Équations de Pitzer

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Les équations de Pitzer[1],[2] sont une application de la théorie thermodynamique destinées à calculer les coefficients osmotiques et les coefficients d'activité moyens d'ions en solution. Elles caractérisent les interactions entre électrolytes et solvant. Décrites par le chimiste Kenneth Pitzer, elles sont plus thermodynamiquement rigoureuses que la théorie SIT ou l'équation de Bromley, et leur domaine de validité est plus vaste que celui de la théorie de Debye-Hückel, mais les paramètres de ce modèle sont plus difficiles à déterminer expérimentalement. Elles sont notamment utilisées pour comprendre le comportement des ions dans les eaux naturelles[3],[4],[5].

Développement historique[modifier | modifier le code]

Le point de départ des équations de Pitzer est le développement du viriel de l'équation d'état pour un gaz :

où P est la pression, V le volume, T la température, et B, C, D... les coefficients du viriel. Le premier terme à droite correspond à l'équation des gaz parfaits. Les suivants quantifient l'écart à l'idéalité en fonction de la pression. On peut montrer, via la mécanique statistique, que le deuxième coefficient du viriel vient des forces intermoléculaires entre les paires de molécules, que le troisième coefficient vient des interactions entre trois molécules, et ainsi de suite. Cette théorie a d'abord été développée par McMillan et Mayer[6].

Les solutions de molécules neutres peuvent être traitées par une modification de la théorie de McMillan et Mayer. Mais quand une solutions contient des électrolytes, les interactions électrostatiques doivent être prises en compte. La théorie de Debye-Hückel[7] est fondée sur l'hypothèse que chaque ion est entouré d'un "nuage" sphérique d'ions de charge opposée. Les équations dérivées de cette théorie expriment la variation du coefficient d'activité comme une fonction de la force ionique. Cette théorie est très efficace pour prédire les comportements de solutions diluées d'électrolytes 1:1 et, comme discuté plus bas, les équations issues de la théorie restent valides pour d'autres électrolytes tant que leur concentration reste assez faible. Mais l'adéquation entre cette théorie et les valeurs observées pour les coefficients d'activités diminue lorsque la force ionique ou les concentrations augmentent. De plus, la théorie de Debye-Hückel ne tient pas compte des différences spécifiques des ions telles que la forme ou la taille.

Brønsted a proposé indépendamment deux équation empiriques pour déterminer respectivement le coefficient d'activité et le coefficient osmotique [8] :

Le coefficient d'activité n'y dépend pas que de la force ionique, mais également de la concentration, , de l'ion spécifique à travers le paramètre . C'est la base de la théorie SIT, qui a été développée ensuite par Guggenheim[9], puis par Scatchard[10] qui a étendu la théorie pour permettre aux coefficients d'interaction de varier avec la force ionique. Vu la dépendance des équations, la mesure des coefficients osmotiques (seconde équation) est un moyen de retrouver les coefficients d'activité moyens (première équation).

Les paramètres de Pitzer[modifier | modifier le code]

La démonstration part du développement du viriel de l'excès d'enthalpie libre[11].

est la masse d'eau en kg, sont les molalités des ions et I est la force ionique. Le premier terme, , représente l'approximation de Debye-Hückel. Les quantités représentent les interactions à courte distance en présence de solvant entre les particules de soluté i et j. Ce paramètre d'interaction binaire, ou deuxième coefficient du viriel, dépend de la force ionique, des espèces i et j, de la température et de la pression. Les quantités représentent les interactions entre trois particules. Des termes d'ordre supérieur peuvent être inclus dans le développement du viriel.

Ensuite, l'enthalpie libre est exprimée comme la somme de potentiels chimiques, ou dérivées partielles de l'enthalpie libre molale :

et on obtient une expression du coefficient d'activité en dérivant le développement du viriel par rapport à la molalité b.

Pour un électrolyte simple , à la concentration m, fait des ions et , les paramètres , et sont définis par :

Le terme correspond au terme de Debye-Hückel. Les termes impliquant et ne sont pas pris en compte dans la mesure où des interactions entre trois ions de même charges sont extrêmement improbables hormis dans les plus concentrées des solutions.

Le paramètre B est déterminé empiriquement pour montrer la dépendance en fonction de la force ionique (en l'absence de paires d'ions). Cette dépendance peut être exprimé par

Avec ces définitions, l'expression du coefficient osmotique devient

Une expression similaire peut être obtenue pour le coefficient d'activité moyen.

Ces équations ont été appliquées à de nombreuses données expérimentales obtenues à 25 °C, avec un excellent accord entre modèle et expérience, jusqu'à environ 6 mol/kg pour différents électrolytes[12],[13]. L'application peut être étendue à des mélanges d'électrolytes[14], et peut inclure les équilibres d'association[15]. Les valeurs pour les paramètres , et C sont tabulées pour divers acides organiques et inorganiques, certaines bases et des sels[16]. L'influence des variations de température et de pression est encore discutée.

L'un des domaines d'application des paramètres de Pitzer est la description de la variation des constantes d'équilibre (mesurées en tant que quotients de concentration) en fonction de la force ionique. Tant les paramètres Pitzer que les SIT ont été utilisés à cette fin, par exemple les deux ensembles de paramètres ont été calculés pour certains complexes de l'uranium, et rendent compte avec la même exactitude de la dépendance en fonction de la force ionique des constantes de stabilité[17].

Les paramètres de Pitzer et la théorie SIT ont déjà été longuement comparés. Il y a plus de paramètres dans les équations de Pitzer que dans les équations SIT, le modèle Pitzer permet donc une plus grande précision dans le calcul des coefficients d'activité moyens et des constantes d'équilibre. Néanmoins, la détermination des paramètres est d'autant plus difficile qu'ils sont nombreux[18].

Compilation des paramètres de Pitzer[modifier | modifier le code]

Pitzer et al. a publié en 1991 la seconde édition des tables de paramètres mentionnées précédemment, concernant des acides organiques et inorganiques, des bases et des sels. Kim et Frederick[19],[20] ont de leur côté publié les paramètres de Pitzer pour 304 sels simples en solution aqueuse à 25 °C, et étendu le modèle aux hautes concentrations jusque saturation. Ces paramètres sont largement utilisés, néanmoins de nombreux électrolytes complexes, notamment des ions organiques, ne sont pas inclus dans cette publication.

Pour certains électrolytes complexes, Ge et al.[21] ont déduits les paramètres de Pitzer en compilant les dernières données publiées sur les coefficients d'activité et les coefficients osmotiques.

Le modèle TCPC[modifier | modifier le code]

Outre les équations de Pitzer, il existe également un modèle semi-empirique plus simple d'emploi, appelé modèle TCPC (pour Three-Characteristic-Parameter Correlation, corrélation à trois paramètres), proposé par Lin et al en 1993[22]. C'est une combinaison de l'interaction de Pitzer à longue distance et de l'effet de solvatation à courte distance.

Ge et al.[23] ont modifié ce modèle, et obtenu les paramètres TCPC pour un grand nombre de solutions de sels simples. Ce modèle a aussi été étendu à un certain nombre d'électrolytes dissous dans le méthanol, l'éthanol, le 2-propanol et autres solvants organiques[24]. La dépendance en température a également été étudiée, et les valeurs résultantes compilées pour un certain nombre de sels communs[25]. Les performances prédictives du modèle TCPC pour calculer les coefficients d'activité et coefficients osmotiques sont comparables à celles du modèle de Pitzer.

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Kenneth S. Pitzer (editor), Activity coefficients in electrolyte solutions, Boca Raton, CRC Press, , 2e éd., 542 p. (ISBN 978-0-8493-5415-1, OCLC 23869342), chap. 3.
  2. Pitzer, K.S. Ion interaction approach: theory and data correlation, pp. 75–153.
  3. (en) Vernon L. Snoeyink et David Jenkins, Water chemistry, New York, Wiley, , 463 p. (ISBN 978-0-471-05196-1 et 978-0-471-54876-8).
  4. (en) Werner Stumm et James J. Morgan, Aquatic chemistry : chemical equilibria and rates in natural waters, New York, Wiley, coll. « Environmental science and technology », , 1022 p. (ISBN 978-0-471-51184-7 et 978-0-471-51185-4, OCLC 31754493).
  5. (en) Frank J. Millero, Chemical oceanography, Boca Raton, CRC/Taylor and Francis, coll. « Marine science series » (no 30), , 3e éd., 496 p. (ISBN 978-0-8493-2280-8, OCLC 58599896, lire en ligne).
  6. McMillan, W.G.; Mayer, J.E. (1945). "The statistical thermodynamics of multicomponent systems". J. Chem. Phys. 13 (7): 276
  7. Debye, P.; Hückel, E. (1923). "Zur Theorie der Electrolyte". Phys. Z. 24: 185.
  8. Brønsted, J.N. (1922). "Studies on solubility IV. The principle of the specific interaction of ions". J. Am. Chem. Soc. 44 (5): 877–898.
  9. Guggenheim, E.A.; Turgeon, J.C. (1955). "Specific interaction of ions". Trans. Faraday Soc. 51: 747–761.
  10. Scatchard, G. (1936). "Concentrated solutions of strong electrolytes". Chem. Rev. 19 (3): 309–327
  11. Pitzer (1991), p. 84
  12. Pitzer, K.S.; Mayorga, G. (1973). "Thermodynamics of Electrolytes, II. Activity and osmotic coefficients with one or both ions univalent". J. Phys. Chem. 77 (19): 2300–2308
  13. Pitzer, K.S.; Mayorga, G. (1974). "Thermodynamics of Electrolytes. III. Activity and osmotic coefficients for 2–2 electrolytes". J. Solution. Chem. 3 (7): 539–546
  14. Pitzer, K.S.; Kim, J.J. (1974). "Thermodynamics of electrolytes. IV. Activity and osmotic coefficients for mixed electrolytes". J. Amer. Chem. Soc. 96 (18): 5701–5707
  15. Pitzer (1991), p. 93
  16. Pitzer (1991), Tables 2-11
  17. Crea, F.; Foti, C.; Sammartano, S. (2008). "Sequestering ability of polycarboxylic acids towards dioxouranium(V)". Talanta 28 (3): 775–778.
  18. Grenthe, I.; Puigdomenech, I. (1997). Modelling in aquatic chemistry. Nuclear Energy Agency, O.E.C.D.
  19. Kim, H. T.; Frederick, W. J., Jr. Evaluation of Pitzer Ion Interaction Parameters of Aqueous Electrolytes at 25°C. 1. Single Salt Parameters. J. Chem. Eng. Data 1988, 33, 177–184.
  20. Kim, H. T.; Frederick, W. J., Jr. Evaluation of Pitzer Ion Interaction parameters of Aqueous Electrolytes at 25°C. 2. Ternary Mixing Parameters. J. Chem. Eng. Data 1988, 33, 278–283
  21. X. Ge, M. Zhang, M. Guo, X. Wang. Correlation and Prediction of thermodynamic properties of Some Complex Aqueous Electrolytes by the Modified Three-Characteristic-Parameter Correlation Model. J. Chem. Eng. Data. 53 (2008) 950-958
  22. Lin, C. L.; Lee, L. S.; Tseng, H. C. Thermodynamic Behavior of Electrolyte Solutions. Part I. Activity and Osmotic Coefficients of Binary Systems. Fluid Phase Equilib. 1993, 90, 57-79.
  23. X. Ge, X. Wang, M. Zhang, S. Seetharaman. Correlation and Prediction of Activity and Osmotic Coefficients of Aqueous Electrolytes at 298.15 K by the Modified TCPC Model. J. Chem. Eng. data. 52 (2007) 538-547.
  24. X. Ge, M. Zhang, M. Guo, X. Wang, Correlation and Prediction of Thermodynamic Properties of Non-aqueous Electrolytes by the Modified TCPC Model. J. Chem. Eng. data. 53 (2008)149-159.
  25. X. Ge, X. Wang. A Simple Two-Parameter Correlation Model for Aqueous Electrolyte across a wide range of temperature. J. Chem. Eng. Data. 54(2009)179-186.