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Télégonos (fils d'Ulysse)

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Dans la mythologie grecque, Télégonos (en grec ancien Τηλέγονος / Tēlégonos), aussi appelé Télégone ou Télégonus, est un héros, fils de Circé et Ulysse. Personnage principal de la Télégonie, il tue son père sans le reconnaître avec une lance se terminant par à un aiguillon de raie, avant d'épouser Pénélope.

Étymologie

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En grec ancien, le nom de Télégonos est Τηλέγονος / Tēlégonos[1]. Il est formé de τῆλε / tēle (« loin ») et du verbe γίγνοµαι / gígnomai (« naître »)[2] : il signifie littéralement « né au loin », en référence à sa naissance sur l'île d'Ééa, par opposition à son frère Télémaque, né à Ithaque, la patrie de leur père Ulysse[2],[3].

En latin, Télégonos se nomme Telegonus[4]. Son nom est parfois francisé en Télégonus ou en Télégone[réf. souhaitée].

Le mythe de Télégonos n'apparait pas dans l'Odyssée d'Homère mais dans des textes postérieurs, notamment dans la Télégonie d'Eugammon de Cyrène, poème perdu du Cycle troyen qui porte son nom[3],[5].

Naissance et filiation

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Salomon de Bray, Ulysse et Circé, entre 1650 et 1655, Frances Lehman Loeb Art Center (en).

Télégonos est le fils du héros Ulysse et de la sorcière Circé : il naît et est élevé par sa mère sur l'île d'Ééa, sur laquelle Ulysse s'arrête au cours de son retour de Troie[5]. Cette filiation est notamment rapportée par Hésiode[α], le Pseudo-Apollodore[β] et Hygin[γ]. Eustathe de Thessalonique, dans son Commentaire à l'Odyssée, indique de manière erronée Calypso comme la mère de Télégonos[3].

Certains auteurs notent l'existence de frères de Télégonos : Hésiode mentionne Agrios et Latinos[α],[3] et Hygin évoque Nausithoos[δ],[6].

Départ pour Ithaque et meurtre d'Ulysse

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À l'âge adulte, Télégonos apprend l'identité de son père et décide de se rendre à Ithaque pour le rencontrer. Alors qu'il s'en prend aux troupeaux de l'île, le jeune homme est attaqué par Ulysse, qui ne le reconnaît pas. Télégonos le blesse mortellement à l'aide de sa lance, qui se termine par un aiguillon de raie pastenague, fabriquée par Héphaïstos[3],[7]. C'est alors que les deux hommes se reconnaissent mutuellement[5]. Athéna les console, en leur disant que tel était leur destin.

Sophocle, dans la pièce perdue intitulée Ulysse blessé par l’aiguillon (en) (Ὀδυσσεὺς ἀκανθοπλήξ / Odysseùs akanthoplḗx), fait le lien avec deux prophéties concernant la mort d'Ulysse : celle du devin Tirésias, prononcée dans l'Odyssée, qui annonce au héros une mort « venue de la mer »[a], et celle de l'oracle de Dodone, qui lui prévoit d'être assassiné par son fils, identifié à tort comme Télémaque[10].

Retour à Ééa et mariage avec Pénélope

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Télégonos et Télémaque, réconciliés, ramènent et enterrent le corps d'Ulysse sur l'île de Circé, accompagnés de Pénélope, la veuve du héros[3]. Dans le version rapportée par une scholie à un texte de Lycophron, la sorcière le ressuscite[11].

Les deux frères se marient ensuite à leurs belles-mères respectives : Télémaque avec Circé et Télégonos avec Pénélope[3]. Ces derniers sont envoyés par Circé dans les Îles des Bienheureux[3],[5].

Du mariage de Pénélope et de Télégonos naît Italos, qui donne son nom à l'Italie[3],[5]. Des auteurs latins attribuent également à Télégonos la fondation de plusieurs villes italiennes[3],[5] : Tusculum[ε],[ζ], Préneste[η] et Caere[θ].

Représentation

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Image externe
Fragment de vase apulien à figures rouges représentant Télégonos et Circé sur Digital LIMC.

Télégonos n'est clairement identifié que dans une seule représentation antique, sur un fragment de vase apulien à figures rouges daté d'environ , découvert à Akrai et conservé au musée des Beaux-Arts de Budapest[12]. Télégonos et Circé, tous les deux nommés, sont représentés dans une mise en scène légèrement différente de la tradition littéraire : la déesse tend à son fils un arc, plutôt que la lance à l'aiguillon de raie qui cause la mort d'Ulysse[12].

Postérité

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Dans le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, le mythe du meurtre d'Ulysse par Télégonos apparaît[13],[14]. Cet assassinat est annoncé à Ulysse sous la forme d'un rêve prémonitoire[14].

Gilles-Anne-Xavier de La Sante écrit une tragédie intitulée Télégone reconnu fils d’Ulysse[15], représentée le avec le ballet Le Mariage de Thésée et d’Hippolyte et le avec Le Ballet de Mars[16].

Jean Giono reprend le motif de l'assassinat d'Ulysse par Télégonos à la fin de son premier roman Naissance de l'Odyssée, une réécriture de l'épopée homérique, à partir des textes et des traductions de Victor Bérard[17].

Télégonos apparait dans le roman Circé (en) de l'autrice américaine Madeline Miller, une réécriture de la mythologie grecque à travers le regard de Circé[18],[19]. Le personnage de Télégonos et sa relation avec Télémaque explorent notamment « les thématiques de la filiation, de l’honneur et de l’immortalité de l’âme »[19].

Notes et références

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  1. L'expression ambigüe « ἐξ ἁλός / ex halós », employée dans l'Odyssée (XI, 135), peut annoncer une mort « loin de la mer » ou « venue de la mer »[8]. La prophétie peut soit annoncer le retour d'Ulysse chez lui sans qu'il ne meure en mer, soit présager son meurtre par Télégonos ; cette deuxième interprétation est dite « télégonique »[9].

Références

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  1. Gérard Gréco et al., « Τηλέγονος », sur Bailly 2020 Hugo Chávez (consulté le ).
  2. a et b (it) Ezio Pellizer et al., « Dizionario Etimologico della Mitologia Greca » [archive] [PDF], sur demgol.units.it.
  3. a b c d e f g h i et j Zimmermann 1997, p. 1191.
  4. Gérard Gréco et al., « Telegonus », sur gaffiot.fr (consulté le ).
  5. a b c d e et f Grimal 1994, p. 440.
  6. Grimal 1994, « Nausithoos 3 », p. 310.
  7. Carruesco 2006, § 1 et 3.
  8. Carruesco 2006, § 1.
  9. Pierre Brunel, « Émergence, flexibilité, irradiation », dans Mythocritique, Grenoble, UGA Éditions, (lire en ligne), p. 65-76.
  10. (en) Dana Ferrin Sutton, The lost Sophocles, Lanham, University Press of America, , 190 p. (ISBN 978-0-8191-4030-2, lire en ligne Accès limité), « Odysseus Acanthoplex ("Odysseus struck by a fish bone") », p. 91.
  11. Carruesco 2006, § 11.
  12. a et b Zimmermann 1997, p. 1191-1192.
  13. Henri Coulet, Le Roman jusqu'à la Révolution, Paris, Armand Colin, , 638 p. (ISBN 978-2-200-29154-9, lire en ligne Accès payant), chap. I (« Le roman aux XIIe et XIIIe siècles »), p. 38.
  14. a et b Mireille Demaules, « Les songes médiévaux au risque de la psychanalyse : écueil méthodologique ou enrichissement interprétatif ? », Littérature, no 148 « Le Moyen Âge contemporain. Perspectives critiques »,‎ , p. 57 (lire en ligne Accès libre, consulté le ).
  15. Télégone reconnu fils d'Ulysse, tragédie, sera représentée au collège de Louis le Grand pour la distribution des prix fondez par sa majesté, Paris, Jean Barbou, (lire en ligne Accès libre).
  16. Marie Demeilliez, « La circulation des danseurs parisiens au XVIIIe siècle : des théâtres professionnels aux ballets jésuites », Littératures classiques, no 113 « Théâtres à recettes et spectacles non payants (1661-1791). Circulations, créations, transversalité »,‎ , p. 62 (lire en ligne Accès payant, consulté le ).
  17. Cyrille François, « Récrire l'Odyssée au XXe siècle. Mensonge et création littéraire dans Naissance de l'Odyssée de Jean Giono et Strändernas svall d'Eyvind Johnson », Revue de littérature comparée, vol. 2008-2, no 326,‎ , p. 151-174 (lire en ligne Accès libre, consulté le ).
  18. Raphaëlle Leyris, « Madeline Miller réenvoûte Homère », Le Monde,‎ (lire en ligne Accès payant, consulté le ).
  19. a et b Cyrille Ballaguy, « Circé », Actualités des études anciennes,‎ (lire en ligne Accès libre, consulté le ).

Sources antiques

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Bibliographie

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Articles et études

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  • Jesús Carruesco, « La rame et l’aiguillon. Les morts d’Ulysse », Mètis, no n. s. 4,‎ , p. 123-137 (lire en ligne Accès libre, consulté le ).

Dictionnaires et encyclopédies

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Textes antiques

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Lien externe

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