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Olivier Adam - Recul
Est-ce que les enfants nous manquent une fois entrés dans l'adolescence, je n'en étais pas certaine. Romain non plus ne me manquait pas, Anaïs avait bientôt seize ans et lui quatorze à peine, depuis pas mal de temps déjà nous ne faisions plus que nous croiser, nous ne vivions plus ensemble mais les uns à côté des autres, sous un même toit, en colocation en quelque sorte, j'avais mis du temps à m'en rendre compte mais vu d'ici, de si loin, oui, c'est ainsi que m'apparaissaient les choses. « Vu de loin on ne voit rien », disait souvent Nathan à tout propos, et cette phrase semblait recouvrir à ses yeux une vérité essentielle. Je n'ai jamais compris ce que mon frère entendait par là mais aujourd'hui je sais qu'il avait tort, que c'est exactement le contraire : vu de près, pris dans le cours ordinaire, on ne voit rien de sa propre vie.
Olivier Adam – Le cœur régulier (éd. de L'Olivier, 2010)
s:janvier 2011 Invitation 1Prose du transsibérien
Blaise Cendrars (1887-21/01/1961) - La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913) (éd. Poésie/Gallimard) |
s:janvier 2011 Invitation 2Maxence Van Der Meersch — Le plat pays Il remonta définitivement sur sa bicyclette, et prit la route de Furnes. Il sortit de Dunkerque, suivit un moment, le long du canal, la route de Dunkerque à Furnes, s’engagea sur un pont, et obliquant dans la direction de la mer, il arriva dans la partie désertique et sablonneuse du littoral, qui s’étend, toute nue, aride et presque inculte, sur des kilomètres et des kilomètres, jusqu’à Bray-Dunes et la frontière belge. Il roula encore un moment par un étroit chemin qui traversait ce pays triste, proche de la côte, où de maigres cultures, des prairies à l’herbe rare, des jardinets où ne poussait bien que la pomme de terre, alternaient avec d’immenses surfaces stériles, abandonnées à l’envahissement des dunes. C’était une contrée morne, sèche, parcourue par un vent dur et salin, qui piquait la peau. Une impalpable poussière de sable passait en sifflant dans les herbes, s’accumulait sur le chemin, y dessinait des lignes en croissants, comme de minuscules cordons de dunes. Maxence Van Der Meersch (1907-14/01/1951) – La Maison dans la dune (éd. Albin Michel, 1932) (page 6) |
s:janvier 2011 Invitation 3Adelbert von Chamisso — Un étrange marché « J’ai contemplé avec une admiration inexprimable l’ombre superbe que, sans aucune attention et avec un noble mépris, vous jetez à vos pieds... cette ombre même que voilà. Encore une fois, monsieur, pardonnez à votre humble serviteur l’insigne témérité de sa proposition daigneriez-vous consentir à traiter avec moi de ce trésor ? Pourriez-vous vous résoudre à me le céder ? » Il se tut, et j’hésitais à en croire mes oreilles. « M’acheter mon ombre ! Il est fou », me dis-je en moi-même. Et d’un ton qui sentait peut-être un peu la pitié, je lui répondis : « Eh ! mon ami, n’avez-vous donc point assez de votre ombre ? Quel étrange marché me proposez-vous !... » Il continua : « J’ai dans ma poche bien des choses qui pourraient n’être pas indignes d’être offertes à monsieur. Il n’est rien que je ne donne pour cette ombre inestimable ; rien à mes yeux n’en peut égaler le prix. » Adelbert von Chamisso (30/01/1781 -1838) - Histoire merveilleuse de Pierre Schlémihl (L'Homme qui a perdu son ombre) (1814) Retrouvez les textes de Adelbert von Chamisso dans Wikisource |
s:janvier 2011 Invitation 4James Joyce – Gentle Lady
Texte original : Gentle lady, do not sing//Sad songs about the end of love;//Lay aside sadness and sing//How love that passes is enough. Sing about the long deep sleep//Of lovers that are dead, and how//In the grave all love shall sleep://Love is aweary now. James Joyce (02/02/1882-13/01/1941) – Musique de chambre, XXVIII (1907) - Collection Poésie du monde entier éd. Gallimard 1967, trad. de l'anglais par Jacques Borel. |
s:janvier 2011 Invitation 5Olivier Adam - Recul Est-ce que les enfants nous manquent une fois entrés dans l'adolescence, je n'en étais pas certaine. Romain non plus ne me manquait pas, Anaïs avait bientôt seize ans et lui quatorze à peine, depuis pas mal de temps déjà nous ne faisions plus que nous croiser, nous ne vivions plus ensemble mais les uns à côté des autres, sous un même toit, en colocation en quelque sorte, j'avais mis du temps à m'en rendre compte mais vu d'ici, de si loin, oui, c'est ainsi que m'apparaissaient les choses. « Vu de loin on ne voit rien », disait souvent Nathan à tout propos, et cette phrase semblait recouvrir à ses yeux une vérité essentielle. Je n'ai jamais compris ce que mon frère entendait par là mais aujourd'hui je sais qu'il avait tort, que c'est exactement le contraire : vu de près, pris dans le cours ordinaire, on ne voit rien de sa propre vie. Olivier Adam – Le cœur régulier (éd. de L'Olivier, 2010) |