Opération Midnight Climax

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L'opération Midnight Climax (en français « Orgasme de minuit ») est une opération menée conjointement par la Central Intelligence Agency (CIA) et le Federal Bureau of Narcotics (FBN), à New York et San Francisco entre 1953 et 1965. Durant cette période, des maisons-closes ont été aménagées et des prostituées recrutées pour différentes missions de renseignement dans le cadre du projet MK-ULTRA. Plusieurs techniques opérationnelles ont été développées lors de ces expérimentations, ainsi que des recherches étendues sur les pratiques sexuelles.

Contexte[modifier | modifier le code]

Depuis le début des années 1940, de nombreuses recherches sur l'utilisation des armes chimiques et biologiques sont menées aux États-Unis. Pour chaque substance, des expérimentations humaines ont lieu dans des établissements sécurisés, le plus souvent sur des personnes travaillant pour l'armée ou le gouvernement. Dans d'autres cas, des prisonniers ou des toxicomanes sont sollicités pour tester les produits et les moyens de les administrer discrètement[1],[2]. Sidney Gottlieb, futur directeur du projet regroupant l'ensemble de ces programmes secrets, envisage l'essai de ces procédures dans des conditions opérationnelles.

Dès 1952, il contacte un officier du Federal Bureau of Narcotics (FBN), George H. White. Cet ancien lieutenant-colonel de l'Office of Strategic Services (OSS) a déjà travaillé sur la mise au point d'un « sérum de vérité » pendant la Seconde guerre mondiale. Son expérience des opérations clandestines et sa connaissance du monde de la rue sont aussi jugées opportunes par Gottlieb[2],[3],[4]. White accepte de collaborer avec les services techniques de la CIA, et en devient consultant. En avril 1953, le projet MK-ULTRA et son financement exceptionnel (300 000 $ par an) sont approuvés, permettant aux expérimentations de débuter un mois plus tard[5],[6].

Déroulement[modifier | modifier le code]

Première installation à New York[modifier | modifier le code]

White utilise le premier financement de l'agence pour louer deux appartements adjacents dans un immeuble situé au 81 Bedford St. à Manhattan, dans le quartier de Greenwich Village. Utilisant le pseudonyme de « Morgan Hall », il fait installer du matériel de surveillance, notamment des microphones et un miroir sans tain, pour l'enregistrement des scènes à venir. Puis, sous la couverture d'un ancien marin ou d'un artiste, il attire des personnes rencontrées dans la rue jusqu'à la planque aménagée où elles sont droguées à leur insu. Leurs réactions sont ensuite enregistrées par les appareils de surveillance, et dans certains cas rapportées par White dans un journal personnel. Cette première série de tests correspond au sous-projet 3 du projet MK-ULTRA, placé sous la direction du Dr Robert V. Lashbrook[3],[4],[7],[8].

En , l'opération est provisoirement suspendue après la mort de Frank Olson. La mise en cause du LSD et la présence sur les lieux de Lashbrook sont deux éléments qui constituent un risque pour la sécurité des expérimentations[3],[8].

Ce site clandestin, installé en pleine ville de New York, est aussi utilisé par le FBN pour des interrogatoires. White, qui travaille simultanément pour les deux agences, dispose d'un arrangement avec le service médical de la police. Au moins une personne s'est présentée à l'hôpital Lenox Hill après son passage dans l'appartement, et n'a pas déposé plainte[5],[8].

Déménagement à San Francisco[modifier | modifier le code]

En 1955, George H. White est nommé à la tête du district de San Francisco par la direction du FBN. Il connaît bien la ville, dans laquelle il fut reporter au San Francisco Call Bulletin jusqu'en 1934[5],[8]. Cette mutation est aussi une opportunité pour la CIA, qui souhaite étendre le champ des activités menées à New York. White obtient un premier financement pour la location d'un duplex à Telegraph Hill, au 225 Chesnut St. En plus de quelques vieux meubles, des affiches de Toulouse-Lautrec et des photographies de danseuses de French cancan composent la décoration. En parallèle de l'expérimentation du LSD, cette nouvelle installation doit permettre l'étude des mœurs et des pratiques sexuelles[9],[10],[11].

Ira Feldman, ancien agent du renseignement militaire qui connaît bien les rues de San Francisco, est sollicité pour recruter des prostituées. La planque est utilisée comme maison-close, où les scènes sont enregistrées par des appareils de surveillance. Derrière un miroir sans tain, White, parfois accompagné de Feldman, observe et prend des notes. Au fur et à mesure des expérimentations, les préférences sexuelles des hommes sont étudiées, ainsi que les effets de la drogue consommée dans ces circonstances[3],[5],[11]. En tant que principal agent fédéral des stupéfiants à San Francisco, White bénéficie d'une certaine influence auprès des services de police de la ville et s'assure que les prostituées ne sont pas poursuivies lorsqu'elles sont arrêtées.

Considérant l'opération comme un succès, Gottlieb transmet de nouvelles instructions pour l'essai du matériel et les techniques développées dans des endroits publics. Des agents sont missionnés pour traîner dans des bars, des restaurants ou sur des plages, à la recherche d'une opportunité. White, quant à lui, établit une nouvelle planque en louant une maison isolée située à Mill Valley, en périphérie de San Francisco, dans laquelle des expérimentations ont lieu lors de fêtes organisées à cette seule fin. En 1959, deux agents sont envoyés en Californie pour tester un appareil permettant de pulvériser discrètement du LSD en aérosol. D'après ces agents, auditionnés par un comité du Sénat des États-Unis en , plusieurs dizaines de dispositifs semblables à celui-ci ont été testés par White. Le suivi des personnes droguées à leur insu s'avère impossible dans ces conditions, et plusieurs victimes des expérimentations doivent être hospitalisées[5],[11],[12],[13].

Fin de l'opération[modifier | modifier le code]

Rapport de l'inspecteur général[modifier | modifier le code]

En 1963, l'opération est découverte par l'inspecteur général de la CIA, John Earman, qui recommande l'arrêt des expérimentations sur des civils non-consentants, précisant que « les concepts impliqués dans la manipulation du comportement humain sont considérés par de nombreuses personnes au sein et en dehors de l'agence comme étant de mauvais goût et contraires à l'éthique ». De plus, selon lui, les multiples hospitalisations représentent une sérieuse menace pour le secret de l'opération[4],[14],[15].

Fermeture des sites clandestins[modifier | modifier le code]

En dépit des protestations formulées par Richard Helms, directeur des opérations clandestines et instigateur du projet MK-ULTRA, les sites de San Francisco sont fermés en 1965[5],[16]. La planque de New York, fermée après le départ de White, a été remplacée par une autre installation située au 105 West 13th Street. Selon les documents de la CIA, cet appartement, aménagé de la même manière que le précédent, a servi de site clandestin sécurisé jusqu'en 1966[12],[17].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Martin A. Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3), p. 13-16
  2. a et b (en) John M. Crewdson et Jo Thomas, « Files Show Tests For Truth Drug Began in O.S.S. », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  3. a b c et d (en) John Jacobs et Paul Avery, « The Diaries Of a CIA Operative », The Washington Post,‎ (lire en ligne)
  4. a b et c (en) Martin A. Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3), p. 33-35
  5. a b c d e et f (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Time Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6), p. 66-74
  6. (en) Sidney Gottlieb, « Note déclassifiée du sous-projet 3 », CIA-RDP78-04913A000100030106-5 [PDF], sur cia.gov,
  7. Sénat des États-Unis - 21 septembre 1977, p. 110-119
  8. a b c et d Kinzer 2019, p. 74-80.
  9. (en) Sénat des États-Unis - Ninety-Fifth Congress, First Session, Project MKUltra, The CIA's Program of Research in Behavioral Modification : Joint Hearing before the Select Committee on Intelligence and the Subcommittee on Health and Scientific Research of Committee on Human Resources, Washington, U.S. Government Printing Office, , 178 p. (OCLC 608991132, lire en ligne), p. 48-62
  10. (en) John Jacobs et Bill Richards, « The Bizarre Tale of a CIA Operation », The Washington Post,‎ (lire en ligne)
  11. a b et c Kinzer 2019, p. 138-146.
  12. a et b Sénat des États-Unis - 21 septembre 1977, p. 100-109
  13. (en) Jo Thomas, « C.I.A. Sought To Spray Drug On Partygoers », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  14. (en) John Earman (Inspecteur général), « Rapport de l'inspection générale du bureau des services techniques de la CIA », sur cryptome.org, Cryptome, , p. 10-12
  15. (en) John Jacobs, « CIA Papers Detail Secret Experiments on Behavior Control », The Washington Post,‎ (lire en ligne)
  16. Sénat des États-Unis - 21 septembre 1977, p. 218-219
  17. (en) John M. Crewdson, « Abuses in Testing Of Drugs by C.I.A. To Be Panel Focus », The New York Times,‎ (lire en ligne)

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Sénat des États-Unis - Ninety-Fifth Congress, First Session, Human Drug Testing By The CIA : Hearings Before the Subcommittee on Health and Scientific Research of the Committee on Human Resources, Washington, U.S. Government Printing Office, , 219 p. (lire en ligne)
  • (en) Stephen Kinzer, Poisoner In Chief : Sidney Gottlieb and the CIA Search for Mind Control, New York, Henry Holt & Company, , 320 p. (ISBN 9781250140449, LCCN 2019007076), chap. 8 (« Operation Midnight Climax »)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]

(en) « Documents déclassifiés du sous-projet 42 de MK-ULTRA », sur archive.org, Internet Archive (consulté le )