L'histoire du monde est le tribunal du monde

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« L'histoire du monde est le tribunal du monde » (en allemand : Die Weltgeschichte ist das Weltgericht) est un aphorisme philosophique de Friedrich von Schiller, popularisé par Georg Wilhelm Friedrich Hegel.

Histoire[modifier | modifier le code]

Formulation par Schiller[modifier | modifier le code]

Friedrich von Schiller publie en 1786 un poème appelé « Résignation ». Il y applique l'eschatologie chrétienne à la question de l'histoire, racontant la vie d'un jeune homme qui a vécu une vie de privation en espérant atteindre l'au-delà. Il conclut son poème en écrivant :

« Deux fleurs s’épanouissent pour le chercheur qui sait comprendre : Elles ont nom : espérance et jouissance. Quiconque a cueilli l’une de ces fleurs, Qu’il ne convoite point sa sœur ! Que jouisse celui qui ne peut croire. La leçon Est vieille comme le monde. Que celui qui peut croire, s’abstienne. L’histoire du monde est le tribunal du monde »

Ainsi, pour l'auteur, le tribunal du monde n'est pas un tribunal de l'éternité, qui serait situé à la fin du temps, mais un tribunal qui s'exerce hic et nunc dans l'histoire[1].

Reprise par Hegel[modifier | modifier le code]

Dans son cours d'Heidelberg, daté de l'année scolaire 1817-1818, Hegel soutient que « les mots de Schiller, l'histoire du monde est un tribunal du monde, sont la chose la plus profonde qu'on puisse dire [sur l'histoire] »[2]. Hegel porte dans ce cours une vision de l'histoire comme celle d'une « tragédie divine ». Il écrit

« L’histoire mondiale est cette tragédie divine, dans laquelle l’esprit s’élève au-dessus de la pitié, de la vie éthique, et de tout ce qui, partout ailleurs, a pour lui une valeur sacrée, dans laquelle l’esprit s’accomplit lui-même. C’est avec tristesse qu’on peut considérer le déclin des grands peuples, les ruines de Palmyre et de Persépolis, où, comme en Égypte, tout est réduit à l’état de mort. Mais ce qui a sombré, a sombré et devait sombrer »

Il reprend la formule dans ses Principes de la philosophie du droit, qu'il publie en 1820. Il commence la section consacrée à l'histoire du monde en rappelant ce vers de Schiller[2]. Il considère que l'histoire universelle, comme dialectique, permet la production de l'Esprit universel, c'est-à-dire « l'Esprit illimité qui exerce son droit [...] sur ces esprits finis dans l'histoire mondiale, qui est aussi le tribunal du monde »[3].

Postérité[modifier | modifier le code]

L'interprétation théologique[modifier | modifier le code]

L'idée d'histoire comme tribunal du monde a souvent été analysée comme tirant son origine de la tradition judéo-chrétienne du jugement dernier[1]. C'est ainsi que Karl Löwith, dans plusieurs de ses écrits, rapproche la thèse hégélienne du jugement dernier[4].

August Cieszkowski, étudiant d'Hegel, adopte lui-même interprétation théologique de la citation, et de ce qu'en dit Hegel. Il considère que « tout comme l'histoire universelle est le tribunal du monde, Dieu, pour sa part, est le juge de l'histoire universelle »[2].

Ce sera aussi le cas de Karl Liebknecht, qui, dans un discours au Reichstag, s'exclame le  : « Messieurs ! vous le savez, la parole est vraie qui dit que l’histoire du monde est le tribunal du monde, et vous aurez à comparaître et à vous expliquer devant ce tribunal du monde ; et ce seront les trompettes du jugement dernier - les trompettes du jugement dernier, les trompettes du jugement des peuples, Messieurs, sonneront terriblement à vos oreilles, le jour de la vengeance et de la revanche viendra, dies irae, dies illa »[2].

La transformation marxiste[modifier | modifier le code]

Karl Marx, ayant lu Hegel, reprend la citation d'Hegel pour l'adapter à la pensée marxiste. Lors d'un discours à Londres le , il affirme qu'« aujourd’hui la croix rouge mystérieuse marque toutes les maisons d’Europe. L’histoire elle-même rend la justice et le prolétariat exécute la sentence »[5].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Christophe Bouton, Le procès de l'histoire: fondements et postérité de l'idéalisme historique de Hegel, Vrin, (ISBN 978-2-7116-1655-8, lire en ligne)
  2. a b c et d Christophe Bouton, « « L’histoire du monde est le tribunal du monde » », dans Hegel penseur du droit, CNRS Éditions, coll. « CNRS Philosophie », (ISBN 978-2-271-09131-4, lire en ligne), p. 263–277
  3. Christian Godin, La totalité, Editions Champ Vallon, (ISBN 978-2-87673-380-0, lire en ligne)
  4. Nguyen Hong Giao, Le verbe dans l'histoire: la philosophie de l'historicité du P. Gaston Fessard, Beauchesne, (ISBN 978-2-7010-0236-1, lire en ligne)
  5. Michel Henry, Marx, Gallimard, (ISBN 2-07-072219-8, 978-2-07-072219-8 et 2-07-072220-1, OCLC 24059134, lire en ligne)