Affaire du bal d'Issy-les-Moulineaux de 1972

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L'Affaire du bal d'Issy-les-Moulineaux de 1972 est une affaire judiciaire française d'attaque avec armes puis de viol en réunion qui s'est déroulée à partir de juillet 1972 dans la ville d'Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine, lors d'un bal organisé par des militants du Secours rouge (France) pour des ouvriers yougoslaves de Citroën occupant deux maisons vides. Les différents juges d'instruction ne sont pas parvenus à résoudre l'affaire, malgré de nombreux supects[1],[2],[3].

Histoire[modifier | modifier le code]

Contexte[modifier | modifier le code]

Dans la nuit du 13 au , le Secours rouge organise un bal populaire dans un quartier d'Issy-les-Moulineaux, peuplé d'ouvriers immigrés, dont la plupart sont yougoslaves et travaillent chez Citroën, certains habitant dans un lieu collectif occupé.

En , dans le sillage de l'activisme gauchiste autour de la cause palestinienne de novembre 1971 dans le 18e arrondissement de Paris, une famille de huit enfants qui vivait depuis deux ans en caravane, sous un pont de chemin de fer, s’était déjà installée illégalement dans la villa inoccupée du pianiste de la chanteuse Rika Zaraï, dénigrée pour son soutien militant à l’État d’Israël, sur les hauteurs dominant la Seine, au 13 rue Henri-Tariel[4],[5]. Ensuite, le Secours rouge lancera en février 1972 sa campagne pour l’occupation de maisons vides, annoncée en première page du deuxième et dernier numéro de son journal, Secours rouge : « Occuper les maisons vides c’est normal ». Ce « mouvement » fera l'objet de l’étude d’Eddy Cherki parue en 1973, dans la revue Espaces & Société[4]. Selon cette étude, entre et , les militants organisent illégalement près de 70 expropriations « sauvages » de maisons inoccupées et plus d’une dizaine d’immeubles vides sont occupés[4]. À Issy, le Mouvement de libération des femmes a au même moment appuyé en une révolte dans un foyer de mères célibataires[4]: dix-neuf d'entre elles se sont mises en grève de la faim[6], fondent un crèche « sauvage »[4], et avec l’aide du Secours rouge écrivent une pièce de théâtre jouée sur le marché[4].

La communauté des ouvriers yougoslaves qui vivait dans des baraquements à Clamart[7] occupe à son tour deux maisons vides dans la commune voisine d'Issy. Ce sont des militants du Secours rouge (France) qui les avaient aidé à opérer ce transfert et cette occupation [7] alors que la première des occupations, celle d'un immeuble boulevard de la Chapelle à Paris, avait été effectuée sans leur aide[7].

Un groupe de vingt-six familles, travaillant souvent dans le secteur du nettoyage ou de l’automobile[4], en grande majorité yougoslaves, sont arrivées, ensemble pour occuper en force deux vastes maisons vides, 4 et 6 rue Jeanne-d’Arc[4], remises à neuf et repeintes[4]. Le samedi , la communauté « yougo » de la rue Jeanne-d’Arc réunit 160 mal-logés de la région parisienne, et des militants de La Butte aux Cailles, leur demandent de venir tous le 1er juillet pour empêcher l’expulsion de quatre familles françaises[4].

Le squatt avait fait l'objet de manifestations de défense dès le printemps[7]. L’une d'elles, le , pour protester contre l’expulsion de trois immeubles occupés le week-end précédent, est frappée d’interdiction par la préfecture de police. C'est aussi pour fêter cette occupation victorieuse des yougoslaves à Issy qu'est organisé le bal[8].

L'affrontement et l'enlèvement[modifier | modifier le code]

Au soir du bal, vers minuit, un groupe d'une quarantaine d'hommes armés de matraques fait irruption. Ceux-ci sont arrivés pour certains dans des camionnettes appartenant vraisemblablement au parc d'automobiles de l'usine Citroën. Ils attaquent les danseurs avec violence. Il y a dix blessés au cours de l’affrontement, mais ils sont finalement repoussés. Deux des assaillants sont rattrapés et capturés. Il s'avère que tous deux sont employés chez Citroën, et l'un d'eux a fait l'erreur de conserver dans son portefeuille sa carte d'adhérent de la CFT, le « syndicat indépendant » de Citroën, réputé proche du patronat. Elle porte le no 5345.

Cependant, parmi les membres du commando en déroute, cinq hommes emmènent de force deux otages : Martine L., une jeune fille de 17 ou 18 ans, et Danielle Lévy[9], "professeur de psychanalyse" à l'université Paris-VIII, âgée de 28 ans[10]. La séquestration des deux femmes et le viol auraient eu lieu à l'intérieur-même de l'usine Citroën Javel[11].

Les deux victimes sont ensuite relâchées dans un bois proche de la gare de Versailles-Chantiers. Leurs récits déclenchent la fureur, dans un climat au bord du lynchage, certains parlant même d'exécuter sur place les deux prisonniers. Une femme yougoslave fait une proposition qui est finalement acceptée : le lendemain, un cortège traverse la ville pour conduire au commissariat avec une pancarte au cou mentionnant : « Je suis un fasciste de la CFT. J'ai participé à un commando qui a attaqué un bal, blessé cinq personnes, enlevé deux jeunes filles et violé trois fois l'une d'entre elles. Que doit-on faire de moi ? »[12]. Ensuite, les deux prisonniers sont remis à la police, qui les libérera discrètement dès le lendemain.

Les enquêtes de justice[modifier | modifier le code]

Ensuite, les violeurs ne sont pas inquiétés par la Justice, malgré le dépôt de plainte de l'une des victimes, Danielle Lévy. Une manifestation de protestation a lieu le , six semaines plus tard, pour protester plus généralement contre l'agression du commando de la CFT[7].

L'enquête du juge d'instruction Diemer progresse peu pendant deux ans et demi. En 1974, un nouveau magistrat reprend le dossier, Guy Floch[1]. Mi-octobre, Marcel Caille et Henri Krasucki, de la CGT présentent aux journalistes un épais dossier sur les élections professionnelles chez Simca-Chrysler-Poissy, un fief de la CFT, dans lequel sont résumés 59 cas de fraudes de la CFT. Trois semaines plus tard, le , le juge d'instruction Guy Floch, accompagné d'un substitut, de greffiers et de photographes de l'identité judiciaire, se présente au 62 rue Balard, à Paris. Quelques minutes plus tôt, il est déjà entré au 53 de la même rue et a perquisitionné dans les locaux. Pour la première fois, la Justice pénètre dans les usines Citroën. La plaignante Danielle Lévy avait noté ses souvenirs de la configuration des lieux où on l'avait amenée pour la violer, et ceux-ci correspondent à ceux de la firme Citroën. Le juge accepte de perquisitionner chez Citroën[13],[1].

Toutefois, l'affaire est close par un non-lieu cinq ans plus tard. Citroën disait avoir perdu la trace d'un des principaux accusés, lequel sera retrouvé, par hasard, quelques mois avant l'ordonnance de non-lieu, comme faisant partie du commando de miliciens Citroën qui a abattu l'ouvrier gréviste Pierre Maître à Reims en . Sur appel de l'ordonnance de non-lieu, la chambre d'accusation de Paris a ensuite ordonné la reprise de l'information [14].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours par Martine Orange, Erwan Seznec, Frédéric Charpier [1]
  2. "Mai 68, l'héritage impossible", par Jean-Pierre LE GOFF
  3. "Le Livre noir des syndicats" par Rozenn LE SAINT et Erwan SEZNEC
  4. a b c d e f g h i et j Documents d'archives de la Gauche Prolétarienne [2]
  5. La maison de Rika Zaraï à Issy
  6. Histoire des féminismes français, par Jean Rabaut
  7. a b c d et e Crise du logement et mouvements sociaux urbains: Enquête sur la région parisienne, par Manuel Castells, Eddy Cherki, Francis Godard, et Dominique Mehl, éditions Walter de Gruyter GmbH & Co KG, 25 septembre 2017
  8. L'Assassin était chez Citroën par Marcel Caille, Dominique Decèze - 1978, - page 53
  9. "Une vieille affaire de viol", article de Josyane Savigneau dans Le Monde du 22 octobre 1977
  10. "Incidents au cours d'un bal organisé par le Secours Rouge", article dans Le Monde du 15 juillet 1972 [3]
  11. Article dans Le Nouvel Observateur du 24 juillet 1972 [4]
  12. "La justice et autres bricoles", par Delfeil de Ton dans Le Nouvel Observateur du 24 juillet 1972 [5]
  13. " LA MAIN DANS LE SAC ", par Nicolas Brimo dans L'Unité du 29-11-1974 [6]
  14. "La justice et autres bricoles", par Delfeil de Ton dans Le Nouvel Observateur du 10 juillet 1978 [7]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]