Coalescence (linguistique)

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La coalescence est une modification phonétique qui consiste en la fusion de deux sons en un seul[1],[2],[3]. Selon certains auteurs, par exemple Dubois 2002, il peut aussi être question de la fusion de plus de deux sons[4]. D'une part, il s'agit, du point de vue phonétique, d'un type d'assimilation[3],[2] ; d'autre part, d'un point de vue linguistique plus général, c'est un type de contraction phonétique[4].

Les coalescences peuvent être considérées de plusieurs points de vue :

  • selon la catégorie de sons qu'elles affectent : consonnes ou voyelles ;
  • selon la manière dont elles affectent les sons : amuïssement par assimilation totale d'un son ou assimilation réciproque ;
  • selon les entités qu'elles affectent : l'intérieur d'un mot morphème, deux morphèmes en contact dans la composition d'un mot, ou deux mots en contact ;
  • selon le caractère diachronique ou synchronique du phénomène : tenant de l'évolution des mots, respectivement produisant des variantes à un certain moment de l'histoire de la langue.

Coalescences de consonnes[modifier | modifier le code]

Parfois, c'est l'assimilation totale d'une consonne par la consonne voisine qui a lieu. Celle-ci se conserve et peut rester brève ou s'allonger.

Par exemple, dans le mot (fr) illisible [il(l)izibl̥], il y a une coalescence au contact entre la préposition latine in et l'adjectif lisible, produite dans le processus diachronique de la formation de l'adjectif illisible[5]. Exemples dans d'autres langues :

(ro) în « en » + mult « beaucoup » → înmulți [ɨmmulˈtsi] « multiplier »[6] ;
(sr) pod « sous » + tekstpodtekst [pottekst] « sous-texte », bez « sans » + stidan « timide » → bestidan « sans-gêne » (adjectif)[7].

Il se produit une coalescence occasionnelle, donc synchronique, dans la parole rapide, par exemple entre les mots (en) ten mice [ˈtemmaɪs] « dix souris »[8].

Un exemple de coalescence diachronique entre un morphème radical et un morphème suffixe est (hu) köz [køz] « communauté » + -ség [ʃeːg] → zség [ˈkøʃʃeːg] « commune rurale »[9].

D'autres fois, il se forme un son différent des deux sons qui fusionnent, ayant des traits articulatoires des deux, c'est donc une assimilation réciproque :

(en) could you [ˈkʊd͡ʒːu] « as-tu pu » – coalescence synchronique entre deux mots[2] ;
(ro) decât să [dekɨt͡sːə] « plutôt que de » – coalescence synchronique entre deux mots[3] ;
(hu) kertje [ˈkɛrcɛ] « son jardin » – coalescence diachronique entre un mot radical et un suffixe[9].

Coalescences de voyelles[modifier | modifier le code]

Deux voyelles contigües en syllabes voisines peuvent fusionner en une diphtongue. Selon certains auteurs, c'est une seule voyelle, complexe, qui se modifie, de façon qu'on entend une certaine qualité vocalique à son début et une autre à sa fin[10],[11],[12]. La diphtongue devient ainsi le noyau de la syllabe unique qui résulte de la fusion. Ce type de coalescence a sa propre dénomination, synérèse.

En français ou en italien, la synérèse a lieu à l'intérieur de certains mots :

(fr) lion [ljɔ̃] (à Paris et dans l'ouest de la France) vs [liˈɔ̃] (avec diérèse, dans le nord, l'est et le Midi de la France, ainsi qu'en Belgique), variantes acceptées par le standard[13] ;
(it) Laura [ˈlaw.ra] (en Toscane et en Italie du Nord) vs [ˈla.u.ra] (avec diérèse, dans le Mezzogiorno)[14].

En roumain aussi, il y a synérèse à l'intérieur de certains mots. Teatru « théâtre », par exemple, était prononcé [teˈa.tru] quand il est entré dans la langue, mais en roumain standard du 21e siècle, il est prononcé [ˈte̯a.tru][15]. Dans cette langue, il y a souvent synérèse au contact entre mots aussi. Elle est obligatoire entre certains pronoms personnels et réfléchis atones monosyllabiques terminés en [e] ou en [i] et les formes du verbe auxiliaire avea « avoir », ex. te-am întrebat « je t’ai demandé », ți-am spus « je t’ai dit »[16]. Il y a également synérèse facultative, entre clitiques terminés en [e] et mots à sens lexical commençant par une voyelle, ainsi qu’entre mots à sens lexical terminés en [e] et clitiques commençant par une voyelle : de atunci [de.aˈtunt͡ʃʲ] → de-atunci [de̯aˈtunt͡ʃʲ] « depuis lors », îmi pare o poveste [ɨmʲˈpa.re.o.poˈveste] → îmi pare-o poveste [ɨmʲˈpa.re̯o.poˈveste] « ça me paraît un conte »[6].

Dans certaines langues; il s'est produit des coalescences du type assimilation réciproque dans le processus historique de réduction des diphtongues et des triphtongues à une seule voyelle :

(la) aqua > ancien français eaue [e̯awə] > (fr) moderne eau [o][17] ;
ancien français lait [lajt], reine [rejn] > (fr) moderne [lɛ], respectivement [ʀɛːn][4];
(la) aurum > (fr) or[4], (it) oro[6] ;
(got) maiza > vieil anglais māra > (en) moderne more « plus »[18].

Dans une langue dont l'orthographe est dominée par le principe historique et étymologique, comme celle du français, l'écriture conserve souvent les diphtongues et les triphtongues réduites.

En roumain, il y a des cas de réduction de deux voyelles en diérèse à une seule en tant que variantes dans des variétés régionales, par rapport à la variété standard. Le processus passe par une phase où les deux voyelles forment une diphtongue, ex. căuta [kə.uˈta] « chercher » > [kəwˈta] > régional căta [kəˈta][19].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Bussmann 1998, p. 192-193.
  2. a b et c Crystal 2008, p. 82.
  3. a b et c Bidu-Vrănceanu 1997, p. 106-107.
  4. a b c et d Dubois 2002, p. 89.
  5. TLFi, article illisible
  6. a b et c Constantinescu-Dobridor 1998, article asimilare.
  7. Klajn 2005, p. 30-31.
  8. Crystal 2008, p. 39.
  9. a et b A. Jászó 2007, p. 127.
  10. Bussmann 1998, p. 316.
  11. Dubois 2002, p. 149.
  12. Crystal 2008, p. 146.
  13. Kalmbach 2013, § 4.21..
  14. Dubois 2002, p. 464.
  15. Constantinescu-Dobridor 1998, article sinereză.
  16. Bărbuță 2000, p. 107.
  17. Picoche et Marchello-Nizia 1999, p. 198.
  18. Bussmann 1998, p. 1160.
  19. Constantinescu-Dobridor 1998, article contragere.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (hu) Anna A. Jászó, « Hangtan » [« Phonétique et phonologie »], dans A. Jászó, Anna (dir.), A magyar nyelv könyve [« Le livre de la langue hongroise »], Budapest, Trezor, , 8e éd. (ISBN 978-963-8144-19-5, lire en ligne), p. 73-162
  • (ro) Ion Bărbuță et al., Gramatica uzuală a limbii române [« Grammaire usuelle du roumain »], Chișinău, Litera, (ISBN 9975-74-295-5, lire en ligne)
  • (ro) Angela Bidu-Vrănceanu et al., Dicționar general de științe. Științe ale limbii [« Dictionnaire général des sciences. Sciences de la langue »], Bucarest, Editura științifică, (ISBN 973-44-0229-3, lire en ligne)
  • (en) Bussmann, Hadumod (dir.), Dictionary of Language and Linguistics [« Dictionnaire de la langue et de la linguistique »], Londres – New York, Routledge, (ISBN 0-203-98005-0, lire en ligne [PDF])
  • (ro) Gheorghe Constantinescu-Dobridor, Dicționar de termeni lingvistici [« Dictionnaire de termes linguistiques »] (DTL), Bucarest, Teora, (sur Dexonline.ro)
  • (en) David Crystal, A Dictionary of Linguistics and Phonetics [« Dictionnaire de linguistique et de phonétique »], Oxford, Blackwell Publishing, , 4e éd., 529 p. (ISBN 978-1-4051-5296-9, lire en ligne [PDF])
  • Jean Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse-Bordas/VUEF, (lire en ligne [PDF])
  • Kalmbach, Jean-Michel, Phonétique et prononciation du français pour apprenants finnophones (version 1.1.9.), Jyväskylä (Finlande), Université de Jyväskylä, (ISBN 978-951-39-4424-7, lire en ligne)
  • (sr) Klajn, Ivan, Gramatika srpskog jezika [« Grammaire de la langue serbe »], Belgrade, Zavod za udžbenike i nastavna sredstva, (ISBN 86-17-13188-8, lire en ligne [PDF])
  • Jacqueline Picoche et Christiane Marchello-Nizia, Histoire de la langue française, Paris, Vigdor, , 3e éd., pdf

Voir aussi[modifier | modifier le code]