Wadih Saadeh

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Wadih Sa'adeh
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وديع سعادةVoir et modifier les données sur Wikidata
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Sydney (depuis ), LibanVoir et modifier les données sur Wikidata
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Wadih Saadeh est un poète et journaliste libanais né en 1948. Il a travaillé dans le domaine de journalisme à Beyrouth, Londres, Paris et Nicosie, avant de voyager, en 1988, à Sydney où il continue dans le même domaine.

En 2011 Wadih Saadeh reçoit le prix Max-Jacob.

Biographie[modifier | modifier le code]

Né en 1948 à Chabtîn, dans le Nord du Liban, Wadih Saadeh a travaillé comme journaliste à Beyrouth, Londres, Nicosie et Paris avant de s'installer à Sydney, en Australie[1]. Il a déjà publié douze recueils de poèmes qui l'ont placé parmi les poètes arabes contemporains les plus originaux. Son œuvre a été traduite dans plusieurs langues européennes.

Œuvres[modifier | modifier le code]

Il a publié douze livres de poésie, dont quelques-uns ont été traduits en français (Le Texte de l'absence et autres poèmes, Actes Sud, Arles, France, 2010, qui a reçu le Prix Max-Jacob en 2011), en anglais, en allemand, en italien et en espagnol.

Il a participé à plusieurs festivals de poésie.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Wadih Saadeh : poétique du départ », sur L'Orient Litteraire (consulté le )

Wadih Saadeh

                                    Traduits de l’Arabe par :Antoine Jockey  

Autre lumière

Sur la haute montagne il ferma les yeux

Il ne voulait pas d’une lumière vieille de milliers d’années sur lui

Il ferma les yeux et descendit

Dans la vallée

Où la lumière du fond ne provient pas du soleil mais

De la contemplation d’une pierre par une autre pierre.

Il dit

Il dit qu’il allait reconstruire sa vie pour qu’elle ressemble à la brise

Et qu’elle s’adapte à toutes les formes et à tous les volumes,

Il se débarrassa de membres, d’idées, de parents et de lieux

Il se débarrassa d’un corps et de chemises

Il déroula ses propres fils et boutonna sa vie

Avec un bouton de vent

Il glissa dans des trous

Il glissa dans une obscurité

Et ne sut plus comment

Se recoudre.

A l’endroit où je m’arrêtai

A l’endroit où personne ne connaît personne, où tout le monde, dans l’attente de quelqu’un, s’arrête, flagellé par le désir de partir

Je m’arrêtai aussi et me dis : je partirai, mais j’attends mon compagnon.


A l’endroit dessiné par les premières légendes de la Terre,

Dans les yeux rouges des dieux, dans les cornes des diables,

Je m’arrêtai

A l’endroit du Commencement, où l’univers descend des volcans et où les gens émergent de la braise

Je m’arrêtai pour attendre mon compagnon

De moi se dégageait la vapeur de la première création

Dissimulé par le brouillard de la seconde

Je dis : je continuerai le voyage, je partirai

Mais je suis là en train d’attendre l’arrivée de mon compagnon

Là en train d’attendre

Ma propre arrivée.

Nouvelle planète

Dans sa tête tourne

Une nouvelle planète

Habitée de créatures étranges

De corps aériens

D’yeux comme des nuages qui ne proviennent pas d’un océan

Et qui ne rejoignent pas un fleuve

De cœurs tels des rivages

Où s’allongent des âmes endormies

Comme si elles avaient échappé aux douleurs d’une longue histoire

Et cherchaient

Le repos.


Une nouvelle planète dans sa tête

Sans qu’il ne sache comment se lier à ses créatures

Ni comment les abandonner,

Il regarde la planète avec passion

Il la regarde confus

Pose sa tête sur l’oreiller

Et s’endort.

Reflux de vent

Au lieu d’entendre la voix, il la voit

Venir de très loin

Fatiguée, appuyée sur une canne,

Sur ses épaules un chargement de mots destinés à des oreilles

Et sur ses chemins des oreilles qui voient

Et n’entendent pas.


Au lieu de voir la route, il l’entend

Tel un écho lointain,

Comme s’il marchait sur les reflux du vent

Comme si la terre n’était pas de la terre

Mais voix.


Terre qu’il entend et ne voit pas

Et voix qu’il voit et n’entend pas

Comme s’il n’entendait que son mutisme

Comme s’il ne voyait que sa cécité.

L’arrivée

Il se débarrassait d’un objet et faisait un pas

Le lourd fardeau l’empêchait d’avancer

L’empêchait d’arriver,

Il se débarrassait d’objets posés sur son épaule

Et d’autres dans son corps

Dans son cœur, dans ses yeux, dans sa tête, dans sa mémoire

Et avançait,

A chaque fois qu’il se débarrassait d’un objet, il faisait un pas

Et lorsqu’il fut totalement vide

Il arriva.

Il ne vit personne

Celui qui l’a amené sur le chemin, est arrivé avant lui

Celui qui l’a conduit au bord du précipice, était en retard

Il marchait seul et ne savait pas

Qui l’a amené et qui l’a abandonné

Il traversa le chemin, il traversa le précipice

Il regarda depuis le chemin, il regarda depuis le précipice

Et ne vit personne.

Gisant devant moi

Le mort qui gît devant moi est une partie de moi-même

Un jour, je l’ai croisé par hasard et il m’a dit : « Tu es mon proche »

A présent je le vois après une longue absence

Gisant sur mon lit.


Il a dit : « mon proche »

Alors que je ne l’avais jamais vu avant,

Mais ce qu’il a dit nous a liés

Et depuis, je suis devenu

Une partie d’un absent.


Il a dit puis avancé

J’ai entendu et avancé

Nos pas étaient une marche dans l’absence

Je foulais son absence et lui la mienne

Jusqu’à ce que nous nous retrouvions:

Deux parties

D’une absence

Gisant sur un lit.

Il a cru

Il a cru que le sable était un nuage

Tombé et desséché

Gardant de l’espace le souffle des gens qui traversent

Des déserts brulants.

Il a cru que les arbres étaient des mains enterrées

Lors de guerres anciennes

Et l’herbe, des mots que les assassinés voulaient dire avant de mourir.

Il a cru que les oiseaux étaient le regard de morts

Qui cherchent leurs yeux

Et les pierres des têtes

Qui cherchent leurs corps


Et il a cru

Que tout ce qu’il croyait

N’était que pures croyances.

Autres cultures

Il dit : « il va pleuvoir, il va beaucoup pleuvoir »

Depuis, il est resté assis à attendre la pluie

Un œil sur le ciel

Un autre sur le sable

A la fin ses yeux se séparèrent

Un œil sur la terre et un autre dans le ciel, et il perdit la vue

Ni nuage, ni espace

Ni sable non plus.


Il dit : « je sèmerai de nouvelles plantes

Qui n’ont pas besoin de sable ni d’eau »

Il se crut et il sema une ombre.

Depuis, il dort

Dans la pénombre d’une ombre.

Une autre fois, il dit

Une autre fois, il dit :

« Je vais reconstruire ma vie »

Il ôta une main et mit une fleur à la place

Il ôta un œil et mit un fruit à la place

Il ôta un pied et mit un arbre à la place

Il ôta une bouche, une oreille, un cœur, un poumon…

Et marcha dans son nouveau jardin

A la recherche de sa personne

Sans la retrouver.

Les fourmis veulent traverser

Mets-la ici, sur la pierre qui fut une tête,

Cette tête, pour qu’elle aussi devienne pierre,

Et mets l’œil dans le chas de l’aiguille qui fut à l’origine son orbite

Et qu’il quitta pour tisser des fils et poser le monde sur une toile d’araignée.

Ne prête pas attention à ta main, jette-la plutôt

Là-bas dans la poubelle

Avec la première main qui a pétri l’argile.

Sors tes oreilles de leur ouïe

Vers l’espace sourd

Et écarte tes pieds du chemin,

Les fourmis veulent traverser

Et chanter

Sans être entendues

Ni vues

Ni touchées.

Ferme la porte aussi

Ferme la porte aussi

Des membres de ton corps pourraient sortir et s’égarer

Ils pourraient te prendre au dépourvu, sortir dans la rue

Et devenir les membres d’un passant inconnu,

Il faut verrouiller les membres

Pour qu’ils restent à leur place.


Ferme la porte

Sinon tu seras l’inconnu qui

Passe à l’improviste devant ta maison

Et disparaît.

…Baisse les cils

N’emmène pas ton œil en promenade

Il risquerait de s’égarer ou de te perdre de vue

Il risquerait de suivre des passants pressés ou

D’entrer dans l’œil d’un aveugle

Et déterrer les souvenirs de ses visions d’où

Tu es absent.


Laisse ton œil à sa place

Et baisse les cils

Tu verras de nombreux passants sous ta paupière

Tu verras tout un univers

Dans ta cécité.

Le sommeil des galaxies

Il se pencha sur une pensée et s’endormit

Il inonda des terres lointaines

Sur des planètes lointaines

Qui émergèrent sur son oreiller, et il chanta

Pour qu’elles s’endorment.

Avec sa couette il couvrit des galaxies froides

Des galaxies affamées qui pleuraient sur son lit.

Il leur chercha du feu

Il leur chercha de la nourriture.

Dans le vestibule d’une vieille cuisine demeurait sa mémoire.

Et aujourd’hui encore il berce sur son bras des galaxies

Dans l’espoir qu’elles se taisent

Et s’endorment.

Où est le jardin ? Où est la maison ?

Les arbres et les légumes dont il rêva, il les sema

Dans un vaste jardin

Et lorsque vint le temps de la récolte

Au lieu d’un bras, de son épaule sortit une brise qui dit :

« Je veux jouer dans le jardin »,

Il quitta les arbres et les légumes

Et laissa la brise jouer.


Il dit : « je bâtirai une maison

Dont les chambres seront les jardins de mes rêves »

Il construisit beaucoup de chambres

Et lorsqu’il y entra, il s’égara

Et ne parvint plus à savoir où était la maison

Et où était le jardin.

Mémoire d’un oiseau

Il regarda dans l’espace, subtilisa la mémoire d’un oiseau et la mit dans sa tête

Il traversa pays et continents

Champs et forêts, monts et vallées

Et déposa ses œufs dans de nombreux lieux

Où il ne fit que se poser

Sans songer à y revenir.


Il regarda dans l’espace et subtilisa la mémoire d’un oiseau migrateur.

Chaque soir

L’oiseau se refugiait dans sa maison et dormait dans son lit

Pendant que lui

Volait dans l’espace.

Autres lignes

Dessine-toi en fleuve et laisse couler de toi

Quelque chose pour le bord du précipice, pour les cailloux, pour la mer et pour la vapeur.

Pour l’eau, coule avec les lignes de ton dessin.

Ton eau échappée du Déluge sans arche ni Noé

L’eau qui erre

En attendant ton dessin

Pour connaître son cours

Dessine-la

Et dote l’herbe de quelques-unes de ses lignes

Peut-être qu’au bord du précipice, l’herbe aimerait être une autre créature

Dote aussi de lignes les cailloux

Peut-être veulent-ils bouger

Dote la mer de lignes

Peut-être a-t-elle envie de nouvelles vagues

Dote la vapeur de lignes

Peut-être qu’elle aimerait retourner à toi

Si elle en connaissait le chemin.

N’oublie pas l’arbrisseau

N’oublie pas l’arbrisseau

Que tu as planté avant que tu ne deviennes eau,

Féconde-le de ton autre eau

Peut-être que, lui aussi, aimerait devenir une autre créature

Peut-être qu’il voudrait une descendance autre que celle du premier fruit, accrochée aux branches

Féconde-le avec ton eau qui court

Peut-être qu’au lieu de fruits il voudrait des enfants qui courent

Et jouent autour de lui.


Les arbres aussi ont le désir de marcher et de voyager

Le désir de mère d’avoir des enfants

Qui ne meurent pas sur place,

A leurs racines embrasse les arbres de ton autre eau

Et laisse-les sortir de terre

Et marcher.

La perplexité de la main

Il ouvre sa main et voit des cohortes de gens à pied

Qui circulent dans ses veines,

Vers où vont-ils ?

Vers son cœur ?

Ou vers les murs et les portes lorsqu’il les touche ?


S’il touche les choses

Vers elles partent-ils ceux qui résident dans ses veines ?

Il ne le sait pas

Et oscille entre

Toucher quelque chose

Ou garder sa main

Dans le vide.


Ni dans le sable ni dans les becs des oiseaux

Les oiseaux le reconnurent à ses yeux

Où des fourmis vivaient encore,

Il dit : « je vais reconstruire ma vie », mais

Sa vie resta la demeure des fourmis

Les oiseaux le connaissaient bien, depuis l’époque où ils cherchaient de la nourriture dans son jardin.


Il voulut sortir du sable et se reconstituer d’air

Une part de lui s’envola

Une part resta dans le sable

Une part s’éleva et disparut

Une part s’enfonça et devint introuvable,

Lorsqu’il voulut récupérer ses anciens membres, ils s’étaient déjà éparpillés

Et il ne vit plus jamais de fourmis dans le sable

Ni dans ses yeux

Ni dans le bec des oiseaux.

Il était là-bas

Il monta haut dans l’oubli

Et à la vue d’un vieux fantôme

Il glissa sur un souvenir et retourna

Au précipice.


Toutes les échelles étaient fabriquées par des gens qui n’aimaient pas les hauteurs

Et qui avaient oublié comment fonctionnent leurs pieds

Lui était assis avec eux

Silencieux comme eux

Sans histoire ni souvenir

Et le temps passait comme une mouche,

Inaperçu.

Autre œil

Par les brèches de son égarement

Il voyait,

Son œil est à présent une brèche d’égarement

Sphère qui tourne dans son sommeil.


Il ne voulait de son œil qu’un

Sommeil léger

Œil dont les cils sont des chemins pour les passants

Si l’un d’eux glisse

Il tombe dedans.

Œil qui garde, même fermé,

Ses vivants et ses morts.

S’il voulait dans le passé observer le monde, à sa surface aujourd’hui

La poussière de tous les univers.

Poussière de lieux et d’époques réduites à

Un point

Sur sa paupière.


Juste une poussière

Un point voulu

Dans son œil fermé.

Autres créatures

De sa brise qui passe naissent des créatures

Aériennes qui n’ont pas de lieu précis

Mais qui occupent tous les volumes

Et prennent toutes les formes.


L’espace dompté de lui-même par la vacuité

Créa pour lui les oiseaux,

Et la terre qui contempla longtemps ses déserts jusqu’à créer ses arbres

Abrita ses oiseaux

Plumes invisibles

Et ailes qui n’ont pas besoin d’air.


Une Terre nouvelle tourne dans son cœur

Dans sa brise de nouveaux passants

Inconnus des chemins empruntés par les vents anciens,

Passants sans forme ni ombre

S’ils voulaient un foyer

Les creux de son souffle

Suffiraient

A les loger tous.

Au bord du bégaiement

Commence son bégaiement,

A l’extérieur des mots

La forêt qu’il regarde et à laquelle il veut dire quelque chose

Ramasse ses arbres et s’éloigne

Du souvenir de ses premiers hommes

Et de ses premiers animaux.


Il prononce des fragments de mots, des parcelles de distances

Et pour marcher

Il s’appuie sur le vide autour de lui

Et sur la canne taillée dans son sommeil.


Au bord du bégaiement,

Un simple point

Pour passer

Ou tomber.


Et il veut

Poser la langue à sa frontière

Poser une oreille

A l’intérieur du point.

Presque

Il s’appuya

Presque

Sur une brise

Et laissa sa conscience sommeiller un temps long

Et aérien.


Il s’appuya

Presque

Sur une ombre

Qui cousait des chemises au vide pour que celui-ci

Ne refroidit pas en s’emplissant.


Il est presque sur le point

De dire quelque chose

De regarder quelque chose.


Presque

Sur le point d’abandonner ombre et conscience

Et de s’appuyer

Sur sa cécité.

Souvenir d’air

Il ne sait pas comment

En l’absence d’air

Il respire,

Peut-être s’agit-il d’un souvenir d’air

Qui traverse maintenant ses poumons.


Le souvenir aussi passe dans les poumons

Et le souffle parfois n’est pas air

Mais souvenir

Ceux qui entrent et qui sortent avec sa respiration ne sont pas ses parents ni

Des résidents mais des visiteurs passagers

Et lui n’habite pas dans sa respiration mais

Dans leur passage.


Il ne sait pas d’où vient son souffle ni où il habite

L’air le traverse

Et lui

Traverse ceux qui l’habitent.

Le voyage

Vers lui, immédiatement,

Sans bouger ni ciller

Comme s’il avait supprimé le sable, l’arbre et l’espace


Il pense être en lui

S’il bouge, il se perd

S’il fait un pas

Il n’arrive pas.

Sa langue

Sa langue, souvenir d’un souffle

Protégé

Dans son silence.

La langue

Ni l’appelant appelle, ni l’appelé écoute        c’est le vent

Qui converse avec son propre passage.

Il balance des mots dans le vent

Non pas pour dire quelque chose mais

Pour que les articulations des mots tombent en pièces

Et disparaissent.


La langue est dans ses infimes parcelles

La parole est

L’effacement de la voix.


Dans l’anéantissement des lettres

Dans le vent

La langue.

Le chemin

Efface aussi cette ombre dessinée par ton passage,

Tu as cru la route un dessin pour des chemins

Et la marche, des pas sur des dessins

Mais la route n’était pas des pas

Elle était l’ombre

Effacée.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Burt, C. (2003), "Connecting two shores with sound: Sa‘âdeh's world of loss", Edebiyât: The Journal of Middle Eastern Literatures, 14(1-2), p. 133-14
  • (en) Burt, C. (2010), "Loss and memory: The exilic nihilism of Wadī' Sa'ādah, Australia's Lebanese émigré poet", Journal of Arabic Literature, 41 (1-2), p. 180–195
  • Wadih Saadeh, Le Texte de l'absence et autres poèmes, Actes Sud, , 186 p. (ISBN 978-2742791385)

Liens externes[modifier | modifier le code]