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Utilisateur:Matthieu Huegi/Brouillon

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Mémoire de Bachelor — Matthieu Huegi[modifier | modifier le code]

En regardant les livres présents dans ma bibliothèque, une chose m’a sauté aux yeux. Une grande partie d’entre eux sont reliés par un même fil rouge. Les ouvrages pour lesquels j’apporte le plus d’intérêt graphiquement sont pour la plupart mis en page de manière extrêmement systématique, à la limite de la programmation.

Le design systématique, ou le design pensé comme un programme. Un domaine qui m’intéresse particulièrement depuis quelques années. En y pensant, cette façon de concevoir le design du livre se reflète également dans mon travail. Après mûres réflexions, j’ai décidé d’en faire mon sujet de mémoire. Dans un premier temps, vous trouverez divers exemples commentés. Certains seront plus développés que d’autres, certains seront anecdotiques, d’autres seront très factuels.

Puis dans un deuxième temps, le fil rouge qui relie les diverses éditions que je vais vous présenter, partira explorer le domaine de la presse écrite qui, comme vous le constaterez, est directement liée aux règles systématiques que l’on retrouve dans le design éditorial présenté sur cette page.

Bonne lecture

Partie 1: Design systématique et automatisé[modifier | modifier le code]

SHEAVES — When things are whatever can be the case[modifier | modifier le code]

Comme premier exemple, je vais vous présenter un livre que j’ai dû designer en 2013 pour l’ETH Zürich (Eidgenössische Technische Hochschule Zürich), alors que je travaillais encore à plein temps pour Onlab, bureau de design graphique suisse basé à Berlin. Ce travail était une collaboration directe avec le Prof. Dr. Ludger Hovestadt  (Chair for Computer Aided Architectural Design (CAAD), Institute for Technology in Architecture ITA, Swiss Federal Institute of Technology ETH, Zurich, Switzerland), et le Dr. phil. Vera Bühlmann (Laboratory for Applied Virtuality at the Chair for Computer Aided Architectural Design (CAAD), Institute for Technology in Architecture ITA, Swiss Federal Institute of Technology ETH, Zurich, Switzerland.) La longueur de leurs titres est proportionnelle à l’appréhension que j’avais à l’idée de travailler sur un tel projet. Le breafing était clair, il ne s’agissait pas de remplir du texte linéaire sur 544 pages, mais de les aider à trouver une solution afin de retranscrire leurs recherches au format mural, dans un petit livre de 21 cm de haut. Quand ces deux chercheurs ont fait appel à nous, ils partaient du principe que ce projet allait être rempli de compromis.

Le titre de cet ouvrage, SHEAVES 1.1.1, signifie littéralement «la bourse, le paquet.» C’est un condensé d’informations diverses et variées. C’est le résultat d’une recherche picturale et philosophique, composée d’images glanées sur le web ou récupérées directement de livres. Les auteurs de cet ouvrage incitent le lecteur à continuer leur recherche et à se l’approprier. Ils ont travaillé de manière spontanée en collectant des images tout en les annotant, pour ensuite tisser des liens entre elles. Ce qui les fera ensuite rebondir sur d’autres images, d’autres annotations, et ainsi de suite. Ils souhaitent que les intéressés fassent de même. Vous comprendrez cette notion en lisant la 4ème de couverture:

«This book does not describe anything. It does not judge. It inspires. You will find no continuous texts. But you will find a wide range of topics. This book is a sheaf of indexes. An index again is a sheaf of indexes. So how to read this book? Take the notions seriously. Search the Internet and they will loose their generalness. They will begin to speak to you vividly. They will become richer and richer. Bundle these riches with the riches of other notions and they will activate each other. Give them a mark, a label, an index of your own. Treat them as strange identities and familiarize yourself with them. Also, take the pictures seriously. Photograph or scan them. Use them as an index, just like the notions, while searching the Internet. Again, you will find rich stories. Bundle those riches, concentrate them into new identities that are interesting to you. The more accurate you can address them, in terms of your interest, the richer and livelier they become. Let yourself be inspired by the intellectual wealth of our world. This is the way in which this book has been created. And you can continue it. It is an exciting adventure. Demanding and optimistic. 1.1.2»

Le contenu est divisé en 8 parties différentes et réparti dans 88 sous-chapitres. Chacune des 275 images est accompagnée d’une légende ou annotation. La section des images est très linéaire, c’est un flux constant d’informations.

Jusque-là, aucun problème de retranscription. La mise en page est linéaire et très systématique. Mais le challenge se cachait dans les pages de «text-clouds. 1.1.3» Hovestadt et Bühlmann ont travaillé sur un grand mur, récoltant, rédigeant et mettant en relation différents textes ou définitions, sur des axes horizontaux et verticaux. Ces textes étaient classés par groupes, paragraphes, eux-mêmes imbriqués dans d’autres groupes. La problématique qui se posait était le fait que les deux chercheurs tenaient au respect total de l’emplacement de chaque texte, et souhaitaient que ces nuages ne soient pas modifiés, afin que l’on puisse voir chaque groupe en une double-page. Mais si l’on réduisait le contenu de chaque groupe à cette taille, le texte aurait été illisible à cause de son corps inférieur à 5 points. Il a donc fallu comprendre et réinterpréter le contenu, afin de trouver un système permettant de diviser ce dernier en plusieurs pages, tout en gardant la position et l’ordre de chaque bloc de texte, par rapport aux axes verticaux et horizontaux qui avaient été définis. Sans eux, le texte n’aurait plus de sens car la position de chaque bloc a une signification. Tout ceci paraît complexe, et ça l’est! La seule manière de comprendre comment ils ont agencé ces différents groupes de textes, serait d’avoir le livre dans les mains et commencer à le lire. Au bureau, Thibaud Tissot et moi étions tous les deux surpris par ce contenu, jusque-là encore jamais vu. Nous avons donc commencé à lire le tout, ce qui nous a permis de comprendre leurs associations. À leur grande surprise, après une semaine et demie de recherche, j’ai pu proposer une solution efficace à leur problème. Le système initial est modifié, mais l’emplacement des textes permet de garder leur signification. L’heure n’était donc plus aux compromis. Après leur avoir envoyé les premières pages de texte 1.1.4, Hovestadt a aussitôt répondu en comparant cette nouvelle solution graphique, à la mise en page du Talmud 1.1.5. Ce qui est intéressant, c’est que ce dernier met également en relation chaque texte composant la page, dans une composition permettant la relation entre la gauche et la droite, tout comme le haut et le bas. Sans cette disposition, tout comme dans le cas de SHEAVES, les écrits du Talmud n’auraient simplement pas la même signification. Une fois le système validé, il ne restait plus qu’à designer les 544 pages du livre.

Parlons maintenant plus en détail du design, et pourquoi je l’associe au thème du design systématique et automatisé. Le livre est un flux d’informations sans aucune hiérarchie. Toutes les images et leurs légendes, ainsi que les pages de textes sont au même niveau. Le contenu est simplement divisé en différents chapitres distincts. Le format des images changeaient quasiment tout le temps, mais nous avions le droit de les recadrer plus ou moins grossièrement pour les adapter à notre mise en page. Après avoir étudié le contenu, nous avons décidé de créer une grille très grossière et ultra simplifiée. Cette grille est tout simplement composée de carrés de 1 cm, comprenant une marge optique dans la reliure. C’est sur ce quadrillage que viennent ensuite se placer les images de manière extrêmement systématique, en les collants les unes aux autres. Ces images sont ensuite alignées en alternance sur le haut et le bas de la page, créant des bandes blanches de 2 cm d’épaisseur, où nous avions ensuite la place de disposer les légendes appartenant à chaque image. Une mise en page complément systématique, qui pourrait être automatisée à l’aide de scripts. Viennent ensuite les pages contenant les «text-clouds 1.1.3», reprenant la grille de base pour les marges, mais se réduisant à une deuxième grille millimétrée pour l’intérieur de ces dernières. C’est sur ce quadrillage que viennent se placer les textes, séparés de deux marges de largeurs différentes afin de créer la hiérarchie nécessaire à la compréhension des différents groupes et sous-groupes développés par nos deux chercheurs. L’association de tout ce contenu textuel est ensuite pensée en flux de texte constant, passant d’une page à l’autre à la façon d’un livre tout à fait ordinaire. Le système développé a permis de transformer le format du texte tout en gardant sa signification, pour l’intégrer sur le petit format du livre présenté. Nous parlons bien de système de mise en page, ce qui veut dire qu’il y a des règles bien définies qui ne nous permettent pas de placer les différents blocs de manière intuitive. Et ce système est si particulier que la mise en page qui en découle sort des pages de textes que nous avons l’habitude de voir.

Ces pages de texte sont donc un exemple bien particulier de design généré par le contenu, grâce à une systématique préalablement mise en place.


CDN Recueil 00 05[modifier | modifier le code]

Voici un exemple qui traite d’une automatisation du texte exclusivement. Ce livre 1.2.1 a été créé pendant une semaine bloc dirigée par Nicole Udry, sur le thème du Livre d’Or d’une institution. Dimitri Naegele et moi-même avons collaboré durant cette semaine, et avons décidé de contacter le Centre Dürrenmatt Neuchâtel, afin de travailler avec eux sur ce projet. L’institution nous a fourni les Livres d’Or des années 2000 à 2005. Les commentaires manuscrits des visiteurs du centre ont été traités, numérisés, traduits et classés en fonction des années, par ordre de parution, mais surtout par ordre de pertinence. Comme vous pouvez le voir sur l’image de cette double page 1.2.2, cet ordre de pertinence se divise en 3. Une taille de texte a été attribuée à chacun de ces 3 niveaux. Étant donné que les commentaires apparaissent chronologiquement, aucun choix de design ne peut être pris quant au placement et au rythme des textes.

Le design est encore une fois pensé comme un programme, avec une systématique forte qui permet au contenu de générer la forme.


Wolfgang Hesse – Das Auge des Arbeiters[modifier | modifier le code]

L’image elle aussi peut-être mise en page de manière systématique, comme on peut le voir avec ce travail de Florian Lamm et Jakob Kirch du studio Lamm & Kirch. Ce livre ititulé «Das Auge des Arbeiters 1.3.1», qui signifie en français «L’oeil des travailleurs», retrace la période de dur labeur de l’entre-deux guerres en Allemagne, grâce à des photographies prises par des travailleurs lambdas. L’ouvrage n’est pas du tout designé de manière spécialement systématique à la limite du programmé, comme on a pu le voir dans d’autres exemples cités sur cet article, mais les pages d’images ont tout de même une systématique qui les contraint à composer d’une certaine manière. Ces doubles-pages 1.3.2-3 démontrent la mise en page des images. On peut voir que la règle est de toujours remplir l’espace en imposant les images aux 4 bords du cadre défini. En plus de devoir remplir l’espace, elles doivent également s’appuyer l’une contre l’autre, avec un espace de 2 mm les séparent.

Cette systématique ne concerne qu’une partie du livre, puisque plus loin dans l’édition, on peut trouver d’autres sections 1.3.4 ou la mise en page des images est plus volatile et instinctive. Ce qui permet de différencier les différentes typologies d’images.


Géographie Extrême (plus tard Swiss Grid)[modifier | modifier le code]

Ce projet de Giliane Cachin est une recherche et une documentation sur les points géographiques extrêmes de la Suisse. Sur un ton à la fois expérimental et scientifique, le lecteur découvre ces lieux en passant, au fil de l’édition, d’un extrême à l’autre. Les mises en page ont été adaptées à chacun de ces points en fonction de leurs coordonnées géographiques. Les images quant à elles, mixent différentes vues de ces lieux (aérienne, frontale) permettant de découvrir ces points sous plusieurs angles. Ce livre 1.4.1 que Giliane a présenté comme diplôme et plus tard aux bourses fédérales des Swiss Design Awards, qu’elle a eu l’honneur de remporter, est un parfait exemple de design généré par son contenu.

En effet, la façon dont le texte est mis en page dans ce livre est dictée par des règles extrêmement bien établies. Chacun des chapitres parlent d’un point spécifique des Alpes Suisses, ayant chacune leurs propres coordonnées géographiques ainsi que leur hauteur. Chacune de ces spécificités influence la taille, l’emplacement ainsi que le déploiement des informations en une ou plusieurs colonnes de texte 1.4.2. Le rôle du designer est dans ce cas, le même que celui d’un chef d’orchestre qui crée ses partitions en fonction de chaque instrument, harmonisant d’un coup de baguette l’ensemble des musiciens.


30 ans à Paris[modifier | modifier le code]

Grand chef d’œuvre de cette fin d’année 2015, cet ouvrage 1.5.1 réalisé par Ludovic Balland secoue la scène éditoriale franco-suisse de plein fouet. Malgré les doutes que j’ai parfois émis quant au design très imposant du romand bâlois, je dois admettre que sur ce coup, je suis plus que stupéfait. J’ai toujours été un grand admirateur et contemplateur de ses éditions (contrairement à ses travaux d’identités visuelles), qui pour moi représentent le design éditorial le plus technique et intelligent de ces dernières années. Avec des ouvrages tels que Buchner & Bründler – Bauten, sa célèbre monographie des grands Herzog & de Meuron 1997–2001, ou encore la monographie de l’artiste Eva Afuhs dont je vais vous parler dans le prochain sous-chapitre. La systématique, la programmation ainsi que l’esprit logique et pratique de Ludovic se ressentent dans ses ouvrages. Je ne pourrais pas aborder le thème du design automatisé sans parler de ce graphiste.

Mais ne nous perdons pas dans les éloges, parlons plutôt du livre en question, retraçant 30 ans d’art suisse à Paris. Et qui de mieux pour en parler que son designer, voici la description de l’ouvrage par Ludovic Balland:

«30 ans à Paris» est un livre d’archives. Il a été créé pour célébrer le 30e anniversaire du Centre Culturel Suisse et édité par Jean-Paul Fellay, Olivier Kaeser et Ludovic Balland.

Cet anniversaire est célébré à travers deux axes éditoriaux: le passé et le présent. Le passé, ce qui est l’histoire et la chronologie du CCS, est discuté et rappelé par les deux directeurs du Centre, Jean-Paul Fellay et Olivier Kaeser, et accompagné par deux anciens directeurs, Jean Jeannet et Werner Düggelin. Cette discussion est illustrée par une sélection brillante de photos. La discussion intense est suivie par une timeline, qui constitue le corps principal du livre. Cette chronologie passe en revue tous les événements qui ont eu lieu au Centre Culturel Suisse au cours des 30 dernières années. Les organiser en quatre groupes, «scène», «langue», «projection» et «exposition», a permis un espace pour chaque type d’événement qui a été produit. A l’intérieur des doubles-pages de la timeline 1.5.2+5, sont imbriquées d’autres doubles-pages cette fois composées d’images 1.5.3-4. Ce rythme entre les images et les pages de chronologie transforme le lecteur en explorateur.

Le présent, le second axe de rédaction du livre, est le portrait de 30 artistes sélectionnés par les administrateurs du CCS spécialement pour le livre. Les 30 artistes ont toutes et tous figuré au CCS au cours de ces 30 dernières années. Plusieurs auteurs, journalistes, conservateurs et diverses personnalités ont été sélectionnés, puis un portrait a été rédigé pour chacun d’eux. Mathilde Agius et Ludovic Balland ont effectué le reportage photographique. Le concept de ce corps photographique est le voyage qu’ils ont effectué en visitant chacun des 30 artistes dans leurs maisons ou ateliers. Ce voyage de près de 30’000 km au total, richement documenté, crée une vision contemporaine de la scène créative suisse et ses protagonistes jeunes et plus âgés, à travers l’Europe et l’Amérique.

Grandiose. Mais ce livre ne plait apparemment pas à tout le monde! Nombreux seront les sceptiques quant au design imposant du livre. Comme par exemple le journaliste Étienne Dumont (Tribune de Genève) qui commente le livre pour Bilan, magazine suisse romand d’économie appartenant au groupe Tamedia:

«Pour le cœur de l’ouvrage, le tandem actuel a décidé de tout rappeler, en montrant un maximum de photos d’époque. Il y a d’immenses tableaux synoptiques par mois et par genre depuis 1985. Seul ennui, l’encombrant graphiste chargé du livre semble l’avoir voulu inconsultable (pas de table des matières par exemple). Si le lecteur a le jour et le mois, il ignore à quelle année se situe l’événement. Nul n’a pensé à l’indiquer. Dans les entretiens de départ, il y avait déjà quelque chose de faux. Pourquoi avoir mis les initiales des intervenants (dont la modératrice Martine Béguin), en lettres blanches minuscules dans des carrés noirs? Il-li-si-ble!»

«En dépit de son terrifiant conditionnement graphique (qui est aussi de Ludovic Balland, l’œuvre d’art totale), le livre mérite de se voir consulté. […]»

Publié le 4 Février 2016 à 20:54 sur www.bilan.ch

Cher Monsieur Dumont, il serait judicieux d’ouvrir les yeux avant de dire ce genre d’absurdités: «Si le lecteur a le jour et le mois, il ignore à quelle année se situe l’événement. Nul n’a pensé à l’indiquer.» Car si vous prenez la peine de les ouvrir et d’un minimum réfléchir, vous verrez que les doubles-pages scriptées 1.5.2+5 de la timeline sont classées par années, et ces années sont clairement annotées dans la navigation en pied de page.

Merci au journaliste de citer ces pages scriptées 1.5.2+5, car c’est précisément d’elles dont je voulais parler. Jusque-là, sauf erreur, Ludovic Balland n’avait jamais réellement programmé les pages d’un de ses livres. Pour cet ouvrage, il a fait appel à Romain Cazier, fraîchement sorti du bachelor Media and Interaction Design de l’ECAL, afin de l’aider à développer ces doubles-pages à l’aide de basil.js, qui est un outil permettant d’inclure du code JavaScript directement dans InDesign afin de générer du la mise en page.

Ce script est développé sur en tout et pour tout 62 pages dans le livre. Les 350 pages restantes sont quant à elles traditionnellement composées manuellement. On peut se poser la question de la nécessité d’avoir utilisé un script pour réaliser ces pages. Etait-ce vraiment un gain de temps qui valait la peine financièrement? Ou étais-ce simplement l’envie d’essayer et de faire avancer le design? Dans tous les cas, Ludovic Balland nous démontre que le design scripté peut prendre des formes des plus intéressantes et complexes.

Eva Afuhs – Windwürfel. Das künstlerische Werk[modifier | modifier le code]

Continuons avec Ludovic Balland et un autre de ses ouvrages qui est une monographie de l’artiste Eva Afuhs 1.6.1. Le livre posthume donne un aperçu de toute la diversité des œuvres pour la plupart inédites d’Eva Afuhs. Le livre est comme une archive ouverte, représentant l’atelier de l’artiste. Le contenu est disposé de manière subjective et associative, tissant des liens entre les différentes œuvres en les associant les unes aux autres. Ces associations appelées «dépôts 1.6.4» rappellent l’idée de l’étagère dans laquelle seraient classés les travaux afin d’organiser une archive. Ce qui permet alors de présenter des œuvres non pas par ordre chronologique, mais plutôt par typologie. Les images de l’archive sont mises en page de manière à remplir la hauteur de la page, ce qui donne au lecteur l’image mentale d’une étagère remplie d’archives. Ce système génère des formats d’image variables et rend la mise en page dynamique. Une série d’essais sont répartis à travers l’archive 1.6.2.

Encore une fois, la composition des pages est pensée comme un programme, avec une logique claire, pensée en fonction du contenu. Cette mise en page n’est cependant pas aussi «facilement» scriptable comme pour son livre sur le CCS, car la dimension humaine s’ajoute à l’équation, puisque le designer sélectionne visuellement et intuitivement les images qu’il va mettre en valeur, et compose la mise en page en fonction du contenu associé à ces dernières. Et c’est bien là que ça devient intéressant, car le graphiste impose son œil et propose une vision singulière.


LANCE Bulletin 2010–2015 — Tropical Cyclones Report[modifier | modifier le code]

Comme dernier exemple, je vais vous parler du dernier travail d’édition 1.7.1 que j’ai réalisé en fin d’année 2015, lors de la moitié du premier semestre de 3ème année du bachelor en design graphique de l’ECAL. Ce projet a été réalisé lors du cours d’édition mené par Angelo Benedetto, Gilles Gavillet et Jonathan Hares, qui ont donné comme thématique le système de nomenclature des ouragans tropicaux (Tropical Cyclone Naming Systeme). Nous ne disposions d’aucun contenu, mis à part une petite liste de noms et une définition Wikipedia. Il fallait donc trouver et générer le contenu entièrement de A à Z. Ça faisait bientôt 3 ans que j’attendais ce cours avec impatience, car c’est le seul et unique cours d’édition disposant d’une liberté totale hormis la thématique préalablement donnée. Ayant auparavant déjà travaillé sur le design de différents livres et magazines durant mon année et demi de travail au sein du bureau Onlab à Berlin, l’envie m’est venue de recréer l’ambiance de travail professionnelle où la conception du livre se fait depuis une base solide, avec un contenu consistant et préalablement préparé par l’éditeur et les auteurs. C’est pourquoi il était primordial dans un premier temps de faire des recherches quant au contenu existant sur la thématique des cyclones tropicaux, afin de trouver la meilleure façon d’aborder le sujet selon mes attentes et mes envies. Les deux premières semaines ont été consacrées à la recherche de ce contenu, tout en m’informant et en en apprenant d’avantage sur la thématique. Deux longues semaines après lesquelles je suis tombé sur une gigantesque archive de la NASA, regroupant les données récoltées grâce au programme appelé LANCE, consistant à archiver photographiquement toutes les anomalies climatiques terrestres à l’aide de satellites conçus à cette occasion. Ce programme est actuellement essentiellement utilisé afin d’observer chaque anomalie tropicale (ouragans) depuis l’espace. LANCE a été mis en service à partir de 2008, où il est resté en phase teste jusqu’en 2010. Les deux semaines suivantes ont permis la récupération et le traitement du contenu pictural et textuel, à savoir les 242 cyclones ayant frappé la terre de 2010 à 2015 constituant une banque d’images de plus de 42Gb, à laquelle vient se greffer les textes, informations et légendes pour chaque cyclone. Sans oublier les recherches sur le design de l’édition, la police de caractère spécialement adaptée pour le projet, ainsi que l’élaboration du système éditorial. Les deux semaines qui suivirent furent nécessaires au développement final de la mise en page et de l’objet, le traitement des images etc. La dernière semaine étant réservée à la production et la confection du livre. Sept semaines jour pour jour après la remise de la donnée, le livre de 470 pages était prêt à être présenté en évaluation. Un timing court et intense, me rappelant celui que l’on a l’habitude de tenir tous les jours dans le monde du travail.

Parlons maintenant plus en détail de la systématique abordée afin de traiter graphiquement cette masse de contenu très répétitif. Premièrement, les ouragans n’ont pas été classés par ordre chronologique, mais bien par ordre alphabétique. Il s’agit donc d’un abécédaire des ouragans, ce qui simplifie passablement la navigation et la recherche 1.7.2. Cependant, les dernières pages du livre sont dédiées à différents index, classant les cyclones par ordre chronologique, mais aussi par situation géographique. Les cyclones tropicaux sont classés grâce à l’échelle de Saffir-Simpson, qui les différencie sur 6 niveaux appartenant à 3 groupes majeurs. Dans cette édition, chaque ouragan a été classé dans un de ces 3 groupes selon sa force. Une taille de texte ainsi qu’une largeur de colonnes ont été définies pour chacun des groupes. Ça peut paraître compliqué, mais au final c’est on ne peut plus simple. Une taille de texte est attribuée à chaque ouragan, ce qui va lui faire prendre plus ou moins de place sur la page. Les différents blocs de texte se suivent successivement en s’emboitant. Si un texte n’a pas la place d’être placé à la suite du précédent, il saute une page et va se crocher en haut de cette dernière. La mise en page des textes se fait donc de manière très systématique. Ce qui est intéressent dans ce système, c’est qu’il traite un contenu extrêmement linéaire tout en créant une mise en page inattendue, rendant chaque double-page unique, et dynamise le rythme de l’édition 1.7.3-4+6.

Concernant les photographies, elles sont placées à la fin de chaque section de texte. Les images en plein format permettent de mettre en valeur la qualité exceptionnelle de ces photographies 1.7.5.


Partie 2: Réflexion sur une application à la presse traditionelle et digitale[modifier | modifier le code]

L’avenir de la presse écrite est un sujet sensible ces derniers temps. En France, l’heure est aux changements, aux rachats de grands groupes de presse comme par exemple le groupe Express qui en 2015 s’est fait racheter par Altice Media Group et qui a dû licencier pas moins de 125 salariés. De plus en plus de journaux en viennent à se dire que l’avenir de la presse est un écran. En France, 44% des lectures de journaux se font aujourd’hui à travers l’ordinateur, le mobile ou la tablette. C’est cette dimension multi-écrans qui a poussé le quotidien de Montréal La Presse à renoncer au papier, à partir de janvier 2016, pour se concentrer exclusivement à une édition gratuite sur tablette qui compte 500 000 abonnés. Là encore, cela a un coût puisque cette conversion se fait au prix de 158 licenciements. En Amérique du Nord, sans renoncer encore au papier, tous les grands quotidiens investissent sur leurs éditions numériques. En août, le New York Times a atteint un million d’abonnés sur son offre digitale, soit presque autant que le nombre de ses abonnés papier. Les réseaux sociaux eux aussi se mettent à vouloir repenser la news. Facebook propose Instant Articles aux éditeurs de presse; cela permet de diffuser des articles directement sur le flux d’actualité du réseau. Alors que le New York Times n’offre qu’une petite sélection, le Washington Post a décidé de diffuser l’intégralité de ses articles sur Facebook. En France, le réseau cherche à conclure des partenariats du même type avec plusieurs médias. Certains tablent aussi sur Google et Twitter qui auraient des projets similaires sur mobile, ou sur Apple News qui doit être lancé dans les prochaines semaines. Mais là, Apple devra vaincre les réticences des médias qui redoutent son opacité.

En Allemagne, un groupe composé de professionnels (dont je n’ai pas le droit de dévoiler les noms) de la presse écrite et de la communication comprenant un éditeur en chef d’une maison d’édition allemande internationalement reconnue, un ancien cadre d’un des principaux journaux allemands ainsi qu’un designer ayant principalement travaillé pour le monde de l’édition, avaient réuni plus de 500’000 euros afin de travailler sur un projet ayant pour ambition de révolutionner le journal papier. Malheureusement, un des principaux investisseurs s’est retiré, ce qui a causé l’annulation du projet. Je n’ai aucune idée de ce qu’il en est à l’heure actuelle, je vous parle d’un projet datant de 2014. J’ai eu la chance de pouvoir discuter avec un des 3 co-fondateurs en été 2014 à Berlin. Ça faisait déjà quelque temps que je m’intéressais au sujet de l’avenir du journal et de la news en général, et cette rencontre m’a fait découvrir une nouvelle vision de la problématique. En reprenant les cours à l’ECAL en septembre 2014, Vincent Jacquier nous annonce que l’école a été contactée par Tamedia, qui est le plus grand groupe de médias privé de Suisse, afin de venir collaborer avec les étudiants à l’occasion d’une semaine de workshop. L’entreprise a été fondée en 1893 et est cotée à la Bourse suisse depuis 2000, avec un chiffre d’affaire de plus de 1114,5 millions CHF (+ 4,2%), et un bénéfice net en hausse à 159,7 millions CHF en 2014. C’est sans aucun doute le plus gros client Suisse avec qui un designer graphique peut espérer travailler. Cette nouvelle me ravit et tombait exactement au bon moment. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Tamedia est venu avec une des attentes plus que surprenantes. Le titre du workshop s’intitulait «Révolutionner le journal papier». Nous avons eu droit à une visite des locaux du quotidien le 24 Heures dirigée par Mr. Thierry Meyer, rédacteur en chef (anciennement rédacteur en chef du journal Le Temps). Nous avons été exposés à la problématique actuelle de la situation de la presse écrite (ventes de journaux papiers en chute libre depuis 2009 avec une perte de plus de 40% d’acheteurs), de chiffres et des idées d’ors et déjà entreprises auparavant. En venant chercher l’ECAL, Tamedia n’avait aucune idée de ce qu’elle allait leur proposer. Vincent Jacquier parle directement d’actions «coup de poing» qui pourrait booster les ventes de journaux papier, en vendant le fait qu’il s’agit d’une collaboration entre Tamedia et l’ECAL. Je n’y croyais pas une seule seconde! Ce n’est pas un effet sympatique en couverture qui va donner envie aux gens d’acheter leurs journaux au lieu de de se contenter de leur fil d’actualité Facebook qu’ils consultent chaque matin, ou pire encore, des nouvelles gratuites du quotidien 20 Minutes (appartenant également à Tamedia). Certe cela pouvait mener à des résultats originaux et novateurs (ce qui, en toute franchise, n’a pas vraiment été le cas), mais ça ne répondait pour ma part pas aux attentes de départ de Tamedia. J’ai donc pris la décision de réfléchir réellement à la problématique, afin de proposer une «solution» ou du moins créer la discussion autour d’une nouvelle approche de la presse écrite. Je savais pertinemment que je n’allais pas trouver la solution à leur problème. Mais ce sujet m’intéresse et j’avais envie de travailler sur la question, en espérant être surpris à la fin.


Workshop Tamedia + ECAL, «La Une Romande» par Matthieu Huegi[modifier | modifier le code]

Je vais vous présenter le projet que j’ai proposé à Tamedia à la fin de la semaine de workshop du premier semestre 2014.

Le journal papier souffre depuis un certain nombre d’années. La cause principale est l’arrivée des smartphones et leur flux d’informations constamment et instantanément mis à jour. Ce qui cause la perte des quotidiens comme le 24 Heures ou La Tribune de Genève pour ne citer que ces deux, est la vente en kiosque de leurs journaux. En effet, les abonnements annuels ne baissent que très peu car ils concernent des gens intéressés et pour la plupart, abonnés depuis plusieurs années. Ce n’est donc pas le système d’abonnement qu’il faut remettre en cause, mais bien la formule que l’on achète en kiosque. L’arrivée des journaux gratuits, entièrement financés par la publicité, tels que le 20 Minutes et auparavant son concurrent directe Le Matin Bleu (appartenant étonnement à Tamedia) contribuent à diminuer les ventes d’autres quotidiens en kiosques. Ces journaux sont devenus un réflexe pour la plupart des gens allant au travail en train. Ayant déjà eu leur dose de nouvelles pour la matinée après avoir «lu» ces journaux gratuits, le lecteur lambda ne va pas s’arrêter acheter un journal payant en sortant du train en allant acheter son café. La question qui se pose est:

«Comment ré-intéresser les gens à acheter les quotidiens?»

Cette question a été le point de départ de ma recherche. Premièrement, il faut trouver un moyen de créer un nouvel objet qui, comme les journaux gratuits l’ont fait, s’introduise chaque matin dans la vie des gens prenant le train ou passant par les endroits publiques. Cet objet doit servir à rebooster les ventes de quotidiens en kiosques!

Voici le concept (à développer) de ce nouveau format, intitulé «La Une Romande»: La Une Romande est une nouvelle plateforme développée par Tamedia, à laquelle viennent se greffer les quotidiens intéressés, comme par exemple La Tribune de Genève. Il s’agit concrètement d’une simple feuille de journal au format d’une planche d’impression traditionnelle recto verso (le premier journal à avoir été créé avait cette forme également). Le recto de cette feuille est destiné à accueillir un aperçu de TOUS les titres présents dans dans le quotidien présenté, en l’occurence cette fois-ci, La Tribune de Genève. Chaque titre d’article est accompagné d’un court exergue (aperçu de l’article), ainsi que d’un code QR. Ce code QR nous ramène directement à la page de l’article en question, sur l’application molile de La Une Romande, où il est possible d’acheter l’article pour CHF 0.10, grâce à votre emprunte digitale comme par exemple avec Apple Pay. Je vous présente le concept de l’article à la demande! (C’est là que Steve Jobs se ferait applaudir) Mais ce n’est pas tout. L’article à la demande est certe une évidence de nos jours et c’est même hallucinant que ça ne soit pas plus développé. Le problème est que les gens ne sont pas habitués à payer l’information sur le web. Mettons maintenant ces codes QR, l’application et ses articles à la demande de côté deux minutes. Imaginez que «La Une Romande: La Tribune de Genève» est disponible gratuitement en gare. Vous prenez le train chaque matin pour aller travailler, et emportez avec vous «La Une Romande: La Tribune de Genève» avec vous. Chaque matin vous consultez cette sorte de sommaire, cet aperçu de l’actualité d’aujourd’hui. Si un article vous intéresse, vous allez certainement l’acheter pour CHF 0.10 sur l’application. Mais si plusieurs articles vous sautent aux yeux, il y a de grandes chances que vous décidiez d’acheter le journal en allant chercher votre café en kiosque une fois arrivé à la gare de votre lieux de travail. Ce nouveau concept permettrait à la fois de booster la visibilité des quotidiens, de booster les ventes de ces derniers en kiosques, et d’introduire l’article à la demande via l’application mobile. De plus, ce nouveau concept serait entièrement financé par la publicité, car le verso de La Une Romande serait entièrement réservé à la pub.

La Une Romande s’infiltrerait comme une nouvelle habitude dans la vie des gens.

Vous vous demandez certainement pourquoi je tiens à tisser un lien entre le design systématique ou automatisé, la presse écrite et plus spécifiquement le projet que je viens de vous présenter. J’ai tissé ces liens car je suis persuadé que le design des journaux va passablement évoluer. Actuellement, la conception graphique d’un journal prend énormément de temps, le graphiste ou le typographe doit sans cesse changer manuellement les informations et adapter le design jusqu’à la clôture du chemin de fer en fin de soirée. Je pense que l’infrastructure de la rédaction va passablement changer vers une ère automatisée, où les informations seront stockées sur une base donnée à laquelle serait reliée à la fois la plateforme web, mais également le journal lui-même. Dans un idéal, la mise en page devrait être entièrement scriptée. Le rôle du designer serait réduit à la direction artistique du journal et à la création du système de mise en page scriptée. Le but de cette démarche serait de simplifier l’accès à l’information et faciliter sa modification en tout temps, sur tous les supports en même temps.

Un journal comme le 24 Heures devrait alors être pensé comme un programme. C’est dans cette optique là que j’ai envisagé la rédaction de La Une Romande, qui serait le premier exemple de contenu «responsive» entre le support papier et le digital.

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