Point de vue narratif

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Premier aspect du mode narratif, le point de vue narratif correspond à la focalisation du récit (il répond aux questions : « Qui décrit ? Par quel œil voyons-nous les scènes ? »). Il est distinct du statut du narrateur (qui revient à se poser la question : « Qui raconte l'histoire ? ») et du type de narrateur (qui concerne la fiabilité de la voix narrative).

Il existe trois points de vue narratifs : le point de vue omniscient , le point de vue interne et le point de vue externe. Et deux grands types de narrateurs : le narrateur véridique et le narrateur incertain.

Point de vue narratif

Déterminer le point de vue dans le récit, c'est chercher qui voit ce qui est raconté. On peut distinguer trois formes de point de vue:

Point de vue omniscient

Le narrateur omniscient sait tout des personnages et peut voir tous leurs faits et gestes. Il connaît leur passé, leur futur, leurs sentiments, leurs émotions, leurs envies, etc... Ce point de vue renvoie à un narrateur absent impliqué. Il est spectateur de toutes les scènes et des personnages.

Point de vue interne

L'action est vue par un personnage. Même si le récit est à la troisième personne, la scène est perçue par celui-ci. Le narrateur limite les informations à ce que ce personnage comprend et connaît. Le personnage exprime ses sentiments, ses réflexions, en passant par le discours indirect libre. Le point de vue interne peut aussi être écrit à la première personne.

Point de vue externe

Le narrateur externe n’est pas un personnage de l'histoire, il ne connait pas les pensées des personnages, ne donne pas son avis (sauf exception). Il raconte uniquement l'histoire (à la troisième personne).Ce point de vue renvoie à un narrateur neutre, ce qui permet donc de raconter avec une certaine objectivité.

Statut du narrateur

Le narrateur peut adopter 2 statuts :

Statut externe

Le statut externe est caractérisé par l'emploi de la 3e personne, il implique un narrateur externe à l'histoire. On distingue deux types de statut absent :

  • le statut externe et objectif (neutre), où le narrateur est extérieur à l'histoire et ne fait aucun commentaire personnel pendant sa narration ;
  • le statut externe et subjectif (impliqué), où le narrateur est extérieur à l'histoire mais intervient au cours du récit par des commentaires personnels ;
  • le statut Zéro (omniscient).

Statut interne

Le statut interne est caractérisé par l'emploi de la première personne, il implique un personnage narrateur interne à l'histoire. On l'appelle narrateur-personnage.

Le fait que le narrateur interne soit un personnage du récit n'implique pas forcément que la narration se fasse à la première personne (exemple : dans Pierre et Jean de Maupassant, la narration décrit la vision que Pierre a des hommes et des femmes sur la plage de Trouville ; le point de vue est celui de Pierre, personnage, donc interne, mais tout est narré à la troisième personne). Par conséquent, lorsque le narrateur est extérieur à l'histoire mais qu'il adopte un point de vue interne, c'est comme s'il « entrait » dans la tête du personnage.

Type de narrateur

Le narrateur d'un récit (ou d'une partie d'un récit) est également classé selon deux grands types :

  • le narrateur véridique ;
  • le narrateur incertain.

Narrateur véridique

Le narrateur véridique (alias narrateur fiable) : qu'il soit omniscient, interne, ou externe, on peut suivre son récit sans le remettre en question. C'est le type le plus courant, présupposé par défaut.

Avec un narrateur véridique, le lecteur se retrouve donc dans l'histoire comme s'il la voyait ou la vivait, et il peut oublier la couche narrative : il en résulte une lecture traditionnelle passive, qualifiée par la « suspension volontaire de l'incrédulité » de Coleridge ; la majorité des œuvres appartiennent à ce type.

Narrateur incertain

Le narrateur incertain (alias narrateur douteux, narrateur peu fiable), notion créée en anglais sous le nom de unreliable narrator : interne ou externe, sa crédibilité est jugée compromise pour diverses raisons et on est amené à mettre en doute tout ou partie de son récit ; ce peut être d'emblée (le ton du narrateur semble dissimulateur, paranoïaque, ignorant, etc.), petit à petit (le lecteur constate que le narrateur se contredit, dissimule, évoque des choses improbables ou hallucinatoires, etc.), ou à la fin du récit (le narrateur se révèle avoir tout inventé, être un fou dans un asile, se réveiller d'un rêve, etc.). Bien que ce type pourrait théoriquement concerner tout récit non omniscient ou tout personnage menteur, il n'est appliqué qu'aux histoires combinant deux critères : (1) on a des raisons objectives de ne plus pouvoir se fier aveuglément au narrateur ; (2) cela joue un rôle déterminant dans la lecture et les interprétations de l'œuvre.

Avec un narrateur incertain, le lecteur se retrouve face à l'histoire comme si elle lui était racontée par un inconnu dans le monde réel, et il est obligé de garder la même prudence ou suspicion face au dispositif narratif que face à tout ce qu'il lit ou entend au quotidien : il en résulte une lecture rendue plus active par le maintien d'un certain scepticisme de la part du lecteur ; les œuvres de ce type relèvent souvent du courant moderniste ou postmoderniste, quelques exemples sont :

  • Dans le roman American psycho de Bret Easton Ellis, le narrateur est ou prétend être un psychopathe tueur en série ; le lecteur ne peut être certain qu'un tel individu ne dise que la vérité ou toute la vérité, ni même que son récit ne soit pas un fantasme à la manière des écrits de Sade : l'œuvre a donc un narrateur incertain.
  • Dans le roman Le Nom de la rose d'Umberto Eco, le livre commence en 1968 par la présentation d'un manuscrit du XIVe siècle écrit à la fin de sa vie par celui qui fut un jeune acteur secondaire de l'histoire, et dont les souvenirs constituent l'essentiel du reste du texte ; le lecteur ne peut savoir si le narrateur se souvient encore bien des événements ou les a vraiment compris, s'il n'enjolive ou ne dissimule pas, ou même si le manuscrit n'est pas un apocryphe contemporain : l'œuvre a un narrateur incertain.
  • Dans le roman La Clé (alias La Confession impudique) de Jun'ichirō Tanizaki, l'intégralité du texte est composé d'extraits alternés des journaux intimes d'un mari et de sa femme ; ces derniers ont diverses raisons d'y mentir (d'autant que chacun soupçonne l'autre de lire en cachette son journal) et les deux récits parallèles se contredisent parfois : l'œuvre a donc deux narrateurs incertains.
  • Dans le film Rashōmon de Akira Kurosawa, un groupe de trois narrateurs se racontent tour à tour un même décès selon trois versions contradictoires (accident, meurtre, suicide) ; au moins deux mentent ou se trompent, voire tous, mais les trois principaux segments du film ne nous ont montré qu'une représentation de leurs trois récits (et non pas ce qu'il s'est réellement passé) : l'œuvre a donc trois narrateurs incertains.
  • Dans le film Usual Suspects de Bryan Singer, un policier interroge un suspect évidemment susceptible de mentir ; en soi, cela ne suffirait pas à élever un personnage menteur au rang de narrateur incertain, mais ici, l'essentiel du film est la visualisation du récit du suspect, ce qui a un impact direct sur presque tout ce que va voir le spectateur : que le suspect mente ou dise la vérité, l'œuvre a donc un narrateur incertain.

Le résultat d'un narrateur incertain, et le point commun aux œuvres qui en relèvent, c'est qu'il n'est généralement plus possible au lecteur même attentif de certifier « ce qu'il s'est réellement passé » : ce type d'œuvre engendre souvent des interprétations multiples concurrentes, plus ou moins étayées par des indices internes ou des raisonnements externes, ce qui en fait l'ambiguïté autant que la richesse.

Bibliographie