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Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit

À M. David, statuaire.

(…) Et j'ai prié, et j'ai aimé, et j'ai chanté, poète pauvre et souffrant! Et c'est en vain que mon cœur déborde de foi, d'amour et de génie!

C'est que je naquis aiglon avorté! L'œuf de mes destinées, que n'ont point couvé les chaudes ailes de la prospérité, est aussi creux, aussi vide que la noix dorée de l'Égyptien.

Ah! l'homme, dis-le-moi, si tu le sais, l'homme, frêle jouet, gambadant suspendu aux fils des passions, ne serait-il qu'un pantin qu'use la vie et que brise la mort?

Aloysius Bertrand (1807-1841) – Gaspard de la nuit (1842, posthume)

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s:Lignes de faille

Nancy Huston - Enfants volés

Au moment où on s'approche de la maison - avant que mère ne nous crie dessus parce qu'on est en retard et qu'elle était morte de peur, avant qu'elle ne punisse Johann en 1'envoyant au lit sans souper, avant que la sirène ne se mette à hurler au milieu de la nuit, précipitant toute la famille dans la cave pieds nus et en pyjama, avant que toutes ces choses ne viennent briser la féerie de mouvement et de lumière et de musique qui jouait dans mon cœur pendant la longue marche de retour dans le noir aux côtés de Johann -, oui, juste au moment où on s'approche de la maison, Johann lâche la corde de la luge et me prend par les épaules et me tourne vers lui.

Posant un doigt sur ses lèvres, il me dit dans son allemand lent et singulier : "Pas Johann : Janek. Pas allemand : polonais. Pas adopté : volé. Mes parents sont vivants, ils habitent à Szczecin. Je suis volé, ma chère Fausse-Kristina. Et toi aussi."

Nancy HustonLignes de faille (éd. Actes Sud – 2006 , page 430)

s:Gaspard de la nuit- À M. David, statuaire

Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit

À M. David, statuaire.

(…) Et j'ai prié, et j'ai aimé, et j'ai chanté, poète pauvre et souffrant! Et c'est en vain que mon cœur déborde de foi, d'amour et de génie!

C'est que je naquis aiglon avorté! L'œuf de mes destinées, que n'ont point couvé les chaudes ailes de la prospérité, est aussi creux, aussi vide que la noix dorée de l'Égyptien.

Ah! l'homme, dis-le-moi, si tu le sais, l'homme, frêle jouet, gambadant suspendu aux fils des passions, ne serait-il qu'un pantin qu'use la vie et que brise la mort?

Aloysius Bertrand (1807-1841) – Gaspard de la nuit (1842, posthume)

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s:Sables mouvants- Prévert

Jacques Prévert - Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert (1900-1977) – Paroles (éd. Gallimard - 1946/1949) (Poème mis en musique par Joseph Kosma)

s:Vauban - G. Bruno

G. Bruno - Vauban

Au même siècle que Bossuet , dans la Bourgogne naquit le jeune Vauban.

Dès l'âge de dix-sept ans il s'engagea comme soldat, et se fit tout de suite remarquer par son courage. Un jour, au siège d'une petite ville dont les murs étaient entourés par une rivière, il se jeta à la nage et, montant sur les remparts, entra le premier dans la place.

Si Vauban n'avait été que brave, son nom eût pu être oublié dans un pays où la bravoure est si peu rare ; mais Vauban était studieux, et tous ses loisirs, il les consacrait à l'étude. Il s'occupait des sciences ; il lisait au milieu des camps des livres de géométrie. Il obtint le grade d'ingénieur, et ce fut comme ingénieur qu'il montra son génie. Le roi Louis XIV le chargea de fortifier nos principales places de guerre. Toute la ceinture de places fortes qui défend la France est son œuvre : Dunkerque, Lille, Metz, Strasbourg, Phalsbourg, Besançon et plus de trois cents autres.

— Quoi ! s'écria le petit Julien, c'est Vauban qui a fortifié Phalsbourg, où je suis né, et Besançon, dont j'ai si bien regardé les murailles ! Voilà un grand homme dont je n'oublierai pas le nom à présent. Puis il reprit sa lecture.

G. Bruno ( 1833-1923) – Le Tour de la France par deux enfants - 1877 (page 101) [1]

s:Howl -Allen Ginsberg

Allen Ginsberg - HOWL

J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés hystériques nus,

se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une furieuse piqûre,

initiés à tête d’ange brûlant pour la liaison céleste ancienne avec la dynamo étoilée dans la mécanique nocturne,

qui pauvreté et haillons et œil creux et défoncés restèrent debout en fumant dans l’obscurité surnaturelle des chambres bon marché flottant par-dessus le sommet des villes en contemplant du jazz,

qui ont mis à nu leurs cerveaux aux Cieux sous le Métro Aérien (...)

Allen Ginsberg (1926-5/04/1997) - Howl (début) - (Christian Bourgois éditeur, 1956) [2]

s:Sherlock Holmes - Conan Doyle

Sherlock Holmes

Holmes n’était certes pas un homme avec qui il était difficile de vivre. Il avait des manières paisibles et des habitudes régulières. Il était rare qu’il fût encore debout après dix heures du soir et invariablement, il avait déjeuné et était déjà sorti avant que je ne me lève, le matin. Parfois il passait toute la journée au laboratoire de chimie, d’autres fois, c’était dans les salles de dissection, et de temps à autre en de longues promenades qui semblaient le mener dans les quartiers les plus sordides de la ville. Rien ne pouvait dépasser son énergie quand une crise de travail le prenait ; mais à l’occasion une forme de léthargie s’emparait de lui et, pendant plusieurs jours de suite, il restait couché sur le canapé du studio, prononçant à peine un mot, bougeant à peine un muscle du matin jusqu’au soir. En ces circonstances j’ai remarqué dans ses yeux une expression si vide, si rêveuse que j’aurais pu le soupçonner de s’adonner à l’usage de quelque narcotique, si la sobriété et la rectitude de toute sa vie n’eussent interdit une telle supposition.

Arthur Conan Doyle - Une étude en rouge 1887 - (Chapitre 2)


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