Utilisateur:Julien Alarie

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Maîtrise
Jean Echenoz

Compte-rendu de mon expérience sur Wikipédia[modifier | modifier le code]

Considérations a priori[modifier | modifier le code]

La présente page d’utilisateur a été créée dans le cadre du séminaire FRA 6730 (Littérature et culture numérique), donné à l’automne 2017 à l’Université de Montréal, par Marcello Vitali-Rosati. Je n’avais jamais collaboré à Wikipédia avant ce moment, pas plus que je n’avais envisagé de le faire. Pendant mon parcours scolaire, depuis le secondaire jusqu’à aujourd’hui (j’entame mon doctorat), l’évocation de Wikipédia était exclusivement défavorable, péjorative. L’encyclopédie collaborative souffrait d’une mauvaise réputation : les multiples allusions à sa prétendue non-fiabilité et à son manque de sérieux avaient fini, je dois l’admettre, par me convaincre. Les recherches sur Wikipédia, même si tous s’y adonnaient (la préséance algorithmique de l’encyclopédie dans les recherches Google est telle), devaient se faire dans l’ombre, à l’abri de tous les regards. Pas question de faire mention de la visite du site, encore moins de le citer dans un travail scolaire. Autant bien rendre une page blanche!

C’est donc avec stupeur (j’exagère à peine…) que j’ai aperçu, au moment de la lecture du plan de cours du séminaire, une contribution Wikipédia parmi les rendus. Pourquoi nous demandait-on, aux cycles supérieurs, de participer à une encyclopédie vraisemblablement si peu ancrée dans la science? J’ai rapidement compris l’apport inestimable de la plateforme, que je détaillerai dans les sections ultérieures : mes a priori négatifs ont été déboulonnés l’un après l’autre.

Dans tous les cas, j’allais devoir m’y faire. Dans l’autre séminaire auquel je prends part cette session, une séance entière était réservée à Wikipédia. Le professeur dudit séminaire voit en la participation à l’encyclopédie une bonne façon de partager et de démocratiser ses recherches scientifiques ; la plateforme permet en outre de nourrir les réflexions quant à l’autorité en contexte numérique. 

Pour moi, un littéraire aguerri, habitué à rédiger sur le mode de l’analyse, toujours à la recherche des tournures de phrases les plus diverses et les plus sophistiquées, la collaboration sur Wikipédia représentait un défi de taille. À l’interprétation, je devais substituer la vulgarisation ; à l’analyse subjective, je devais préférer la description objective. C’est donc avec une bonne dose d’inquiétude que je me suis lancé dans le projet.

Lentement, mais sûrement[modifier | modifier le code]

Mes premières visites sur Wikipédia m’ont permis d’apprivoiser ce site sur lequel j’allais (je ne le savais pas encore) me rendre de nombreuses fois par la suite. Grâce à l’onglet « Débuter sur Wikipédia » et aux rubriques « Être guidé dans vos premiers pas » et « Comprendre le fonctionnement », j’ai appris l’essentiel de sa structure et un certain nombre de fonctionnalités. J’ai lu et relu les principes de base (moins nombreux que je le pensais!), pour être certain de les respecter lors de mes interactions futures, en plus de me familiariser avec quelques critères qui m’étaient jusqu’alors inconnus, parmi lesquels celui de notoriété. J’ai été impressionné par la grande liberté accordée aux utilisateurs, à qui on recommande de ne pas « hésiter » : les principes fondateurs « engagent » même les collaborateurs à faire preuve, entre autres, d’« audace » et d’« innovation »! À cette liberté s’ajoute néanmoins une grande rigueur (qui constitue les « limites de la liberté rédactionnelle »), notamment bibliographique : l’encyclopédie n’est pas une source primaire et ses articles doivent s’appuyer sur des sources sérieuses.

Quelques jours plus tard, après avoir réfléchi à ces considérations préalables, je me croyais fin prêt à effectuer mes premières contributions (j’allais rapidement me rendre compte de tout le chemin qu’il me restait à parcourir…). À ce moment, si je jugeais les principes fondateurs et l’organisation générale du site assez bien pensés, mes doutes quant au savoir qui y est transmis persistaient toujours (que voulez-vous, ils étaient bien ancrés!).

Le 12 octobre dernier, j’ai participé pour la première fois à l’expérience Wikipédia. Pour quelqu’un comme moi dont les connaissances technologiques sont limitées, il était impératif de s’atteler très tôt à la tâche. J’ai commencé par lire plusieurs articles et par y faire des modifications mineures : diverses coquilles (espaces de trop, lettres manquantes), des corrections de ponctuation (virgules ajoutées ou retirées), de grammaire (concordance des temps de verbe, participes passés mal conjugués), de typographie (uniformisation des guillemets, ajout de majuscules/minuscules), de vocabulaire et un peu de wikification (usage de l’italique, du caractère gras). Peu à peu, en démystifiant la fonction « modifier le code », j’ai ajouté des annotations (en fonction des différents modèles, dont il est étonnamment facile de faire l’usage) : « référence nécessaire », « passage non neutre », « passage lyrique ou dithyrambique », etc. Dans certains cas, j’ai inséré des bandeaux pour indiquer qu’une section était « à sourcer ». C’est surtout en fouillant dans les différents articles que j’ai compris leur fonctionnement. Mes interventions, timides au départ, ont alors commencé à se multiplier, à un rythme quasi frénétique. 

Je me suis surpris à adorer faire la révision des textes de Wikipédia, au point d’y allouer près de deux heures chaque jour, information obtenue grâce au Wikiscan, auquel l’accès a été permis avec l'aide d'un utilisateur à l’occasion d’une discussion. Au total, j’ai accompli environ 500 contributions mineures, en plus d’une dizaine de modifications dites « moyennes » (souvent des suppressions de passages considérés inutiles ou qui apparaissaient deux fois) et d’une modification jugée « grande », et ce, en plus d'une vingtaine d’heures. J’ai trouvé en Wikipédia une échappatoire bienvenue à mes études (je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait ici d’un travail scolaire, tant c’est agréable) : il s’agit d’un outil idéal pour se sentir productif même sans rédiger son projet de recherche. J’ai pu mettre mes compétences et mes expériences de correction/révision au profit du plus grand nombre. Plus je comprenais les fonctionnalités à ma disposition, plus je participais avec aplomb. Nous avons vu en classe que « plus un usager est actif, plus il gagne en autorité[1]» : au rythme de mes interventions, j’ai acquis une forme de légitimité. Les remerciements formulés par les autres utilisateurs ont également contribué à mon gain de confiance. Je me suis donné pour mandat de tout uniformiser (wikifier) les articles que je lisais : le résultat final, beaucoup plus homogène, était extrêmement satisfaisant. 

Les articles qui m’ont occupé[modifier | modifier le code]

J’ai choisi les premiers articles à réviser en relisant mes notes de cours et en reprenant des termes dont je savais qu’ils avaient la notoriété nécessaire pour faire l’objet d’un texte sur Wikipédia. J’ai effectué mes premières modifications sur les articles « Édition électronique », « Numérisation » et « Hétérotopie ». Par la suite, je me suis laissé guider par la section « Articles connexes » qui clôt les différentes pages. En classe, nous avons effleuré la distinction entre crossmedia, hypermedia, multimedia et transmedia : je me suis donc attardé à ces concepts pour les approfondir. Je me suis rapidement rendu compte que la lecture – une lecture active, productive – des différents articles en lien avec le cours me permettait d’obtenir une meilleure compréhension des enjeux liés au numérique. Les apprentissages permis par la navigation sur Wikipédia complétaient ceux obtenus dans le cadre du séminaire. Puisque je ne connaissais pas, jusqu’à cette session, grand-chose aux enjeux de la culture numérique, ces nombreux survols ont été bénéfiques. J’ai également procédé à la révision des articles « Youtube », « Amazon.com », « blog », « blogosphère », « géolocalisation », « storytelling », « humanités numériques » et de plusieurs autres qui touchent à la question de l’espace (et à mon projet de thèse doctorale) : « géocritique », « imagologie », etc. Je travaille actuellement à la correction et la wikification de l’article « Révolution numérique », qui contient de nombreuses coquilles et dont le ton tient, plus souvent qu’autrement, très peu de l’encyclopédie. Plutôt que de s’en tenir à la description, certaines sections de cet article font se succéder diverses hypothèses, des interprétations subjectives et des questionnements potentiels, parfois dans un style trop lyrique pour correspondre aux principes de Wikipédia. Souvent, je n’ai pas les compétences requises pour rectifier le tir moi-même : j’ajoute alors différents modèles dans l’espoir d’attirer l’attention d’un utilisateur plus calé dans le domaine. 

La nature collective et processuelle de l’éditorialisation [modifier | modifier le code]

C’est là que la dimension collaborative de Wikipédia prend tout son sens. Chaque utilisateur apporte avec lui son lot de connaissances, mais accepte, inversement, ses limites. Ce constat renvoie à la nature collective de l’éditorialisation, qui se compose, tel que vu en classe, des « interactions individuelles et collectives avec un environnement numérique particulier ». Une contribution à Wikipédia, bien qu’individuelle, s’inscrit dans un cadre plus large et n’a absolument rien de figé (elle est à la fois autonome et hétéronome) : tout est appelé à être modifié à tout moment, le plus souvent pour le mieux. J’ai moi-même remercié un utilisateur pour l’annulation d’une de mes modifications (j’avais mal compris…). Ce qui fait la force de Wikipédia, c’est bien cette nature processuelle, qui lui permet de s’améliorer un peu plus chaque jour : c’est un espace complètement ouvert, aux autorités multiples. Cette « coexistence de plusieurs autorités » soumet les articles à un continuel va-et-vient, à la manière du khoros, défini par Louise Merzeau, puis relayé par Enrico Agostini-Marchese : Wikipédia met en place de tels « champ[s] qui se donn[ent] à traverser et qui appell[ent] une chorégraphie[2]». 

Ma navigation sur l’encyclopédie en ligne a permis de faire résonner plusieurs concepts et d’expérimenter de façon concrète l’éditorialisation. On entend souvent que les articles qui s’y trouvent sont soumis à des formes de vandalisme qui mettent en péril leur qualité et leur fiabilité (à des trolls) ; certes, ce risque existe, mais il ne s’agit pas là d’une tendance générale. J’ai trouvé les articles plutôt bien écrits, pour la plupart : ils témoignent d’une véritable spécialisation. En creusant un peu (en stalkant, je l’admets…), on s’aperçoit rapidement que les utilisateurs s’intéressent à un nombre restreint d’articles, dans un champ bien précis. Si « ce ne sont pas des prix Nobel qui écrivent les articles », il demeure que « les dispositifs de validation des informations sont assez bien structurés et stabilisés pour que l’on puisse faire confiance à Wikipédia autant qu’à l’académie des Nobel[3]». L’encyclopédie n’a en fait rien (ou si peu...) de l’aspect chaotique (du free for all) qu’on lui associe parfois. 

La nature collective de l’éditorialisation s’exprime également par l’entraide entre les utilisateurs. Lorsque j’avais une question, concernant l’ajout de bandeaux ou la consultation de mes statistiques, entre autres, un utilisateur me répondait en quelques minutes, voire secondes (grâce au « Forum des nouveaux », par exemple). Les interventions sont faites dans le plus grand respect (permis, notamment, par la conviction partagée de collaborer à quelque chose de fondamentalement bon). L’usage des outils de Wikipédia (pour ce que j’en sais jusqu’à maintenant) est grandement facilité par la possibilité de communiquer avec les autres membres. 

Ma contribution (majeure) à un article[modifier | modifier le code]

Ma contribution la plus longue consiste en l’ajout d’une section à l’article « Municipalisme libertaire ». J’ai longuement hésité : la théorie du municipalisme, héritée du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, méritait-elle une page à elle seule? En m’intéressant aux rubriques « Ce que Wikipédia n’est pas » et « Notoriété », j’en suis venu à la conclusion que ma contribution sur le municipalisme de Jonathan Durand Folco devait faire l’objet d’une section. Il ne s’agit pas là d’un travail inédit de ma part, guère plus d’un manquement aux règles de vérifiabilité ; la théorie du municipalisme a été partagée dans des publications fiables et facilement identifiables. La contribution fait référence à des sources secondaires sérieuses. Toutefois, étant donné la relative nouveauté du concept, le « municipalisme » en tant que tel ne jouit pas de « sources secondaires espacées d’au moins deux ans », conformément à l’un des critères de notoriété : « La notoriété doit être pérenne ». Par conséquent, j’ai jugé plus pertinent d’ajouter une section à l’article « Municipalisme libertaire », dont le municipalisme est en fait une réminiscence contemporaine (tel que justifié par une source externe). Au moment de rédiger, j’avoue avoir eu peur de contrevenir à quelque critère que ce soit (même si j’avais abondamment lu à ce sujet…), mais je me suis tout de même lancé! Je me suis assuré d’adopter un ton encyclopédique, de ne pas viser à défendre un point de vue (autre que neutre) et de ne pas truffer mon article de références intellectuelles, entre autres préoccupations. La première version de mon ajout contenait une liste de « principes idéologiques » du municipalisme ; en lisant plus avant, notamment la section « Conventions de style », j’ai appris que le format de la liste, que je croyais être efficace, « ne dev[ait] pas se substituer » au découpage en paragraphe, à moins qu’il s’agisse de « points non susceptibles d’être développés ». J’ai donc repensé mon intervention en fonction de cette information. Lorsque j'ai eu terminé ma contribution, ou du moins son premier jet, j'ai initié une discussion pour obtenir une rétroaction et, par extension, une forme de validation. Un utilisateur m'a d'ailleurs rassuré quant à mon choix formel à cette occasion : « Délister pour privilégier une texte rédigé est tout à fait pertinent ». Jusqu'à ce moment, je ne pouvais pas juger de la légitimité de mon intervention ; les commentaires (et modifications) de l'utilisateur en question, expérimenté si on se fie à ses contributions, m'ont grandement éclairé, validant la qualité de mon apport.

Considérations a posteriori[modifier | modifier le code]

Après ces nombreuses heures passées à apprivoiser Wikipédia, mon impression première est celle d’une incomplétude : apprendre à collaborer à l’encyclopédie requiert beaucoup plus que trois ou quatre semaines, du moins pour quelqu’un qui, comme moi, a de sérieuses lacunes technologiques. Les pages d’information pour guider les utilisateurs sont bien étoffées, mais il m’arrivait de perdre l’information précédemment repérée et de ne plus jamais la retrouver. Mes recherches étaient souvent hasardeuses. En même temps, cela m’a pris plusieurs jours avant de parvenir à ajouter des « boîtes utilisateur » à mon profil ou à engager une discussion… pour vous donner une idée de mes compétences… 

J’ai bien l’intention de poursuivre mon expérience Wikipédia ; je viens de découvrir (il était temps, vous me direz…) Wikimédia et j’ai envie d’y participer! Si j’ai d’abord jugé le travail sur l’encyclopédie collaborative incompatible avec mes travaux de littéraire, je conçois désormais leur complémentarité. Mes recherches s’adressent habituellement à un nombre limité de gens : la participation à Wikipédia peut devenir une façon d’échapper à cet isolationnisme. Il me semble que l’encyclopédie puisse être un moyen de partager mes recherches doctorales au fur et à mesure : l’exercice de la vulgarisation devrait permettre de mettre de l’ordre dans mes idées.

Je ne pensais pas ressentir une telle satisfaction lorsque j’ai entamé le projet Wikipédia. Les universitaires ont la responsabilité de diffuser le savoir : l’encyclopédie offre une voie simple pour y parvenir. Il y a quelque chose de très valorisant à savoir que nos contributions ne peuvent être monétisées, qu’elles profitent au plus grand nombre et non pas à quelques entreprises avides de profits. 

*** On vient de m'avertir d'une règle qui prévoit que les utilisateurs ne prennent pas leur vrai nom en guise de pseudonyme... on en apprend tous les jours!

Références[modifier | modifier le code]

  1. Marcello Vitali-Rosati, « Qu'est-ce que l'éditorialisation? », Sens Public,‎ (lire en ligne)
  2. Enrico Agostini-Marchese, « Les structures spatiales de l'éditorialisation. Terre et mer de Carl Schmitt et l'espace numérique », Sens Public,‎ (lire en ligne)
  3. Marcello Vitali-Rosati, « "Fake News" : fausses nouvelles et autorité numérique », Sud Ouest,‎ (lire en ligne)