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Histoire des émotions

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L'histoire des émotions est un nouveau courant historiographique mis en avant ces dernières années dans la recherche historique. Il découle de recherches françaises du début du XXe siècle. Ses précurseurs sont notamment Marc Bloch et Lucien Febvre qui ont fondé l'École des Annales. L'histoire des émotions peut se définir comme la série chronologique de conduites et de comportements mis en avant et normatifs dans une société ou un groupe défini. Cette histoire des émotions comprend également la manière dont les institutions encouragent ces comportements dans les relations avec les membres de cette société ou groupe défini[1].

Qu'est-ce qu'une émotion ?

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Une émotion est une réaction psychologique et physique provoquée par une situation déterminée. Il faut cependant distinguer l'émotion historique de l'émotion psychologique. Si cette dernière porte sur une structure cognitive et biologiquement universelle, l'émotion historique est le fruit de l'apprentissage de l'expression des sentiments dans une communauté selon ses normes culturelles.[2]

Certains savants, dans l'histoire, ont vu les émotions comme fixes, ne se modifiant pas par rapport à la société et communes à tout un chacun : c'est ce qu'on appelle l'invariant émotionnel. Charles Darwin fait partie de ces personnes : il pense que les émotions sont héréditaires ou innées.[3] Aristote, au travers de ses traités, a une autre opinion et pense que les émotions sont bien une construction sociale, se modulant en fonction de la position de la personne dans la communauté, de ses convictions et de la structure générale de la société. Marc Aurèle était du même avis que lui.[3] Aujourd'hui, les historiens s'entendent pour affirmer que les émotions ne sont nullement innées : elles sont structurées par la société dans laquelle le sujet vit. Les sentiments sont, au même titre que les mœurs, appris durant l'enfance. Les émotions sont donc liées aux normes et il est impératif lorsqu'on étudie une émotion d'examiner l'époque dans laquelle l'individu l'ayant ressentie évolue au quotidien, mais également sa position sociale, son genre, ses sensibilités,...[4]

Des historiens s'intéressent aux émotions depuis l'Antiquité. Cependant, le terme émotion recouvre, pour eux, des réalités différentes. Thucydide énonce que les émotions sont "ce qui donne de l'impulsion à l'action humaine". Polybe, lui, affirme que les sentiments et les émotions ont des conséquences nombreuses mais qu'elles sont parfois difficiles à analyser. Les historiens romains, souvent liés aux hommes puissants de leur époque et donc influencés par leurs discours sur la puissance de Rome, voient les émotions comme collectives, liées aux enjeux de grands acteurs. Karl Lamprecht s'est aussi intéressé aux émotions. Pour lui, elles rentrent également dans le champ de recherche des historiens mais pour ce faire, il faut croiser la recherche historique avec d'autres disciplines comme la psychologie ou l'anthropologie.[5]

L'histoire des émotions travaille sur différents champs liés aux émotions : le répertoire des émotions, les manières dont elles sont exprimées, le concept même d'émotion, ses significations dans la société, les conséquences de ces émotions dans la société et l'analyse des genres de production d'émotions (art, religion, musique,...).[6]

Aperçu des émotions à travers les différentes époques

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Les émotions ne changent pas réellement à travers les époques, c'est plutôt la manière dont elles sont exprimées qui varie.

Les émotions dans l'Antiquité

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Durant l'Antiquité, les émotions sont souvent modérées chez le citoyen. Le romain a un grand contrôle sur ses sentiments. Cela montre sa virilité et sa force. La société romaine transparaît à travers les émotions : la femme est passionnée (cela prouve sa soumission à l'homme qui lui, reste stoïque), les esclaves sont représentés dans les sources comme perdus (signe d'infériorité) et les barbares, comme cruels (hiérarchie entre le citoyen et l'étranger).[7] Cependant, malgré une forme de stoïcisme, la colère de l'homme est toujours admissible car elle est signe de pouvoir. La crainte des dieux est également une émotion fort présente dans les sources de l'antiquité.

On voit une certaine continuité entre les termes grec Pathos et romain Passio et leur signification. Cependant, des différences sont tout de même notifiables : le désir chez les romains transparait beaucoup plus dans les sources. De la même manière, la peur des dieux est moins forte chez les romains, ceux-ci ayant développé avec leurs dieux une forme de confiance en eux (fides) ; contrairement aux grecs où les dieux paraissent comme plus rancuniers.[8]

Les émotions au Moyen-Age

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Beaucoup d'historiens travaillant sur les émotions sont des médiévistes. Le Moyen-Age recouvrant un millénaire d'histoire, il est complexe de définir des pratiques émotionnelles qui ont eu cours durant toute la période. Il faut en effet étudier plus précisément chaque époque et communauté afin de pouvoir comprendre les enjeux émotionnels.

Différentes émotions reviennent souvent dans les sources du Moyen-Age. Au début de la période, les émotions sont semblables à celles de l'Antiquité mais peu à peu, la violence augmente. La brutalité élève les passions, les émotions sont être moins contenues. Les personnes de cette époque sont fortement croyantes la peur de Dieu est donc un élément primordial de l'étude des émotions au Moyen-Age. Tous voulaient également obtenir le salut. L'espérance face à ce paradis possible est fort présente. Il en est de même des relations de courtoisie qu'entretiennent les chevaliers dans le monde médiéval. L'amour courtois fait en effet son apparition à cette époque, il transparait dans beaucoup de sources littéraires de l'époque.[9]

Les émotions aux Temps Modernes

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Le terme émotion comme on le connait apparait au XVIe siècle, dans les premiers dictionnaires de l’époque. Tout comme au Moyen-Age, il est impossible de comprendre en quelques lignes toutes les pratiques émotionnelles des Temps Modernes, elles sont trop diverses et changent trop en fonction du siècle, du lieu et de la communauté. On peut cependant citer quelques exemple qui ont traversé l’époque. On peut remarquer une diminution de la violence grâce à une plus grande intervention de l’état dans ce domaine avec notamment l’interdiction du duel. Cette période est aussi témoin d’une valorisation de la délicatesse, de la grâce, qui transparait par exemple dans la cour de France avec son Etiquette. Le XVIIIe siècle verra naitre  la «  révolution sentimentale » : les sentiments, la fatalité vont passer au second plan pour laisser place à l’entendement, la Raison et aux Lumières.[10]

La nouvelle historiographie

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L'école des Annales et les grands historiens

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Depuis le début du XXe siècle, l'histoire des émotions a connu un tournant décisif. En effet, l'attrait pour ce pan de la recherche historique n'a fait qu'augmenter depuis cette époque. De grands historiens sont à l'origine de ce changement, notamment dans l'École des Annales, un courant historique français créé dans les années 1920 par Marc Bloch et Lucien Febvre. Ce courant historique est basé sur la thèse que l'histoire, afin d'être objective, doit être étudiée conjointement aux autres sciences sociales. De plus, les différentes générations d'historiens de l'École des Annales prônent également une histoire synthétique s'étalant sur une longue période plutôt qu'une micro-histoire[11].

La nouvelle historiographie est en effet intimement liée à l'anthropologie culturelle, par là même qu'elle en utilise de nombreux concepts. En particulier celui d'ethnocentrisme. Les historiens des émotions se doivent d'éviter cet écart qui est d'appliquer à une autre société son prisme et sa propre culture lors de l'étude de cette société. Pour faire de l'histoire des émotions, il est essentiel d'éviter de généraliser les émotions et l'expression des sentiments, ceux-ci étant vécus différemment selon l'endroit, l'époque et l'éducation.

Outre ces précepteurs - tels que Febvre, Bloch ou George Lefebvre - de nombreux grands historiens se sont plus récemment penchés sur l'histoire des émotions. Citons à titre d'exemples William Reddy et Barbara H. Rosenwein, dont nous reparlons ci-dessous, Peter Strearns ou encore Damien Boquet.

Au cours du siècle dernier, l'histoire des émotions est devenue un domaine de la recherche historique de plus en plus productif et étudié. Le champ de recherche converge méthodologiquement vers de nouvelles approches historiographiques telles que l'histoire conceptuelle, le constructivisme historique et l'histoire du corps.

Similaire à la sociologie des émotions ou à l'anthropologie des émotions, l'histoire des émotions part du principe que les sentiments et leurs expressions ne sont pas acquis et nécessitent dès lors un apprentissage. La culture et l'histoire évoluent et c'est également le cas des sentiments et de l'expression de ceux-ci. La pertinence et la puissance sociale des émotions est variable historiquement et culturellement parlant. Selon de nombreux historiens, les émotions représentent une catégorie de l'histoire aussi fondamentale que les classes, les races ou le genre.

Communauté émotionnelle

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B. Rosenwein, dans plusieurs de ses ouvrages, utilise le terme communauté émotionnelle. Ce concept nouveau représente selon elle un aspect des communautés sociales inhérent à chaque groupe d'individus, peu importe la taille de celui-ci. Il s'agit de la façon qu'ont ces communautés d'appréhender les émotions et de les intégrer à leur société. A l'instar des communautés sociales, il peut y avoir plusieurs communautés émotionnelles dans une société et celles-ci peuvent se chevaucher. Elle propose ce concept comme un outil pour faire l'histoire des émotions[6]. Ce concept semble faire écho à celui de Gemeinde de Max Weber ou aux concepts anthropologiques de Marcel Mauss. De fait, selon Rosenwein, l'histoire des émotions est intimement liée à celle de l'anthropologie culturelle. Cependant, la communauté émotionnelle n'est pas un concept hérité de ces anthropologues et sociologues, pas plus qu'il ne s'apparente au concept de régime émotionnel de W. Reddy. Ces deux-là se confondent pourtant aisément[12].

Régime émotionnel

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Le régime émotionnel de Reddy fait partie d'un concept d'opposition binaire où le régime émotionnel fait face au régime dominant. Reddy s'appuie sur le concept d'émotif, c'est-à-dire la capacité à transformer un état émotionnel en sentiment par l'expression des émotions. Il considère pour sa part les émotions comme un tout[6].

Tensions épistémologiques

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L'histoire des émotions s'applique à un champ très large et les limites de celui-ci sont floues. Le terme émotion en lui-même n'a pas la même signification pour tous les historiens. Il est normal que des tensions épistémologiques soient apparues. Au sein de la communauté des historiens des émotions, on trouve deux approches. La première consiste à considérer les émotions comme biologiquement innées, semblables pour tout un chacun et ayant un caractère anti-historique. La seconde voit les émotions comme inhérentes à la culture et à l'apprentissage de l'expression des émotions qui en découle. Une tension épistémologique est également présente entre le dit et l'éprouvé. Ces deux aspects des émotions sont en fait liés. Le langage peut aussi bien servir à limiter qu'à exacerber les sentiments, tandis que le corps ne transmet pas toujours les émotions comme prévu (ex: les larmes de joie). Enfin, il existe deux écoles d'historiens des émotions. L'une préfère considérer les émotions comme directement liées à une communauté, à un collectif large, tandis que l'autre école pense que le vécu des émotions et leurs expressions sont profondément personnels et propres à chacun[13].

La méthodologie et les sources de l'histoire des émotions

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Différentes approches méthodologiques ont été abordées ces dernières années dans l'histoire des émotions. Certains historiens ont limité leurs recherches à une analyse historique des normes et règles en matière d'émotions à une époque donnée. D'autres ont agrandi leur angle d'approche en incluant différents concepts tels que la communauté émotionnelle et le régime émotionnel (voir supra). Lorsqu'on étudie l'histoire des émotions est impératif d'agrémenter la recherche avec d'autres disciplines des sciences sociales telles que la psychologie et l'anthropologie.[14]

On pourrait croire que l'histoire des émotions se pratique en utilisant exclusivement des sources où les gens abordent eux-mêmes leurs émotions (journaux intimes, autobiographies, mémoires, éventuellement plus récemment des e-mails ou conversations téléphoniques, etc) mais en réalité les sources sont très diverses. Ce domaine de la recherche peut également être approfondi avec l'archéologie, l'épigraphie, la littérature grecque et latine(notamment le théâtre), les sources diplomatiques, les chroniques, traités religieux et diplomatique, les traités sur l'étiquette,... Presque tous les types de sources peuvent aider les historiens à mieux comprendre les émotions et leur évolution au fil du temps. [15][16]

Jan Pampler déclare qu'il existe un vocabulaire émotionnel spécifique dans les sources.[17] Walter Andrews affirme lui que les émotions ne transparaissent pas uniquement dans un type de vocabulaire mais également dans des cérémonies, des musiques, de l'art,...[18]

Notes de bas de page

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  1. (en) Stearns P. N., « Clarifying the history of emotions and emotional standards », The american historical review,‎ , p. 813-836
  2. Sère B., « Histoire des émotions. L'heure des synthèses. Notes critiques. », Revue de l'histoire des religions,‎ , p. 119-132 (lire en ligne)
  3. a et b Sartre M., « Les Grecs », Corbin A., Courtine J.-J., Vigarello G. (sous la dir.), Histoire des émotions,‎ , p. 18-20
  4. (en) Plamper J., The history of emotions. An introduction., New York, Oxford University Press, , p. 39
  5. (en) ibid., p. 43
  6. a b et c (en) Lililequist J., A history of emotions. 1200-1800., New-York, Routledge, , p. 10-12
  7. Corbin A., Courtine J.-J., Vigarello G. (sous la dir.), Histoire des émotions. De l'Antiquité aux Lumières., Paris, Seuil, , p. 9
  8. Ibid, p. 9, 15-16
  9. Ibid., p. 89-90
  10. Ibid., p. 215-218
  11. Boquet D. et Nagy P., « Une histoire des émotions incarnées », Médiévales,‎ , p. 6 (lire en ligne)
  12. Boquet D., « Le concept de communauté émotionnelle selon B. H. Rosenwein », Bulletin du centre d'études médiévales d'Auxerre BUCEMA,‎ 2013, hors-série n°5 (lire en ligne)
  13. Deluermoz Q., Fureix E., Mazurel H. et Oualdi M., « Ecrire l'histoire des émotions : de l'objet à la catégorie d'analyse », Revue d'histoire du XIXe siècle,‎ , p. 155-189 (lire en ligne)
  14. (en) Liliequist J., op.cit., p. 1-2
  15. (en) Plamper J., op.cit., p. 33-36
  16. Corbin A. Courtine J.-J. et Vigarello G., op.cit., p. 89, 215-218
  17. (en) Plamper J., op.cit., p. 33-36
  18. (en) Liliequist J., op.cit., p. 2