Nongnu

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Nongnu
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Scène du film : Jampa (Wangdui) est pris par l'épaule par un soldat de l'Armée populaire de libération.
Réalisation Li Jun
Scénario Huang Zongjiang
Acteurs principaux
Sociétés de production Studio du 1er août
Pays de production République populaire de Chine
Genre Propagande
Durée 88 minutes
Sortie 1963

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Nongnu appelé en tibétain Shingdren tibétain : ཞིང་བྲན, Wylie : zhing bran, chinois simplifié : 农奴 ; pinyin : Nongnu), et Serfs en anglais, aussi appelé Jampa, est un film de propagande chinois[1] réalisé par Li Jun en 1963. Nongnu est un mot mandarin signifiant « serf ».

Le scénario a été écrit par l'écrivain chinois Huang Zongjiang. Le film a été tourné dans le studio du 1er août, une société de production qui a appartenu à l'armée populaire de libération chinoise[2].

Le film commence par les mots suivants : « C'est une histoire de sang et de larmes de servage. Il s'agit d'un compte rendu de l'histoire de la vie et de l'esclavage de milliers de Tibétains »[3].

Scénario[modifier | modifier le code]

Le film raconte l'histoire d'un jeune orphelin serf, Jampa, dont les parents ont été tués par un propriétaire cruel. Jampa trime comme un « cheval humain » pour le fils du propriétaire, et est tellement affamé qu'il vole les offrandes de pâte de tsampa (tormas) d'un monastère. Il est pris par des moines apparaissant brutaux et battu sans pitié. Les moines lui disent que puisqu'il a volé et mangé des tormas sacrés, il sera muet. Jampa est incapable de parler à partir de là, et subit les tortures de ses maîtres féodaux. Enfin, l'armée populaire de libération marche vers le Tibet. Après quelques scènes de batailles et d'oppression, Jampa est finalement libéré. Jamba libère alors un cri d'angoisse et prononce ses premiers mots : le nom du président Mao[4]!

Fiche technique[modifier | modifier le code]

Le film a été tourné en partie en tibétain[5].

Distribution[modifier | modifier le code]

Critiques[modifier | modifier le code]

Dans Serfs: From Script to Screen, Huang Zongjiang écrit qu'il n'avait qu'une connaissance limitée du Tibet et de son histoire. Il a voyagé trois fois dans la région avant et durant le tournage, et n'y resta que quelques mois. Les renseignements qu'il avait, provenaient en totalité des documents du parti communiste chinois[2].

Ce film a été projeté dans toute la Chine et au Tibet et les écoliers ont été invités à le voir. Le film a été probablement efficace, en particulier pour le public chinois, en transmettant le message que l'ancien Tibet était « l'enfer sur terre », mais la représentation du peuple tibétain dépeint comme sale et barbare a offensé de nombreux Tibétains, notamment à Lhassa. Les citoyens de la ville ne se réfèrent pas au film par son titre officiel de serf, mais comme Torma Kuma ou Le Voleur de Torma. Le vol d'un objet religieux (même un objet insignifiant comme un gâteau de tsampa) revêt une plus grande importance dans l'esprit des Tibétains que la lutte des classes et les aspects révolutionnaires du film[4].

Pour Tseten Wangchuk, spécialiste de la politique sino-tibétaines, ce qui est notable à propos de ce film n'est pas simplement qu'il propage une construction négative de l'ancien Tibet, mais que cette construction particulière s'appuie sur des stéréotypes de longue date des Tibétains dans l'imaginaire chinois : les Tibétains sont vus comme sauvages et arriérés. D'une part, un stéréotype qui fournit la logique culturelle à la colonisation. Dans le cadre de l'évolution de l'historiographie chinoise, les Tibétains et d'autres minorités dites nationales sont loin derrière et doivent donc être civilisés par les Han plus avancés. Sur un autre plan, ce stéréotype négatif renforce le pouvoir de la haine raciale et crée la possibilité de la discrimination raciale dans tous les domaines de la vie sociale, politique et économique[7].

Pour Mikel Dunham, ce film est un chef-d'œuvre de la propagande communiste chinois, un film de révisionnisme historique[8].

Warren W. Smith estime que le film a fabriqué un mythe[9]. Selon lui, le film couvre tous les grands thèmes de la propagande chinoise sur le Tibet. Les serfs étaient exploités et réprimés sans pitié. Il n'y avait que travail et oppression et souffrance dans leur vie. Tous les Tibétains étaient des serfs, sauf les seigneurs, leurs agents, les lamas et les moines. Les seigneurs féodaux et les lamas étaient mauvais sans limite et totalement dénués de compassion dans leur traitement des serfs[10]. Le thème de cette propagande est que le Tibet était un enfer implacable sur Terre pour les serfs, qui sont la majorité de la population et ont été réprimés par une infime minorité de propriétaires et de lamas rapaces. Les serfs ont été libérés par l'héroïque et bienveillante APL, et les Tibétains, à quelques exceptions près, sont éternellement reconnaissants à l'APL et au gouvernement chinois pour leur libération. La propagande simpliste du film se reflète dans l'opinion de nombreux Chinois sur le Tibet. Cette opinion dérivée de la propagande chinoise, comme ce film, est devenue plus qu'une opinion ou une idéologie, elle forme maintenant essentiellement une mythologie chinoise sur le Tibet. Puisque cette mythologie est intimement liée à l'idéologie anti-impérialiste des communistes chinois, la plupart des Chinois sont grandement offensés par toute contestation de cette version de l'histoire. Même ceux qui ont abandonné l'idéologie marxiste s'accrochent encore à l'idéologie anti-impérialiste au sujet du Tibet. Abandonner cette idéologie voudrait dire qu'ils n'étaient pas les libérateurs des Tibétains du féodalisme et de l'impérialisme étranger, mais étaient eux-mêmes des impérialistes[11].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Brice Pedroletti, Politique en chambre, Le Monde, 21 mars 2013
  2. a et b (en) John Powers (2004) History as Propaganda: Tibetan Exiles versus the People's Republic of China, Oxford University Press, (ISBN 978-0195174267); p.p. 123-125
  3. (en) Warren W. Smith, China's Tibet?: Autonomy Or Assimilation, p. 97 : « Serf begins with a written foreword: This is a blood and tears story of serfdom. It is an account of the life story and enslavement of thousands of Tibetans. »
  4. a et b (en) Jamyang Norbu, The Happy Light Bioscope Theatre & Other Stories, part 2, 22 février 2010
  5. Brigitte Duzan, Li Jun Chinese movies, 3 décembre 2012
  6. China Reconstructs Collaborateur Zhongguo fu li hui Éditeur China Welfare Institute, 1979 p. 17 "The dumb serf hero of the film, Jamba! was acted by a former serf, the Tibetan actor Wangdui."
  7. (en) Tseten Wangchuk, Préface, Jampa: The Story of Racism in Tibet, 2001, International Campaign for Tibet
  8. Mikel Dunham, « Who Owns Tibet? Mikel Dunham reviews Warren W. Smith's China's Tibet? Autonomy or Assimilation », Tricycle: The Buddhist Review,‎ fall 2008 (lire en ligne)
  9. (en) Warren W. Smith, China's Tibet?: Autonomy Or Assimilation, Rowman & Littlefield, , 96-111 p. (ISBN 978-0-7425-3990-7, lire en ligne)
  10. (en) Warren W. Smith, op. cit., p. 109 : « All of the major themes of Chinese propaganda about Tibet are covered in the film: The serfs were exploited and repressed without compassion. There was nothing but labor and oppression and suffering in their lives. All Tibetans were serfs except the lords, their agents, and the lamas and monks. The feudal lords and lamas were evil without limit and totally without compassion in their treatment of the serfs. »
  11. (en) Warren W. Smith, op. cit., p. 110 : « The simplistic propaganda of the film is reflected in the opinions about Tibet of many Chinese people. The theme of this propaganda is that Tibet was an unrelenting Hell on Earth for the serfs, who were the majority of the population and were repressed by a tiny minority of rapacious landlords and lamas. The serfs were liberated by the heroic and benevolent PLA, and Tibetans, with a few exceptions, are eternally grateful to the PLA and the Chinese government for their liberation. This typical Chinese opinion about Tibet, derived from Chinese propaganda such as this film, has become more than an opinion or even an ideology and is now essentially a Chinese mythology about Tibet. Since this mythology is intimately connected to the anti-imperialist ideology of the Chinese Communists, most Chinese are greatly offended by any challenge to this version of history. Even those who have abandoned Marxist ideology still cling to the anti-imperialist ideology regarding Tibet. To abandon this ideology would mean that they were not the liberators of the Tibetans from feudalism and foreign imperialism, but instead were imperialists themselves. »