Discussion:Beatrice Cenci

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Orthographe italienne[modifier le code]

Pourquoi franciser le prénom en Béatrice 1) alors qu'il s'agit d'un personnage italien, 2) que tous les autres prénoms de la page ne le sont pas ? je corrige ainsi que la page d'homonymie. --- Salutations. louis-garden (On en cause) 17 novembre 2010 à 14:51 (CET)[répondre]

Béatrice cenci est innocente[modifier le code]

Béatrice Cenci est innocente Le 21 novembre 1835, Stendhal écrit à M. Levasseur, son éditeur : J'ai acheté très cher de vieux manuscrits, qui datent du XVIe et du XVIIe siècle. Ils contiennent en demi-patois du temps, mais que j'entends fort bien, des historiettes de quatre-vingts pages chacune et presque tout à fait tragiques. J'appellerai cela Historiettes romaines. Il n'y a rien de plus croustilleux comme dans Tallemant de Réaux ; cela est plus sombre et plus intéressant. Quoique l'amour y joue un grand rôle, aux yeux d'un homme d'esprit ces historiettes seraient l'utile complément de l'histoire d'Italie aux XVIe et XVIIe siècles. Ce sont des mœurs qui ont enfanté les Raphaël et les Michel-Ange. Sa fonction de Consul de France à Civita Vecchia, dans les Etats du pape, qui l'avait retenu de publier Lucien Leuwen, le dissuade de faire paraître ces récits où un pape tient un premier rôle. Le 1er juillet 1837, cependant, pour faire de l'argent, et sous le plus stricte anonymat, il fait paraître l'une d'elles, Les Cenci, dans la Revue des deux Mondes, précisant au directeur que ces pages ne sont pas de lui et qu'il a été convenu verbalement que jamais son nom ne sera prononcé : Quelque petit espace que je tienne dans le monde, dit-il, vous savez, Monsieur, qu'il y a des gens qui cherchent à me nuire, je désirerais que mon nom fut prononcé le moins possible. Les Cenci stendhaliens, petit chef d’œuvre littéraire, paraîtront dans ses Chroniques italiennes, seulement après la mort de l'auteur. Ce texte reprend une narration écrite trois jours seulement après l'exécution des enfants Cenci, sous l'influence des clameurs et des apparences du jour. L'idée de l'innocence du personnage central, Béatrice Cenci n'effleure pas ses contemporains. Mon unique chagrin, précise le narrateur témoin romain, est de devoir parler, mais ainsi le veut la vérité, contre l'innocence de cette pauvre Béatrice, adorée et respectée de tous ceux qui l'ont connue, autant que son horrible père était haï et exécré. Stendhal s'efface devant ce témoignage qu’il se limite à transmettre : J'ai acheté, dit-il, la permission de copier un récit contemporain : j'ai cru pouvoir en donner la traduction sans blesser aucune convenance. Il ne met pas en doute la thèse de l'accusation, mais insiste surtout sur l'aspect donjuanesque de Francesco Cenci, le père, plus voisin de l'horrible que du curieux. Par sa fonction, Stendhal ne pouvait pas écrire plus et mieux que cette traduction d'un texte d'époque qui fit connaître l'affaire à travers l'Europe. Bref, son temps n'était pas apte à entendre autre chose : une légende concernant une belle parricide incestueuse.

Deux chercheurs italiens, Gustavo Brigante Colonna et Emilio Chiorando, sont heureusement retournés aux sources. Ils sont les auteurs d’une étude, Le procès des Cenci, parue chez Payot, à Paris, en 1937, dans une traduction de S. Champaux. A partir de l'authentique et volumineux dossier de l'affaire déposé aux Archives de l'Etat italien, ils ont démontré l'ignominie du procès, après la mort de Francesco Cenci. Mais ils n'ont pas été jusqu’à douter d'une culpabilité criminelle de Béatrice Cenci et d'Olimpio, son serviteur. Ce regard, pour nouveau qu'il puisse paraître, ne suffit pas. La vérité par-delà de la légende inspirée de rumeurs et de préjugés est solidement cadenassée par des aveux arrachés sous les tortures et par le mythe de l'infaillibilité papale. Les actes du procès fourmillent de mensonges dont un seul aujourd’hui imposerait la nullité du verdict. En voici huit parmi les plus éloquents :

1) Les deux assassins présumés du père Francesco Cenci sont occis (en toute légalité !) avant l’énoncé du verdict. Etrange non ? Le premier Marzio Catalano, serviteur de Don Colonna, propriétaire du château où a lieu de meurtre de Francesco Cenci expose le 14 janvier 1599 – le lendemain de son arrestation - dans un langage curieusement juridique, d’un seul trait et avant d’être torturé, le déroulement du meurtre de Francesco en précisant que tous les enfants, c’est-à-dire les héritiers, sont, les commanditaires. Le procès – et le récit de l’affaire - sera construit uniquement sur ces aveux. Pourquoi fallait-il que cet accusé meurt si vite sous des tortures réitérées un mois après son arrestation ? Il est lui-même l'assassin, mais pourquoi, de bon matin, du jour du crime, se rend-il auprès de son maître Don Colonna ? Détail : Quand Carlo Tirone, enquêteur du Royaume de Naples, réputé pour sa dureté, a voulu le capturer, il lui a fait parvenir ce message : Marzio, le Signor Carlo Tirone désire que tu viennes lui parler. Tu n'as rien à craindre ; il te promet la grâce. Que répondit Catalano ? Que le Signor Carlo Tirone m'envoie le décret de grâce, je m'empresserai de me mettre à sa disposition. Curieux. Ne s’agit-il pas là d'un dialogue entre gens initiés ?

Le second « suspect », Olimpio, lui aussi serviteur de Don Colonna, va être assassiné dans un guet-apens. Il était en fuite pour avoir entendu des rumeurs le concernant, en provenance du tribunal et après avoir échappé à une tentative d’empoisonnement où se trouve impliqué un autre serviteur de Don Colonna. Pourquoi, pour qui cet Olimpio, très proche des Cenci, était-il dangereux ? Par qui a-t-il été assassiné ? Que ne devait-il pas savoir ? Détail : Don Colonna l’a chassé de son château un mois avant le crime. Etranges ces morts prématurées des deux « tueurs ».

2) La torture va être mise en œuvre pour faire avouer les enfants Cenci, suspects d’être les commanditaires du meurtre. Par principe (aujourd’hui) on sait qu’elle ne prouve rien.

3) Pourquoi Don Colonna, maître des deux meurtriers présumés, n’est-il pas interrogé par le juge ? Réponse : parce qu’on n’interroge jamais un noble, qui plus est bras droit du pape.

4) A aucun moment il n’est question d’inceste au cours du procès. Comment cela pourrait-il être possible alors que dans son motu proprio du 5 août, le pape Clément VIII évoque Francesco son « très cher fils bien aimé » ? Un tel père si estimé du pape ne pouvait pas être incestueux, bien sûr. Jamais un acte d'inceste ne fut donc établi ni, à plus forte raison examiné. Le verdict reste muet sur ce point. La rumeur faisant état de cet inceste n’intervient qu’après l’exécution des enfants Cenci. La notion d'inceste, qui inspire tant la littérature, n'apparaît qu'allusivement, et d'une façon épisodique, dans les propos de deux servantes, après les interrogatoires des accusés, quand l'affaire est déjà jugée, peu avant que le bourreau entre en scène. La thèse de l'inceste s'impose seulement après la tuerie. Probablement pour rendre plus crédible, à posteriori, la culpabilité de Béatrice et "justifier", devant un peuple profondément troublé, un verdict injustifiable. La rumeur laissa entendre au bon peuple qu'il s'était passé des choses et qu'on ne devait pas tout savoir...

5) Le pape Clément VIII a demandé la mort illico presto des Cenci. Son motu proprio du 5 août est très explicité :

(…) Ensuite, ont été découverts de nouveaux indices très graves de délits commis par les inculpés, délits certains auxquels il ne manque que la confession des accusés. Si on les rendait publics, ils donneraient lieu à des subterfuges de sorte à prolonger indéfiniment la procédure, à causer un grave préjudice à la justice. Etant donné que ce procès dure déjà depuis longtemps, il convient qu'il se termine finalement. Partant, il est nécessaire que le même Ulisse Moscati (le juge du pape) reçoive le pouvoir de procéder à tous les actes ultérieurs, à tous les genres de torture contre Giacomo, Bernardo, Béatrice et Lucrèzia, selon l'instruction. Il est nécessaire de leur refuser la grâce de la défense, s'il existe contre eux des indices légitimes, tout en faisant cesser ou en abolissant le terme ou les termes de cette défense assignés auparavant. Donc, sachant tout cela, nous ordonnons à Ulisse Moscati, de notre propre volonté et non sous l'influence d'aucune pétition, de procéder, dans cette affaire - et dans toutes celles qui lui seront soumises et traitées en connexion, en subordination ou en dérivation de l'affaire principale - de procéder aussi bien contre tous complices, fauteurs ou assistants. Cela tant dans les procès instruits que ceux à instruire. Nous voulons ensuite que notre signature suffise pour ce motu proprio et qu'on lui prête foi en justice et au dehors. Placet motu proprio, Hippolitus A.

6) Un agent du juge, au moment du règlement des frais du procès, demande son salaire pour sa présence sur le lieu de l’attentat contre Olimpio. Qu’allait-il y faire ?

7) Coronati de Plancha, avocat des enfants Cenci qui a osé mettre en doute leur responsabilité dans le meurtre du père meurt peu après le verdict.

8) La vente des biens des Cenci se fait à la chandelle. Pas d’acheteur en vue. La métairie de Terrenova, grand domaine des Cenci revient au neveu de sa Sainteté

Le procès des Cenci repose donc uniquement sur des témoins clés assassinés, des interrogatoires sous menaces d'amputation ou de mort, des aveux arrachés à huis clos, en l'absence d'avocat, à des inculpés torturés avant d'être exécutés. De tels aveux seraient aujourd'hui frappés de nullité par le plus élémentaire respect des droits de l'homme. Il ne reste rien de vraisemblable dans cette affaire, qu'une machination inspirée par la haine et la cupidité. Le gazetier de la Cour d'Urbino ne s’y trompe pas qui écrit au début de l’affaire : J'ai entendu dire que cette incarcération a pour but de tirer de l'argent de ce patrimoine qui a donné de si bons fruits à la Chambre apostolique. Plus tard, il croit avoir tout compris : En tout cas, écrit-il, cette affaire est destinée à des pastissages avec le trésor.


Au fil des ans, le procès Cenci a suscité une abondante littérature, mais uniquement dans sa version officielle. Elle a été le sujet de pièces de théâtre, de récits et de controverses. Fidèle à la légende fallacieuse, le poète anglais Parcy Byhsse Shelley, dans une tragédie en cinq actes, a brossé un portrait sympathique de Béatrice Cenci qu'il décrit comme une sublime vengeresse de l'inceste. Le tragédien italien Battista Niccolini n'a pas hésité à blanchir Béatrice, tout en estimant que ses frères étaient des parricides. Un autre auteur italien, Francesco Domenico Guerrazzi (en 1854), a relaté le crime inspiré de l'inceste. Quant à l'auteur italien Corrado Ricci, sa biographie de la jeune femme, parue en 1925 (Librairie académique Perrin, traduction de Marc Hélys), n'est que la mise en récit de l'affabulation du pseudo-juge des Cenci, une défense aveugle, passionnée et pitoyable de la justice papale, même s'il concède que Béatrice mérite notre pitié, à cause des cruautés qu'elle a subies, de l'atmosphère lourde de crimes qu'elle respira et de sa terrible hérédité (sic!). Pour lui, l'heure sonne toujours où, pour atteindre le méchant, la justice divine trouve une autre voie que celle des tribunaux.

Proche de nous, Antonin Artaud semble avoir été attiré par ce Francesco hors la loi, ce tortureur torturé, ce furieux, ce blasphémateur, plein de douleurs sanglantes. A ses yeux, Béatrice est l'être le plus chargé d'inceste, ce mal qui fait équilibre à l'assassinat. Bref, il voit dans cette histoire la fatalité de l'instinct et il s'incarne lui-même en Francesco, pour pouvoir crier publiquement ses principes : Il n'y a ni vie, ni mort, ni dieu, ni inceste, ni repentir, ni crime... Je cherche et je fais le mal par destination et par principe. Artaud fait de Francesco Cenci un extrémiste libertin. C'est une création sans lien avec le personnage réel. Pas un mot, pas un indice historique ne soutient une telle vision du seigneur assassiné.Francesco serait un Don Juan ? Dans le courant du romantisme du XIXème siècle, Stendhal avance cette hypothèse. Francesco Cenci joue effectivement avec l'amour, la mort, la morale chrétienne et les juges. Mais si l'hypocrisie est bien la caractéristique de la société de son temps, n'est-ce pas lui faire trop d'honneur que de le doter d'une conscience de bravoure et de révolte ? A-t-il le plaisir de braver la cruelle Inquisition ? Chez lui, pas un instant de tendresse véritable ou de gaieté charmante. Francesco Cenci est plus proche de l'horrible que du curieux, nous dit Stendhal. Plus jouisseur qu'amoureux, ne peut-on pas dire alors qu'il n'est qu'un riche et puissant seigneur romain capable de satisfaire ses instincts, sans plus ? Comme l'affirme Stendhal, un Don Juan, pour être tel, doit être un homme de cœur et posséder cet esprit vif et net qui fait voir clair dans les motifs des actions des hommes.

L'affaire Cenci révèle les monstruosités et la misogynie de la société occidentale à l'aube de notre époque moderne, blessures originelles dont il serait sans doute outrancier d'affirmer que les stigmates ont disparu de nos jours. Mais la vérité est bien fille du temps. --86.195.219.173 (discuter) 19 août 2014 à 10:55 (CEST)--Jean Rocchi[répondre]