Syzygos
Dans la religion manichéiste, le Syzygos (en grec étymologiquement "con-joint", en parthe appelé yamag ou yamag rōšan soit "jumeau brillant") aussi appelé le Jumeau est le double spirituel de Mani, qui, d'après Mani, lui aurait révélé ses origines, sa nature et la révélation en elle-même, ainsi que "les secrets des Éons"[1],[2] quand Mani avait douze puis vingt-quatre ans[3]. Ces visions ont changé la vision du monde de Mani, ce qui a entrainé son expulsion de la secte elkasaïte où il avait grandi, à vingt-quatre ans[4]. Le Jumeau aurait demandé à Mani de sortir et de prêcher au monde[5]. Le Jumeau céleste de Mani a été identifié, notamment par Mani lui-même, au Paraclet, "l'Esprit de Vérité" annoncé par Jésus, qui viendrait après lui pour consoler et éclairer les hommes[6]. Il n'est cependant pas tout à fait clair si ce n'est pas Mani lui-même qui est considéré comme le Paraclet dans la pensée manichéenne[7]: les textes manichéens de l'Asie centrale identifient Mani au Paraclet, plus que le Syzygos[8]. Dans tous les cas, Mani a proclamé avoir été en unité avec le Syzygos, avoir fait un, corps et âme[9]. On trouve, dans le Codex Mani de Cologne (CMC 24:3-14), la phrase:
"J'ai cru qu'il m'appartient et qu'il est (à moi) et (qu'il) est un bon et excellent conseiller. Je l'ai reconnu et j'ai compris cela, car je suis lui depuis que j'ai été séparé de lui. Je témoigne que je suis celui qui est inébranlable."[10]
L'existence de ce jumeau, le Paraclet ou "l'Esprit de Vérité" est fondamentale dans le manichéisme, puisqu'elle justifie la conception de Mani comme Sceau de la Prophétie et dernier prophète de tous les temps[2]: il a reçu le parachèvement de la Vérité totale et absolue. De la même façon que Mani a été éclairé par le Syzygos, dans la pensée manichéenne, l'humanité tout entière peut être — et doit être — éclairée et éveillée par le message de Mani[11]. C'est grâce au Syzygos que Mani peut sauver et racheter les péchés.[12] De plus, le Syzygos a un pouvoir de guérison sur Mani, qui permet à Mani d'accomplir son rôle de "médecin du monde". Dans le Codex Manichéen de Cologne, le Syzygos dit: "En réalité, je te montrerai avec la main toute chose, et je serai pour toi comme un miroir, afin que la sagesse se manifeste en toi et que tu sois libéré de la maladie."[13] On peut également y lire, de la part de Mani:
"Il (le Syzygos) m'a apporté la plus belle espérance; et la rédemption pour ceux qui souffrent, les conseils et pensées les plus véridiques et également l'imposition des mains venue de mon Père"[5].
Mani et son Syzygos sont considérés comme faisant partie d'un couple.[14] La mort de Mani, "l'Apôtre de Lumière", est considérée par les manichéens comme la réunion de celui-ci avec le Jumeau céleste.
Syzygos dans le christianisme
[modifier | modifier le code]Le mot Syzygos (σύζυγος) est mentionné dans l'Épître aux Philippiens 4:2-3: Euodia et Syntyche, deux femmes, des cheftaines dans l'Église philipienne, sont encouragées à être en concorde, et le σύζυγος est appelé à travailler avec elles. Le terme syzygos est ici une métaphore pour que la congrégation philipienne soit unie, concrètement il désigne la coopération avec le ministère d'Euodia et de Syntyche, demandée par Paul [15]. Il a été proposé que syzygos dans ce contexte soit un nom propre, mais cela est peu probable, d'abord parce qu'on ne le trouve nulle part comme nom propre, et ensuite parce que dans 4:2-3, Paul utilise plusieurs noms commençant par συν- et συ-, ce qui est une forme de figure de style, enfin le terme γνησιος dans la même phrase, rend cette hypothèse tout à fait improbable, cf. Fellows & Steward 2018: 232.
Le Syzygos connaîtra cependant une histoire plus complexe dans le christianisme. En effet, dans le judéo-christianisme des origines (c'est-à-dire le christianisme des premiers convertis juifs et de leurs descendants), il existait une forme de Trinité, dont le troisième élément était un Saint Esprit féminin, compris parfois comme la Mère ou la Sœur (mystique) de Jésus Christ[16]. De plus, dans l'autobiographie (fictionnelle) de Clément de Rome, on retrouve l'idée que Dieu est accompagné d'un syzygos surnaturel mâle-femelle. Dans ce texte précis, le syzygos mâle est le prototype cosmique de Jésus (tandis que le féminin est le principe du mal)[17]. Il est remarquable qu'en moyen-perse, le Syzygos soit appelé narǰamīg[18], soit littéralement "jumeau mâle", qui semble être une référence directe à ce fait. On peut donc concevoir que l'idée du Syzygos de Mani ait été influencée, ou même peut-être basée sur des enseignements judéo-chrétiens, et sur cette conception du jumeau divin, membre d'une ancienne Trinité judéo-chrétienne.
Références
[modifier | modifier le code]- Gardner et Lieu 2004, p. 10.
- Hoffmann 2001, p. 78.
- Gardner et Lieu 2004, p. 4.
- Gardner et Lieu 2004, p. 30.
- Piras 2021, p. 22.
- Hoffmann 2001, p. 77.
- Sundermann, 1988: 201, 210
- Sundermann, 1988: 212
- Sundermann, 1988: 202
- έπιστευσα δ' αὐτὸν ἐμὸν καὶ ὄντα καὶ σύμβουλου ἀγαθὸν καὶ χρηστὸν ὄντα. Ἐπέγνων μὲν αὐτὸν καὶ συνῆκα ὅτι ἐκεῖνος ἐγώ εἰμι ἐξ οὗ διεκρίθην. Ἐπεμαρτύρησα δὲ ὅτι ἐγὼ ἐκε[ῖ]νος αὐτός εἰμι άκλόν[ητο]ς ὐπάρχων
- Hoffmann 2001, p. 101.
- Cirillo 1992, p. 194.
- Piras 2021, p. 21.
- Cirillo 1992, p. 192.
- Fellows & Steward 2018: 229
- de Blois 2002: 15
- de Bois 2002: 15
- Durkin-Meisterernst, Desmond. Dictionary of Manichaean Middle Persian and Parthian Turnhout: Brepols p. 244
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Luigi Cirillo, « ""Hermae Pastor" and Revelatio Manichaica". Some Remarks" », dans Gernot Wießner & Hans-Joachim Klimkeit, Studia Manichaica. II. Internationaler Kongreß zum Manichäismus, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, , p. 189-197.
- (en) François de Blois, « Naṣrānī (Ναζωραῖος) and ḥanīf (ἐθνικός): studies on the religious vocabulary of Christianity and Islam », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, vol. 65, , p.1-30
- (en) Richard G. Fellows et Alistair C. Stewart, « "Euodia, Syntyche and the Role of Syzygos. Phil 4:2-3". », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, vol. CIX, , p.222-234 (lire en ligne).
- (en) Iain Gardner et Samuel N. C. Lieu, Manichaean Texts from the Roman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, .
- (de) Andreas Hoffmann, « Erst einsehen, dann glauben. Die nordafrikanischen Manichäer zwischen Erkenntnisanspruch, Glaubensforderung und Glaubenskritik », dans Johannes van Oort, Otto Wermelinger & Gregor Wurst, Augustine and Manichaeism in the Latin West. Proceedings of the Fribourg-Utrecht Symposium of the International Association of Manichaean Studies, Leiden - Boston - Köln, Brill, , p.67-112.
- (it) Andrea Piras, « "Sono un medico, vengo dalla terra di Babilonia". Ideologie, pratiche di salute e terapie di salvezza nel manicheismo », Civiltà e Religioni, vol. VII, , p.11-38 (lire en ligne).
- Sundermann, Werner (1988). "Der Paraklet in der Ostmanichäischen Überlieferung" dans Peter Bryder (ed.) Proceedings of the First International Conference on Manichaeism. Lund University: AAR, 201-212.