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Tahar Ben Jelloun - Attendre

Personne ne vint. Pas de bruit de voiture, pas de nuage de poussière, rien. Il régnait un silence qui n'était pas naturel. Pas le moindre oiseau ni insecte ne traversait l'air. Rien ne bougeait. Tout devint figé. On aurait dit que, par une intervention supérieure, tout le monde s'était tu. Son silence intérieur enveloppait celui du monde. Il était là mais le cœur rempli d'attente et de questions. Seule une prière murmurée comme une dernière volonté. La maison penchait et son ombre la rendait encore plus imposante, presque menaçante. Le ciel était éclairé, les étoiles scintillaient et donnaient à Mohamed une sorte de vertige, l'impression d'être en voyage, suspendu entre ciel et terre. Quand il les regardait, il apercevait des personnages, des routes, des tracées blanches. Il fixait la lune et n'y voyait aucun de ses enfants.

Tahar Ben JellounAu pays (éd. Gallimard, 2009) (page 170)

s:Mars 2010 Invitation 1

François de La Rochefoucauld - L'amour de soi-même

L'amour-propre est l'amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n'est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes. Là il est à couvert des yeux les plus pénétrants ; il y fait mille insensibles tours et retours. Là il est souvent invisible à lui-même, il y conçoit, il y nourrit, et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d'affections et de haines...

François de La Rochefoucauld (1613 - 17/03/1680) - Maxime retranchée après la première édition (1)

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s:Mars 2010 Invitation 2

Friedrich Hölderlin - Quand ce sera l’hiver

Avec ses poires jaunies s’avance,
Et pleine de roses sauvages,
La rive sur le lac,
Vous, cygnes charmants
Et grisés de baisers
Vous plongez la tête
Dans l’eau sainte et frugale.
Malheur à moi, où vais-je, quand
Ce sera l’hiver, prendre des fleurs, et où
L’éclat du soleil,
Et les ombres de la terre ?
Les murs se tiennent
Sans langage et froids, dans le vent
Claquent les girouettes


Friedrich Hölderlin -Poèmes : Moitié de la vie (1805) (Trad. de Jean-Pierre Faye, éditions L'amourier, 2000)

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Texte original [1]

s:Mars 2010 Invitation 3

Selma Lagerlöf – Nils, le Tomte

Un moineau se mit à pépier très fort : "Tuit ! Tuit ! Regardez Nils le gardeur d’oies ! Regardez ce petit Poucet ! Regardez Nils Holgersson Poucet !"

Immédiatement, les oies et les poules tournèrent leurs yeux vers le garçon, et ce furent des caquètements épouvantables. "Cocorico, cria le coq, c’est bien fait pour lui. Cocorico, il m’a tiré la crête." "Cot, cot, cot, c’est bien fait pour lui", crièrent les poules qui continuèrent ainsi comme si elles n’avaient plus voulu s’arrêter. Les oies se rassemblèrent en un mur compact, avancèrent leur tête et demandèrent : "Mais qui lui a fait ça ? Mais qui lui a fait ça ?" Dans l’histoire, le plus étrange c’était que Nils comprenait ce que tous disaient. Il en fut si étonné qu’il s’arrêta sur le pas de la porte et écouta. "Ça doit être parce que j’ai été transformé en tomte, se dit-il, c’est sûrement pour ça que je comprends la voix des oiseaux."

Selma Lagerlöf - Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède (ch. 1) - Trad. Lena Grumbach, éd. Actes Sud (1990)

s:Mars 2010 Invitation 4

Tahar Ben Jelloun - Attendre

Personne ne vint. Pas de bruit de voiture, pas de nuage de poussière, rien. Il régnait un silence qui n'était pas naturel. Pas le moindre oiseau ni insecte ne traversait l'air. Rien ne bougeait. Tout devint figé. On aurait dit que, par une intervention supérieure, tout le monde s'était tu. Son silence intérieur enveloppait celui du monde. Il était là mais le cœur rempli d'attente et de questions. Seule une prière murmurée comme une dernière volonté. La maison penchait et son ombre la rendait encore plus imposante, presque menaçante. Le ciel était éclairé, les étoiles scintillaient et donnaient à Mohamed une sorte de vertige, l'impression d'être en voyage, suspendu entre ciel et terre. Quand il les regardait, il apercevait des personnages, des routes, des tracées blanches. Il fixait la lune et n'y voyait aucun de ses enfants.

Tahar Ben JellounAu pays (éd. Gallimard, 2009) (page 170)

s:Mars 2010 Invitation 5

Alfred de Musset - Le mois de mars

Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L'univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s'y disputent l'empire.
Qu'y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C'est sa première larme et son premier sourire.
C'est dans le mois de mars que tente de s'ouvrir
L'anémone sauvage aux corolles tremblantes.
Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ;
Et du fond des boudoirs les belles indolentes,
Balançant mollement leurs tailles nonchalantes,
Sous les vieux marronniers commencent à venir.

Alfred de Musset (1810 - 1857) - Poésies nouvelles (11) : A la mi-carême (1850)

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