré par la vieillesse et la crainte, mais je soupçonne que l'espèce humaine – la seule qui soit – est près de s'éteindre, tandis que la Bibliothèque se perpétuera : éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète. Je viens d'écrire infinie. Je n'ai pas intercalé cet adjectif par entraînement rhétorique ; je dis qu’il n’est pas illogique de penser que le monde est infini. Le juger limité, c'est postuler qu'en quelque endroit reculé les couloirs, les escaliers, les hexagones peuvent disparaître – ce qui est inconcevable, absurde. L’imaginer sans limite, c'est oublier que n'est point sans limite le nombre de livres possibles. Antique problème où j'insinue cette solution : la Bibliothèque est illimitée et périodique. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l'Ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir.

Jorge Luis Borges (24/08/1899 - 1986) - La Bibliothèque de Babel (1941)

s:août 2009 Invitation 4

Herman Melville - Songes océaniques

Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet.

Herman Melville (01/08/1819 - 1891) – Moby Dick (incipit) (traduction [1])

s:août 2009 Invitation 5

Goethe - Révélation

J'ai envie d'ouvrir le texte, et m'abandonnant une fois à des impressions naïves, de traduire le saint original dans la langue allemande qui m'est si chère. (Il ouvre un volume, et s'arrête. ) Il est écrit : Au commencement était le verbe! Ici je m'arrête déjà ! Qui me soutiendra plus loin ? Il m'est impossible d'estimer assez ce mot, le verbe ! il faut que je le traduise autrement, si l'esprit daigne m'éclairer. Il est écrit : Au commencement était l'esprit ! Réfléchissons bien sur cette première ligne, et que la plume ne se hâte pas trop ! Est-ce bien l'esprit qui crée et conserve tout ? Il devrait y avoir : Au commencement était la force ! Cependant tout en écrivant ceci, quelque chose me dit que je ne dois pas m'arrêter à ce sens. L'esprit m'éclaire enfin ! L'inspiration descend sur moi, et j'écris consolé : Au commencement était l'action !

Johann Wolfgang von Goethe (28/08/1749 – 1832) – Faust (cabinet d'étude)

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