Grève des midinettes de 1937

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Grève des midinettes en 1937, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal[1].

La Grève des midinettes, contraction de « midi-dinettes », du fait que les ouvrières du textile étaient obligées de manger très rapidement durant leurs journées de travail, de 1937 au Québec, est un conflit syndical durant lequel plus de 5000 ouvrières du textile se sont insurgées contre leurs conditions de travail. Cet événement marque un tournant dans l'histoire du syndicalisme mais aussi une grande avancée dans les conditions de travail des femmes.

Contexte[modifier | modifier le code]

Les mouvements syndicaux dans l'entre-deux-guerres au Québec[modifier | modifier le code]

La crise des années 1930, entraina au Québec comme dans tout l’Occident, une baisse considérable des salaires ouvriers et une accentuation du pouvoir des employeurs, notamment dans l’industrie du textile. Le secteur connait des fermeture d’usine comme celle de Sherbrooke[2], où travaillaient plus de six-cents employés et les ouvriers s'organisent de plus en plus pour réclamer de meilleures conditions de travail.

Dès le début de l'année 1937, plusieurs mouvements de grève s'organisent dans le secteur du textile, au Canada mais aussi en Europe ou aux États-Unis, où se déroulera la même année à Washington, la Conférence tripartite internationale de l'industrie du textile rassemblant des syndicats d'ouvriers du textile du monde entier afin qu'ils puissent faire valoir leurs droits.

Le syndicalisme est à son apogée durant cette période, avec des organisations nouvelles comme la Confédération des Travailleurs Catholiques du Canada ou L’Industrial Union of Needle Trades Workers qui rassemblent les ouvriers du textile.

Une de ces organisations, l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames (UIOVD) va être particulièrement active durant les années 1930. C'est de cette organisation syndicale que vont être issues les principales figures de la grève de 1937, notamment Léa Robrack occupant le poste de directrice du service de l'éducation de l'UIOVD et Rose Pesotta, vice-présidente de ce même syndicat.

En 1934, déjà, une grève importante fût déclenchée à Montréal par près de 4000 ouvrières de la confection revendiquant leurs droits sous la bannière de la Ligue d'unité ouvrière, un syndicat communiste. Cette grève se termine rapidement par une défaite mais pose les prémices de la grève de 1937.

La loi du cadenas et les syndicalistes communistes[modifier | modifier le code]

C'est finalement la Loi du cadenas, déclarée le qui déclenchera la grève des ouvrières du textile. Cette loi censée "protéger" la province de la propagande communiste, proposée par le gouvernement de Maurice Duplessis a pour but d'interdire la publication et la distribution de tout document jugé communiste mais va aussi sanctionner les syndicalistes qui commencent à s'organiser pour lutter contre leurs conditions de travail.

Cette loi aura rapidement un grand impact chez les syndicalistes. Le mois suivant la promulgation de la loi, le journal Le Devoir va exiger la déportation de certains dirigeants syndicaux de l'Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames, comme Rose Pesotta et Bernard Shane[3].

Ces arrestations censées faire peur, menacer les communistes et syndicalistes vont, au contraire, être le point de départ de la grève des midinettes en .

Déroulement de la grève[modifier | modifier le code]

Prémisses[modifier | modifier le code]

La grève des midinettes va se préparer dès , lorsque Bernard Shane et Rose Pesotta, membres de l'Union Internationale des ouvriers du vêtement pour dames à New-York, sont envoyés à Montréal afin de syndiquer les ouvrières du textile de la ville. Rapidement des figures québécoises comme Léa Roback, vont se joindre à leur cause et dès le , une unité locale représentant les ouvrières est fondée.

Cette unité va rapidement avoir assez de membres pour tenter de négocier un contrat de travail, clair et juste, avec les 80 employeurs de la Guilde des manufacturiers du vêtement pour dames.

Les revendications[modifier | modifier le code]

Léa Roback dans une entrevue avec Évelyn Dumas le , relate les conditions dans lesquelles travaillent les ouvrières du textile.

"Ce milieu physique où il y avait des cafards qui se promenaient, où il n'y avait pas de confort. [...] Et le patron, si on lui faisait de l’œil un peu, ça marchait. Il y a eu des filles, tout ça est sorti quand on a commencé l'organisation, ces filles-là: Si tu fais la couchette avec moi, t'auras un bon paquet à coudre, t'apporteras ça à la maison. [...] Elles n'arrivaient jamais à faire suffisamment de travail à l'usine pour gagner un salaire quelconque"[4].

Yvette Charpentier dénonce elle aussi ces conditions dans une interview pour le journal Aujourd'hui, en 1967.

"Mon Dieu, je peux pas vous parler des conditions, y en avait pas de conditions […]Y était question de pouvoir manger, d’essayer de manger, c’était ça le plus important à ce moment-là" [5].

En effet, les ouvrières travaillent de 50 à 80 heures par semaine, sur six jours et gagnaient, à la semaine, entre 7 et 12,5 $. De plus soumises à un harcèlement moral et sexuel de la part de leur employeurs, elles pouvaient être virées sans raison officielle ou pouvaient se voir aléatoirement refuser le travail[6].

Les revendications sont diverses, on y retrouve :

  • La volonté d'une reconnaissance syndicale
  • La semaine de 44 heures
  • Une hausse salariale générale de 50%
  • L'interdiction du travail à domicile
  • Les heures supplémentaires payées à temps et demi

Elles dénoncent aussi leurs mauvaises conditions de travail liées à leur statut de femmes :

  • Harcèlement
  • Manque de toilettes pour femmes
  • Absence de congés maternité
  • Insalubrité des locaux

Les événements[modifier | modifier le code]

Les tentatives de négociation avec la Guilde des manufacturiers pour dames n’entrainant par de réponse de cette dernière, le syndicat va voter la grève le et la déclencher la semaine suivante, le .

Ce jour même plus de 5000 grévistes se rendent dans le quartier du textile afin d'empêcher leurs collègues d'aller travailler. Les usines de textiles sont alors rapidement à l'arrêt et le premier ministre du Québec va tenter de procéder à des arrestations, qui n'aboutiront pas car jugées illégales[7].

Deux groupes d'employeurs vont se distinguer, le premier cherchant à s'allier aux grévistes de la Confédération des travailleurs catholique du Canada, le second entamant les négociations avec l'UIOVD. C'est ce dernier qui parviendra à trouver un accord avec les grévistes. Le , après une dizaine d'heures de négociations, un contrat de travail est signé et la fin de la grève est annoncée.

Les conséquences[modifier | modifier le code]

Concrètement les travailleuses obtiennent l'instauration de la semaine de 44 heures, d'un salaire minimum de 16 $ mais aussi la création d'un tribunal d'arbitrage pour les conflits du travail, ce qui participera à la mise en place de meilleures conditions de travail[8].

De plus, cette grève aura permis aux travailleuses de l'industrie du textile de gagner en visibilité dans le domaine syndical et militant mais également sur la scène politique.

Cette grève aura permis à des minorités, les femmes, la communauté juive, de s'affirmer dans l'espace public et les grandes figures du mouvement telle que Léa Roback restent, encore aujourd'hui, des modèles de syndicalisme et de féminisme.

Les acteurs[modifier | modifier le code]

Figures principales[modifier | modifier le code]

Léa Roback[modifier | modifier le code]

Figure montante du militantisme avec un rôle important dans les élections fédérales de 1935 où elle travaille pour le candidat communiste Fred Rose. Mais aussi personnalité féministe influente, elle devient membre active de Solidarité féminine, une organisation accompagnant les femmes nécessiteuses affectées par le chômage à Montréal[9].

Parlant l'anglais, le français et le yiddish, elle est dépêchée en 1936 par Rose Pesotta pour l'assister car cette dernière ne parle que l'anglais dans un milieu où 60% des travailleuses sont francophones[9]. Elle va aussi participer à l'éducation des ouvrières en tant que responsable du comité d'éducation, en leur apprenant les langues ainsi que la lecture. Rapidement elle devient plus qu'une responsable de l'éducation et se met à sensibiliser les ouvrières à la cause de l'UIOVD, par la distribution de feuillets syndicaux traduis en français, anglais et yiddish ou en allant directement chez ces dernières pour les convaincre personnellement[10].

Rose Pesotta[modifier | modifier le code]

Rose Pesotta (en) s'implique très jeune dans le mouvement ouvrier. En 1914, alors qu'elle n'a que 17 ans, elle se joint à l'UIOVD, à New York, où elle jouera rapidement un rôle important. Elle va régulièrement voyager afin de faire grandir le mouvement ouvrier dans d'autres régions mais aussi d'autres pays. Ainsi elle se retrouve à Montréal dans les années 1930 afin de syndicaliser les ouvrières du vêtement. C'est là qu'elle fait la rencontre de Léa Roback qui lui servira de porte-parole francophone. Pesotta parlant l'anglais et le yiddish produira dans le cadre de ce mouvement ouvrier, une émission de radio bilingue, ainsi qu'un journal.

Yvette Charpentier[modifier | modifier le code]

Surnommée "la grande dame des midinettes"[11], originaire de Montréal, c'est en Allemagne au tout début des années 1930, pendant la montée du nazisme, que née sa vocation syndicaliste ainsi que son intérêt pour le communisme.

En 1932, elle rentre à Montréal et ouvre la première librairie marxiste de la ville. Puis en 1936 rejoint l'UIOVD, sous la demande de Claude Jodoin qui lui garantit que les conditions de travail vont évoluer. Dès lors elle va prononcer un discours afin d'encourager ses collègues à la suivre.

« ou bien nous demeurons des esclaves ou bien nous devenons des femmes libres. »[12]

Elle occupera alors le poste de directrice de l'éducation[13] et jouera un rôle clé dans le recrutement des ouvrières à l'UIOVD.

Leurs alliés[modifier | modifier le code]

Ce mouvement ouvrier, bien que centré sur la lutte des femmes, va recevoir de nombreux appuis, notamment celui du Conseil des métiers et du travail de Montréal ainsi que de la centrale new-yorkaise, faisant partie de la Fédération américaine du travail, qui va investir des ressources importantes pour la grève. Des personnalités masculines comme Bernard Shane et Claude Jodoin vont aussi se démarquer dans cette lutte.

Bernard Shane s'implique sérieusement dans le débat syndical dès 1934 où il parviendra à faire mettre en place un contrat de travail pour les tailleurs. Peu de temps après il met en place l'UIOVD, mouvement duquel il est directeur et s'entoure de Claude Jodoin[14]. Ce dernier aura le rôle de négociateur et va participer activement au recrutement de nouveaux membres dont Yvette Charpentier.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Archives de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.
  2. « Fermeture temporaire d'une usine de la Dominion Textile », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  3. « Répression contre les soi-disant communistes - Les Archives de Radio-Canada », sur archives.radio-canada.ca (consulté le )
  4. « Témoignages de dirigeants syndicaux », Bulletin du regroupement des chercheurs-chercheures en histoire des travailleurs et travailleuses du Québec,‎ (ISSN 0315-7938, lire en ligne)
  5. « Des ouvrières surexploitées - Les Archives de Radio-Canada », sur archives.radio-canada.ca (consulté le )
  6. « En grève avec Léa et les midinettes », Journal de Montréal (consulté le )
  7. (en) « Musée du Montréal juif », sur mimj.ca (consulté le )
  8. « Déclenchement d'une grève par 5 000 ouvrières de l'industrie du vêtement », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  9. a et b « Léa & les grandes amies », sur Fondation Léa-Roback (consulté le )
  10. Centre d'Histoire de Montréal, « En grève avec Léa et les midinettes », sur Le Journal de Montréal (consulté le )
  11. « Yvette Charpentier 1901 - 1976 », sur FTQ - Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (consulté le )
  12. « 19. Commission de la Variation des Latitudes », Transactions of the International Astronomical Union, vol. 11, no 02,‎ , p. 257–260 (ISSN 0251-107X, DOI 10.1017/s0251107x00022550, lire en ligne, consulté le )
  13. Winnie Frohn, « Maryse Darsigny, Francine Descarries, Lyne Kurtzman et Évelyne Tardy (dir) : Ces femmes qui ont bâti Montréal », Recherches féministes, vol. 7, no 2,‎ , p. 182 (ISSN 0838-4479 et 1705-9240, DOI 10.7202/057808ar, lire en ligne, consulté le )
  14. (en) « Museum of Jewish Montreal », sur imjm.ca (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Collectif Clio, L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Quinze, 1982 p.296. Jacques Rouillard, Histoire du syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 1989, 535 pages.
  • Confédération des syndicats nationaux - Centrale de l'enseignement du Québec, Histoire du mouvement ouvrier au Québec (1825-1976), Beauceville, CSN - CEQ, 1979, p.92-95.
  • Dansereau, B. (2001). La présence communiste au Québec (1929-1939) ou la présence de « l'homme au couteau entre les dents ». Bulletin d'histoire politique, 9 (2), 22–29. ISSN 1201-0421
  • Charpentier, A. (1965). La Grève du Textile dans le Québec en 1937. Relations industrielles / Industrial Relations, 20 (1), 86–127 ISSN 0034-379X

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]