Devoir de vigilance
En common law et dans certaines lois statutaires, le devoir de diligence ou devoir de vigilance (anglais: duty of care ) est une obligation de respecter une norme de diligence raisonnable lors de l'accomplissement d'actes susceptibles de porter préjudice à autrui de manière prévisible. Pour lancer une action de responsabilité civile en justice, le demandeur doit être en mesure de démontrer que le défendeur a violé un devoir de diligence. La violation d'un devoir peut engager la responsabilité d'une personne.[1]
Dans les pays et territoires de droit romano-civiliste, établir la responsabilité civile implique plutôt de prouver la faute, le préjudice et le lien de causalité entre ces deux derniers éléments. La notion de devoir de diligence est absente des règles générales de responsabilité civile[2]. Des pays de droit civil peuvent cependant incorporer la notion de devoir de diligence dans certaines lois particulières, par ex. dans les lois en droit des sociétés et en droit des valeurs mobilières.[3]
Droit international
La question de la régulation des entreprises multinationales n’est pas nouvelle, puisqu’elle a émergé au sein des organisations internationales dès les années 1970. En 1974, une « Commission des sociétés transnationales » est créée au sein du Conseil économique et social de l’ONU, pour élaborer un code de conduite encadrant l’activité des entreprises transnationales, avant d’être démantelée en 1992. Les pays membres de l’OCDE, soucieux de démontrer leur capacité à promouvoir la responsabilité des entreprises par des normes volontaires et non contraignantes, publient une première version des Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales en 1976. Ils ont été ensuite révisés en 2011.
À la fin des années 1990, s’opère un glissement dans le discours des Nations unies : on passe d’une logique d’encadrement à une logique d'autorégulation des entreprises. En 2000, les Nations unies lancent le Pacte mondial (Global Compact), une initiative visant à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises à travers l’introduction et la promotion de dix principes relatifs aux droits humains, droit du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption. Cette initiative est non-contraignante et repose sur l’engagement volontaire des entreprises.
Entre 1997 et 2003, la sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations unies, a mené un important travail d’élaboration de standards de droits humains applicables aux entreprises multinationales à partir de l’ensemble des traités onusiens : les « Normes relatives à la responsabilité des sociétés transnationales et autres entreprises au regard des droits humains » sont rejetées par la Commission des droits de l’homme des Nations unies en 2004. En 2005, John Ruggie est nommé représentant spécial des Nations unies pour la question des droits de l’homme, des sociétés transnationales et autres entreprises. En 2008, il publie le rapport « Protéger, respecter et réparer » qui pose le cadre théorique sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales.
Ce rapport pose trois principes : l’obligation de protéger les droits humains incombant à l’État, la responsabilité incombant aux entreprises de respecter les droits humains, l’accès effectif à des mesures de réparation par des mécanismes judiciaires et non-judiciaires.
Ce rapport donnera lieu à l’adoption en 2011 des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
Projet de traité international en cours de négociation
En 2014, le Conseil des droits de l'homme de l’ONU a créé un groupe de travail intergouvernemental, mené par l'Équateur et l’Afrique du Sud, chargé d’élaborer un traité international juridiquement contraignant relatif aux entreprises multinationales et aux droits humains. Des négociations ont lieu chaque année au mois d’octobre à Genève.
Devoir de vigilance dans l'Union européenne
En 2001, dans le « Livre Vert - Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », la Commission européenne définit la responsabilité sociale des entreprises (RSE) comme : « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes »[4]. En 2011, la Commission européenne adopte une nouvelle définition de la RSE, assortie d’un plan d’action pour 2011-2014. La RSE est définie, comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société »[4]. La dimensions volontaire disparaît de la définition, et l’approche est tournée vers la gestion des risques.
En , le Parlement européen publie, par le biais de son comité relatif aux droits humains, une étude sur l'accès à la justice pour les personnes affectées par les activités d’entreprises européennes dans des pays tiers[5].
En janvier 2020, la Commission européenne a publié un rapport intitulé « Study on due diligence requirements through the value chain » [6]. Cette étude a été suivie en juillet 2020 par une étude intitulée « Study on directors' duties and sustainable corporate governance »[6] qui a elle-même précédé le lancement d'une consultation publique, clôturée le 8 février 2021, concernant d'une part l'adaptation du règime de gouvernement d'entreprise pour obliger les sociétés à intégrer une dimension de durabilité dans leur stratégie et d'autre part un cadre général et obligatoire de diligence raisonnable à mettre en place progressivement, ainsi que le premier rapport cité l'annonçait[7].
Par pays
Allemagne
En Allemagne, le gouvernement a après de nombreux débats internes abouti à un accord sur un projet de loi contraignant relatif au devoir de vigilance des entreprises, inspiré de la loi française et du Modern Slavery Act[8],[9].
France
La France est le premier pays à avoir instauré une responsabilité juridique des acteurs privés transnationaux sur les atteintes aux droits humains et à l’environnement causés le long de leur chaîne de valeur, en adoptant la loi sur le devoir de vigilance en 2017.
Pays-Bas
En 2019, les Pays-Bas ont adopté la loi sur la diligence raisonnable en matière de travail des enfants[10].
Suisse
En Suisse, une coalition regroupant près de 80 organisations de la société civile a recueilli suffisamment de signatures pour déposer en 2016 l'initiative populaire « Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement » (abrégée « multinationales responsables »).
Le gouvernement a proposé en 2017 de rejeter cette initiative populaire fédérale, puis le parlement a décidé d'élaborer un contre-projet basé sur les mêmes principes[11]. Lors des votations du 29 novembre 2020, l'initiative a été acceptée par 51 % du peuple, mais rejetée par la majorité des cantons.
L'échec de l'initiative entraine l'entrée en vigueur du contre-projet législatif. Ce dernier introduit également de nouvelles obligations de diligence raisonnable. Des amendes (pénales) peuvent être prononcées en cas de manquement à l'obligation d'établir un rapport (alors que l'initiative prévoyait une responsabilité civile en cas de violation des droits humains ou de l'environnement).
Autres pays
En Finlande, en Norvège, en Espagne, en Belgique, au Luxembourg, au Royaume-Uni, en Slovénie, en Suède, au Danemark, et en Autriche, l’encadrement de l’activité des entreprises multinationales concernant le respect des droits humains et l’environnement est également débattu[12].
Notes et références
- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre » (voir la liste des auteurs).
- Liden, Allen M., Lewis N. Klar, Bruce Feldthusen. Canadian Tort Law : Cases, Notes and Materials. Toronto: LexisNexis Canada, 2022
- Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS, Benoît MOORE, La responsabilité civile - Volume 1 : Principes généraux, Éditions Yvon Blais, 2014
- Stéphane ROUSSEAU (dir.), Droit des valeurs mobilières, JurisClasseur Québec, Montréal, LexisNexis, 2010
- Isabelle Daugareilh, « Union Européenne », dans Dictionnaire critique de la RSE, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Capitalismes – éthique – institutions », (ISBN 9782757414132, lire en ligne), p. 471–474
- « Access to legal remedies for victims of corporate human rights abuses in third countries », (consulté le )
- (en) Publications Office of the European Union, « Study on due diligence requirements through the supply chain : final report. », sur op.europa.eu, (DOI 10.2838/39830, consulté le )
- (en) « Published initiatives Sustainable corporate governance », sur Have your say (consulté le )
- Belga, « Allemagne: accord sur un projet de loi de vigilance sur les fournisseurs étrangers », Le Soir, (lire en ligne, consulté le )
- Agence France-Presse, « L’Allemagne va infliger des amendes aux entreprises qui bafouent les droits humains à l’étranger », Le temps, (lire en ligne, consulté le ).
- « Dutch child labour due diligence law: a step towards mandatory human rights due diligence | OHRH », sur ohrh.law.ox.ac.uk (consulté le )
- « L'initiative en détail – Konzernverantwortungsinitiative », sur Initiative multinationales responsables (consulté le )
- « Evidence for mandatory HRDD legislation (Updated May 2019) - European Coalition for Corporate Justice », sur corporatejustice.org (consulté le )