Caroline Esterházy

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Caroline Esterházy
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Caroline Esterházy de Galántha (hongrois : galánthai grófnő Esterházy Karolina, née le [1],[2] à Presbourg et morte le dans la même ville, est une comtesse hongroise, amie et égérie du compositeur Franz Schubert, qui lui a dédié en 1828 sa Fantaisie en fa mineur.

Biographie[modifier | modifier le code]

Caroline Esterházy naît en Hongrie, à Pressburg, actuelle ville de Bratislava en Slovaquie[3]. Elle est la fille de János Károly Esterházy de Galántha et de Róza Festetics de Tolna. Elle appartient à la famille noble hongroise des Esterházy[4].

Elle est pianiste amatrice comme sa sœur aînée Marie. Les deux jeunes filles suivent des leçons de musique données par Franz Schubert, engagé comme maître de musique par le comte János (ou Johann, en allemand) pendant les étés 1818 et 1824, dans le domaine familial des Esterházy à Zselíz[5].

Comme le dit le pianiste, compositeur et musicologue Jérôme Ducros, spécialiste entre autres de Schubert :

« Il s'avère qu'elles sont déjà très bonnes pianistes [...], et que Schubert servira davantage de répétiteur que de professeur. [...] Revenu à Vienne après quatre mois, [Schubert] continue d'y instruire régulièrement les deux comtesses. »[6]

En fait, c’est la famille entière qui était musicienne. Non seulement avec divers instruments mais aussi pour le chant :

« Le comte [Johann] chantait en voix de basse, la comtesse [Rosa] et sa plus jeune fille Caroline chantaient la voix d’alto, enfin l’aînée, la comtesse Marie avait une tessiture enchanteresse de soprano léger »[7].

Manoir de villégiature d'été du comte Esterházy à Zselíz, où Schubert enseigna la musique à Caroline et à sa sœur aînée Marie.

Optant résolument pour l'hypothèse d'un grand amour secret et impossible de Schubert, Ducros indique :

« Au fil des années, Schubert se prend d'affection pour la cadette, Caroline, jusqu'à en tomber éperdument amoureux. En 1821, il compose deux danses allemandes, qu'il commence par lui dédier, puis raye violemment la dédicace. On ne sait pas au juste si Schubert a un jour déclaré sa flamme à la jeune fille[8], mais il est certain en tout cas que sa condition sociale ne va jamais lui permettre d'épouser une comtesse »[6].

On ne sait pas non plus si cet amour platonique était peut-être partagé par Karoline, ni même si Schubert le sût jamais[8]. Dans le même sens, Misha Donat note en tout cas qu’en 1818, lors de son premier séjour à Zselíz, « la jeune comtesse Karoline avait treize ans mais quand il revint six ans plus tard, elle était devenue une (jolie) jeune femme et, aux dires de tous, il en tomba profondément amoureux »[9] [en secret].

Pourtant, Caroline a finalement été dédicataire d'une des œuvres les plus abouties de Schubert, et aujourd'hui l'une des plus célèbres, considérée comme l'un de ses chefs-d’œuvre[10] : la Fantaisie en fa mineur, D. 940, opus posthume 103, pour piano à quatre mains — oui, à quatre mains, « le symbole a son importance »[6], « [...] [comme] une déclaration d’amour désespérée [et] de la musique à jouer à deux pour conjurer la solitude... [trahissant ainsi son vœu original le plus cher] qui était d'avoir un jour Karoline à ses côtés, dans la proximité troublante de l'exécution à quatre mains »[11].

En effet, « plusieurs des partitions à quatre mains les plus marquantes [de Schubert] remontent aux deux séjours prolongés qu’il effectua en Hongrie, dans la résidence d’été du comte Esterházy. […] Il a pu composer les duos pianistiques de Zselíz pour que ses deux élèves puissent les jouer ensemble, à moins qu’il ne se soit réservé une des parties, s’octroyant par là même des moments d’intimité avec Karoline »[9].

Toujours est-il qu'après l'été de 1824, Schubert et elle sont restés amis jusqu'à la mort de celui-ci, en 1828.

Beaucoup plus tard, le , Karoline épouse le comte Karl Folliott de Crenneville-Poutet[12] mais le mariage est de courte durée et le couple se sépare. Elle meurt à Pressburg le des suites d'un trouble intestinal.

Relation avec Schubert[modifier | modifier le code]

La nature des sentiments de Schubert pour la comtesse a fait l'objet de nombreuses spéculations[13],[14],[15],[16].

Il existe en effet encore des controverses, chez les biographes et musicologues, sur la réalité comme sur l’importance de l'amour platonique impossible voué par Schubert à Caroline Esterházy, plus ou moins secret, et dont la frustration sublimée en ferait l'origine de certaines des œuvres les plus belles et les plus déchirantes de la fin de sa vie, ce qui place la jeune femme en position de « muse » et inspiratrice. Ainsi, comme l’écrit Bauernfeld, dramaturge et ami intime de Schubert :

« La comtesse Caroline peut être regardée comme sa muse visible et bénéfique, à la manière d’une Éléonore [d’Este] pour ce Tasse musical [qu’est Schubert] »[17].

Certains critiques en doutent, mettant en cause les sources[18], d'autres l'affirment s'appuyant sur certaines remarques allusives des lettres de Schubert, et sur des témoignages d’époque de ses amis les plus proches, notamment Eduard von Bauernfeld[19],[20],[17], Moritz von Schwind[21],[17], Franz von Schober[17], et Karl von Schönstein[6],[22],[23].

D’autres encore évoquent même la possibilité d'une homosexualité de Schubert, bien cachée et encore moins attestée (mais rappelons que celle-ci était encore à l'époque un délit, voire un crime, poursuivi pénalement dans l’empire des Habsbourg très catholiques, sous la férule de Metternich)[24],[25].

D'ailleurs, comme le dit Rita Seblin dans son article sur son livre : « The memoirs of Schubert’s friends are full of his devotion to Caroline Esterházy, but perhaps this “fact” is unknown to musicologists and theorists who for so long have preached that music is autonomous from biography. » (« Les mémoires des amis de Schubert sont pleines de sa vénération pour Caroline Esterházy, mais ce "fait" est peut-être inconnu des musicologues et des théoriciens qui ont si longtemps prêché que la musique est autonome par rapport à la biographie. »)[20].

Hommages et postérité[modifier | modifier le code]

"Schubertiade chez Josef von Spaun", de Moritz von Schwind. Un portrait de Caroline Esterházy est accroché au-dessus du piano où joue Schubert.

Moritz von Schwind, dans son dessin "Schubertiade at Josef von Spaun", montre un portrait de Caroline Esterházy au-dessus du piano dont joue Schubert.

Plusieurs films ont évoqué les relations de Caroline Esterházy et de Schubert, notamment Gently My Songs Entreat (1933)[26], Unfinished Symphony (1934) et Symphony of Love (1954).

La comtesse est également un personnage principal d'un roman de Gaëlle Josse, Un été à quatre mains.

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) « Esterhazy, Karoline Gräfin », sur ÖNB Digital (consulté le )
  2. « SCHUBERT online », sur schubert-online.at (consulté le )
  3. « Franz Schubert in search of lost time », figures-of-speech.com (consulté le )
  4. Jean Bérenger, « Les Esterházy », sur universalis.fr, Encyclopaedia Universalis (consulté le ).
  5. (en) For Royalties and Contract Only Eva Badura-Skoda, Schubert Studies : Problems of Style and Chronology, CUP Archive, , 369 p. (ISBN 978-0-521-22606-6, lire en ligne)
  6. a b c et d Jérôme Ducros, Livret du CD : Franz Schubert - The Fantasies for piano, par Jérôme Ducros (transcription et interprétation), label : Ligia Digital, référencé : « Lidi 0103095-01 » (code : 3 487549 900959), , 32 p., p. 7, présentation en ligne : (ASIN B06XJB73SB).
  7. Notre traduction de (en) Scott Messing (trad. Schubert dans l’Imaginaire Européen, volume 2 : la Vienne fin de siècle), Schubert in the European Imagination, Volume 2 : "Fin-de-siècle" Vienna, University of Rochester Press, coll. « Eastman Studies in Music », , 336 p. (ISBN 1-58046-213-8 et 978-1-58046-213-6, ISSN 1071-9989, lire en ligne), p. 83, présentation en ligne : (ASIN 1580462138).
  8. a et b peut-être, selon certains biographes, Schubert lui a-t-il avoué son amour en 1824, lors de son deuxième séjour prolongé à Zselíz : voir par exemple Bruno Serrou, « Franz Schubert, notre contemporain », sur ResMusica, (consulté le )
  9. a et b Misha Donat, Livret du CD "Schubert piano duets", par Paul Lewis et Steven Osborne, label : Hyperion – CDA67665 – LC 7533, DDD (code : 0 34571 17665 9), , 16 p. (lire en ligne), pp. 8, 10 et 11.
  10. Voir les nombreuses citations de musicologues qui corroborent cette appréciation dans l'article consacré à cette Fantaisie en fa mineur de Schubert.
  11. Préface (par le transcripteur) à l'édition de la partition suivante : Franz Schubert (trad. Jérôme Ducros), Fantaisie en fa mineur D 940, transcription pour piano à deux mains, Paris, Gérard Billaudot (partition référencée : G 7588 B), coll. « Brigitte Bouthinon-Dumas », , 40 p. (ISMN 979-0043075882), p. 2, présentation en ligne : (ASIN B003JYOW08).
  12. « Gräfin Karoline Esterházy de Galántha (1811-1851) – EsterhazyWiki », de.esterhazy.net (consulté le )
  13. (en) William Smith Rockstro, A General History of Music : From the Infancy of the Greek Drama to the Present Period, Cambridge University Press, , 558 p. (ISBN 978-1-108-06479-8, lire en ligne)
  14. (en) Rita Steblin, « Schubert à la Mode », The New York Review of Books,‎ (lire en ligne)
  15. (en) Scott Messing, Schubert in the European Imagination, University of Rochester Press, , 315 p. (ISBN 978-1-58046-213-6, lire en ligne)
  16. (en) Brian Newbould, Schubert Studies, Routledge, , 304 p. (ISBN 978-1-351-54994-3, lire en ligne)
  17. a b c et d (en) Brian Newbould, Schubert Studies, Routledge, (ISBN 9781351549943, lire en ligne), p. 237.
  18. (en) William Smith Rockstro (trad. Une histoire générale de la musique : de ses débuts dans le théâtre grec jusqu'à nos jours), A General History of Music : From the Infancy of the Greek Drama to the Present Period, Cambridge University Press, (ISBN 9781108064798, lire en ligne), pp. 330-331.
  19. Témoignage d'Eduard von Bauernfeld à retrouver chez : Ian Bostridge (trad. de l'anglais par Denis-Armand Canal), Le Voyage d'hiver de Schubert : anatomie d'une obsession [« Schubert's Winter Journey, anatomy of an Obsession »], Arles, Actes Sud, (1re éd. 2015 (en)), 442 p. (ISBN 2330077459, OCLC 1024315310)
  20. a et b (en) Rita Seblin, « Schubert à la Mode », sur The New York Review of Books, (consulté le ), § 3.
  21. Notamment dans une lettre datée du 2 août 1824, envoyée depuis Zseliz par Schubert à Schwind : Jérôme Ducros, Livret du CD : Franz Schubert - The Fantasies for piano, par Jérôme Ducros (transcription et interprétation), label : Ligia Digital, référencé : « Lidi 0103095-01 » (code : 3 487549 900959), , 32 p., p. 7, présentation en ligne : (ASIN B06XJB73SB).
  22. Ce témoignage de Schönstein, dans une traduction légèrement différente, est aussi repris dans la biographie de Schubert écrite au XIXe siècle par Agathe Audley, Franz Schubert : sa vie et ses œuvres, Paris, Didier et Cie, , 365 p. (lire en ligne), pagination originale p. 108, pagination numérique p. 122.
  23. (en) Brian Newbould, Schubert Studies, Routledge, (ISBN 9781351549943, lire en ligne), p. 253.
  24. Jean-Luc Caron, « Schubert, déstabilisé par une maladie vénérienne incurable », sur ResMusica, (consulté le )
  25. C’est aussi l’hypothèse de Charles Rosen dans la polémique qui semble l’opposer à Rita Seblin déjà évoquée : (en) Rita Steblin, et réponse de Charles Rosen, « Schubert à la Mode », The New York Review of Books,‎ (lire en ligne)
  26. (en) Lorraine Byrne Bodley et Julian Horton, Rethinking Schubert, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-020012-1, lire en ligne)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]