Séquence (cinéma)

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Séquence est un terme technique employé au cinéma et à la télévision pour désigner un ensemble de plans se déroulant dans un même lieu et dans un même temps.

« Le plan est l’unité créatrice du film : c’est la portion d’action enregistrée sur la pellicule ou sur le disque dur entre un démarrage de la caméra et son arrêt. Pour simplifier, le plan est le jeu de scène filmé entre les deux mots magiques du tournage : Action ! et Coupez[1] ! »

Un ensemble de plans se rapportant à une même action et se déroulant dans le même temps et dans le même lieu, forme ce que l’on appelle une séquence, du latin sequentiă qui signifie suite ou succession.

Un ensemble de séquences situées en plusieurs lieux et/ou en plusieurs temps, et se rapportant à une même action, s’appelle une scène (qui n’a rien à voir avec le même mot dans son acception théâtrale).

Double finalité de la séquence

La division en séquences est à la fois un outil du langage filmique, et une nécessité dans l’organisation de la production des films.

La séquence, entité de récit

La scène, qui contient plusieurs séquences, a de l’importance dans la rédaction du scénario car elle décrit une péripétie, principale ou secondaire, du récit. Par exemple, dans Thelma & Louise, à un peu moins de 11 minutes du début, s’ouvre la scène du Silver Bullet, restaurant routier, où les deux amies espèrent prendre un bon repas bien arrosé et, on le suppose, passer une bonne nuit avant de reprendre la route. Cette scène du Silver Bullet, qui dure 10 minutes et 30 secondes est du plus haut intérêt, elle est même essentielle au récit dramatique car c’est là que la vie de Louise et par ricochet celle de Thelma? prennent une direction inattendue qui à terme les mène à la mort.

La scène se résume ainsi : les deux amies font une halte dans un restaurant de bord de route et commandent boissons et repas. Un inconnu les aborde et entreprend de séduire Thelma, déjà bien alcoolisée, qu’une danse country va échauffer. Quand elle se sent mal, il l’invite à sortir prendre l’air et devient insistant, mais elle refuse ses avances. Il la frappe alors, l’insulte et entreprend de la violer. Louise arrive à temps, brandissant un revolver, et délivre Thelma, mais le dragueur l’insulte. Louise le tue. Les deux amies s’enfuient précipitamment.

Cette scène contient plusieurs temps de narration et plusieurs lieux, qui font l’objet de plusieurs séquences :

1/ L’arrivée au Silver Bullet,

2/ Les deux amies s’installent à une table et commandent boissons et plats,

3/ Intrusion de Harlan, le dragueur impénitent (dixit une mise en garde de la serveuse),

4/ Le repas et une discussion d’importance relativement secondaire entre les deux amies,

5/ Un orchestre commence une chanson, Thelma accepte de danser avec Harlan,

6/ C’est l’heure de la danse country, les bottes frappent le sol, Louise participe à la fête,

7/ Retour à la danse en couple, Thelma flirte avec Harlan qui la fait tourbillonner, Louise se rend aux toilettes, ce qui lui fait perdre de vue son amie,

8/ Étourdissement de Thelma, à qui Harlan propose de sortir pour prendre l’air,

9/ Louise se refait une beauté dans les toilettes,

10/ Louise revient à la table, la serveuse lui dit que Thelma est sortie,

11/ Sur le parking, tentative de viol de Thelma par Harlan qui est abattu par Louise,

12/ Début de fuite désordonnée des deux femmes en voiture.

Ces 12 parties, qui sont séparées, soit par le temps (un peu plus tard...), soit par l’espace (extérieur, intérieur salle du restaurant, intérieur toilettes, extérieur parking) sont les douze séquences de cette scène. Dans le "découpage technique", c’est-à-dire le document écrit à partir du scénario du film, décrivant soit précisément chacun des plans, soit donnant des indications générales et des propositions de plans, un document que l’on nomme shooting script en anglais, les séquences sont numérotées dans leur ordre de succession (depuis le début du film), et les plans prévus pour chacune, ou déterminés au moment du tournage, sont eux-aussi numérotés à l’intérieur de chacune des séquences. Ainsi, la séquence 1 (arrivée au Silver Bullet) ne comporte qu’un seul plan. La séquence 9 (les toilettes dames), la séquence 10 (Louise s’inquiète de la disparition de Thelma) et la séquence 12 (démarrage acrobatique de la voiture) sont constituées elles aussi d’un seul plan. En revanche, les séquences 2, 3, 4 et 5 totalisent 22 plans tournés, qui se décomposent en 60 plans montés.

On voit comment le scénario ménage des effets de construction qui indiquent que le temps s’écoule, notamment avec les séquences 4, 6 et 9. La séquence 4 souligne les différences d’attitude de Thelma et de Louise face à la promesse d’une bonne soirée. Thelma est toute émoustillée par la perspective de s’amuser et de boire, ce qu'elle fait sans modération, l’alcool lui fait oublier la plus élémentaire prudence, elle est prête à conquérir le monde. Louise est plus modérée dans son enthousiasme, son métier de serveuse l’a confrontée de nombreuses fois à la drague systématique de certains hommes. Pendant ce temps, Harlan ne perd pas des yeux les deux femmes et la proie qu’il convoite sexuellement. La séquence 6 (country dance) laisse supposer une ellipse temporelle entre la séquence 5 et elle-même, et atteste que la soirée monte dans l’excitation. La séquence 9 (toilettes dames) permet une ellipse de la sortie de Thelma et Harlan et laisse le temps à la jeune imprudente de sortir de son étourdissement passager.

Le scénario a prévu également des effets spatiaux. La séquence 1 montre le décor caractéristique d’un restaurant routier qui annonce en lettres lumineuses entertainment (amusement) et country music (musique texane). Ce plan est à usage unique, mais indispensable pour la compréhension des séquences 5, 6 et 7 (chanson et danse). Le passage de Louise aux toilettes n’est pas moins nécessaire (séquence 7 et séquence 9) ; en quittant la salle de restaurant, elle renonce pour un court instant à son rôle d’ange gardien de Thelma et ne voit pas que Harlan entraîne la jeune femme dans un piège.

La séquence, outil de production

C’est à Thomas Harper Ince que l’on doit d’avoir institué au cinéma des règles d’organisation drastiques. Il était fils de comédien et comédien lui-même. « Quand il commence à travailler pour le cinéma, il constate que ce métier s’exerce dans une joyeuse confusion. On entreprend les tournages alors que les scénarios sont à peine ébauchés, on tourne selon les humeurs de chacun, la préparation des décors laisse à désirer, il manque toujours quelque chose, un accessoire, une pièce de vêtement, un bout de décor, un clou ou un marteau[2]. » En 1912, quand il commence à produire ses films, et notamment les westerns dont il se fait une spécialité, et qui vont devenir, grâce à lui, le grand genre américain, Thomas Ince impose à ses réalisateurs la rédaction préalable d’un shooting script. Tous les éléments nécessaires au film doivent y être indiqués, ce qui permet aux assistants et aux divers corps de métier, lors de la préparation du tournage, de gérer le matériel ou les accessoires indispensables. « Il fait en sorte que tout soit prévu et prêt au bon moment et au bon endroit[3]. »

L’opération que l’on nomme en français le « dépouillement », analyse les séquences prévues, qui sont caractérisées par le lieu précis où elles se déroulent, par leur lumière, et par les comédiens qui doivent jouer dans les plans que comportent ces séquences. L’identification de ces séquences par un numéro et les deux principales indications : lieu et lumière, est fondamentale pour organiser le tournage en ce qu’on appelle en français un « plan de travail », c’est-à-dire un calendrier du tournage des diverses séquences. Ces indications apparaissent même en amont, dès la rédaction de ce qu’on appelle en français la « continuité dialoguée » ou découpage séquentiel, livrée par les scénaristes.

L’en-tête de chaque séquence comporte ainsi au minimum les indications suivantes, par exemples :

Séquence 24 / Intérieur nuit / Salon de Joe

Ou :

Séquence 65 / Extérieur jour / Rue de Pierrette, devant sa maison

Dans le découpage technique (shooting script) sont ajoutés la liste des plans que contiennent ces séquences, eux aussi numérotés depuis le début du film, ou numérotés par séquence. Ex. :

Plan 181 / Plan moyen / Joe, Kevin et Chloé.

Plan 182 / Plan rapproché / Kevin.

Plan 183 / Plan américain / Joe, Kevin et Chloé.

Plan 184 / Plan mi-moyen / Kevin et Chloé, avec, bien entendu pour chacun de ces plans, la description de l’action prévue et le dialogue éventuel.

Ou :

Plan 65/1 / Pierrette inspecte les alentours de la maison (en 2 plans).

Plan 65/2 / Pierrette ouvre sa boîte aux lettres et en retire une missive.

Plan 65/3 / Pierrette lit (2 plans dont 1 GP sur Pierrette et un insert sur la lettre).

Si Pierrette rentre dans sa maison, ce sera alors une nouvelle séquence (séquence 66), qui sera ainsi indiquée :

Séquence 66 / Intérieur jour / Couloir d’entrée de Pierrette et cuisine

Lors du tournage, cette séquence 66 sera peut-être tournée le même jour que la séquence 65, ou quelques jours auparavant, ou quelques semaines plus tard, d’où la nécessité d’en contrôler le contenu précis (accessoires, costumes, maquillage, etc). Le découpage en séquences déterminées par le décor où elles se déroulent (intérieur ou extérieur), la lumière (nuit, jour, ou petit matin, soirée, etc), la présence de tel comédien dans tel vêtement, l’utilisation de tel ou tel accessoire, permet un tournage efficace qui évite les écueils et les impasses de toute impréparation.

Références

  1. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, « Grammaire du cinéma », Paris, Nouveau Monde éditions, 2010, (ISBN 978-2-84736-458-3), 588 pages, citation de la page 344
  2. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, « Grammaire du cinéma », op. cité, citation de la page 478
  3. idem

Articles connexes