Intervention civile de paix

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L’Intervention civile de paix (ICP) s’est développée sur le terrain dans les années 1980. Considérée comme une alternative aux interventions militaires, en particulier dans des contextes de prévention de conflit armé ou de post-conflit, elle est principalement pratiquée par des organisations anglophones et hispanophones telles que Peace Brigades International (PBI), Nonviolent Peaceforce (NP) ou l’European Network for Civil Peace Interventions (EN.CPI)[1]. En France, le Comité pour une Intervention civile de paix (Comité ICP)[2] développe l’ICP francophone.

Le concept d’Intervention civile de paix[modifier | modifier le code]

Dans le cadre de conflits internes ou internationaux, la communauté internationale a à sa disposition différents types de stratégies. Ainsi, le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression»[3], décrit le panel d’interventions de l’ONU. Il existe également des actions civilo-militaires où le plan d’opération des forces armées intègre une contribution à la reconstruction du pays et le rétablissement de la paix.

Dans les zones de conflit, de nombreux acteurs internationaux cohabitent non sans effet sur la situation locale. L’ingérence militaire peut devenir un problème à résoudre lorsque la présence de troupes étrangères accélère la déstructuration des sociétés. Les organisations humanitaires sont également très présentes en zone de conflits, elles visent à pallier les besoins fondamentaux (eau, nourriture, soins, etc.). Leur travail s’avère souvent essentiel, elles agissent cependant plus sur les effets que sur les causes. Les actions humanitaires et militaires n’étant pas toujours suffisantes, pertinentes et efficaces, l’ICP trouve sa place et sa spécificité dans la recherche d’une solution politique aux conflits. Cela a d'ailleurs été reconnu par l'Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution A/69/L.34 du [4].

L’ICP se définit comme « une intervention non armée, sur le terrain d’un conflit local, de missions extérieures, mandatées par une organisation, gouvernementale ou non gouvernementale, venant accomplir des actions d’observation, d’information, d’interposition, de médiation et de coopération en vue de prévenir ou faire cesser la violence, de veiller au respect des droits de l’homme, de promouvoir les valeurs de la démocratie et de la citoyenneté et de créer les conditions d’une solution politique du conflit qui reconnaisse et garantisse les droits fondamentaux de chacune des parties en présence et leur permette de définir les règles d’une coexistence pacifique»[5]. L’ICP part du constat que dans certains contextes, la présence de civils internationaux permet de renforcer les capacités des sociétés civiles en zone de conflit, de créer une plus grande marge de manœuvre pour les défenseurs des droits humains sur le terrain. L’ICP se caractérise par un soutien de société civile à société civile.

Principes clés de l'ICP[modifier | modifier le code]

Non-violence[modifier | modifier le code]

La première spécificité de l’ICP repose sur son orientation fondamentalement non-violente. La non-violence n’est pas une « négation de la réalité de la violence, c’est une autre manière de penser un conflit et d’agir pour le résoudre. Ce n’est pas non plus une attitude passive de soumission mais bien une posture proactive résolument orientée vers la recherche et la proposition de solutions alternatives à la violence. L’ICP correspond ainsi à une stratégie d’action non-violente qui a pour objectif de faire coïncider la fin recherchée - la paix - et les moyens employés - des outils non-violents. Elle tend à faire diminuer les niveaux de tension ou de violence afin de permettre aux acteurs de paix locaux de travailler, en sécurité, dans un environnement de conciliation plus serein et rationnel » [6].

Primauté des acteurs locaux[modifier | modifier le code]

Cette forme d’intervention tente de prévenir toute ingérence. En effet, l’ICP repose sur la conviction que seuls les acteurs du conflit sont capables de lui apporter une solution durable. Les intervenants civils de paix reconnaissent ainsi que seuls les acteurs locaux sont en mesure de gérer, de résoudre ou de transformer leur conflit. Aucune solution n’est imposée, ni proposée de l’extérieur. La mise en place d’un programme de terrain se fait toujours à la demande d’organisations ou d’acteurs locaux[7].

Impartialité ou l’absence de parti-pris[modifier | modifier le code]

Un des principes à la base d'une mission d'ICP est l'impartialité ou l’absence de parti-pris (« nonpartisanship » en anglais), souvent confondue avec la neutralité. Les missions d'ICP ne peuvent être neutres, c'est-à-dire ne prendre parti pour aucun.

Comme l’explique Jean-Marie Muller, les intervenants civils « s'engagent aux côtés de l'un et de l'autre : ils s'engagent deux fois, ils prennent deux fois parti »[8]. En effet, le travail des intervenants civils consiste à s'engager auprès des différentes parties du conflit afin de les aider à s'engager dans la voie du dialogue, de la réconciliation et de la résolution de conflits. Cet engagement est une des conditions indispensables à la création du rapport de confiance qui permet de mener à bien le travail de l'ICP.

Les intervenants civils de paix rencontrent les différentes parties en présence. Dans leurs actions, ils se réfèrent au droit international, y compris le droit international humanitaire et les droits de l’Homme, et aux principes fondamentaux de l’ICP[9].

Les missions ICP[modifier | modifier le code]

Par l’envoi d'internationaux (volontaires ou salariés) sur le terrain, l’ICP vise à prévenir et à réduire le niveau de violence, à favoriser un environnement sûr et à protéger les civils. Il s’agit de préserver l’espace public, l’espace politique et les actions des défenseurs des droits humains. L’ICP se veut donc au service de la démocratie. Selon les contextes et situations, la stratégie se décline en différentes activités[10].

Présence dissuasive[modifier | modifier le code]

La visibilité est au cœur de la méthode. Il s’agit d’être présent sur le terrain d'un conflit, de se rendre le plus visible possible et d'être connu de tous. L’ICP influe dans le rapport de force par la présence non-violente, le plaidoyer international, les réseaux de soutien, le travail d’information.

L'accompagnement protecteur peut prendre différentes formes. Il consiste à la base en la présence d'intervenants civils accompagnant un ou des membres d'une organisation locale, ce qui leur permet de mener leur travail sans subir les menaces de violences physiques et politiques.

Cette présence peut être sporadique lorsqu'il s'agit d'une présence aux heures de travail dans les bureaux de l'organisation menacée ou à temps plein, dans le cas de menaces très fortes. L’équipe de intervenants civils accompagne l’association locale dans ses démarches : réunions, rendez-vous, visites de terrain (prisons, hôpitaux…).

Ainsi, depuis 1993, le Collectif Guatemala mène une mission d’ICP principalement axée sur l’accompagnement des défenseurs des droits humains. En 2000, il a répondu à une demande d’accompagnement des membres de l’Association pour la justice et la réconciliation (AJR), soutenue par le Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH). Ce dernier « prépare des recours en justice au Guatemala pour les crimes commis par les hauts commandements des régimes dictatoriaux de Romeo Lucas Garcia et d’Efrain Rios Montt. Ils sont mis en cause pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 1982 et 1983. Un élément central du projet est la participation des victimes et leur volonté de témoigner publiquement » [11].

Observation et témoignages[modifier | modifier le code]

L’observation et le témoignage sont une des activités des intervenants civils sur le terrain. Les éléments à observer varient selon les missions et ceux-ci peuvent être relayés dans des réseaux d’alerte de différents pays[12]. Il arrive que les intervenants civils aient à s'assurer de l'application d'un accord ou d'un droit établi (par exemple d'un cessez-le- feu ou d'un accord de paix international). Les violations des droits de l’homme, dans la vie quotidienne ou dans des périodes délicates comme en période d’élections, sont également des éléments surveillés par les internationaux. Leur rôle est cependant limité à l'observation et ils ne vont pas forcer eux-mêmes les agresseurs au respect des normes, ce qui relève des tâches du gouvernement ou d’une autorité internationale.

Ainsi, depuis 2014, PBI a lancé le programme NepalMonitor.org. « Il s’agit d’un système conçu pour alerter les organisations locales sur des violations de droits humains qui se déroulent dans leur région. Nepalmonitor.org recueille des informations provenant de médias, d’organisations ou directement d’individus, via un système d’envoi de textos.» [13]. Ce programme utilise la technologie Ushahidi, un système de cartographie sociale qui permet le reporting en temps réel, grâce à l'envoi de SMS ou de courrier électronique.

Renforcement des capacités de la société civile locale[modifier | modifier le code]

Il s'agit d'aider la population à s'approprier les méthodes de résolution non-violente des conflits afin qu'elle soit actrice de la transformation des conflits. Ces formations se font à la demande des organisations et des communautés et peuvent porter sur différents thèmes. Cela répond directement au principe de primauté des acteurs locaux.

Ainsi, comme l'explique Jean-Marie Muller « La méthode de l’intervention civile doit se démarquer clairement de la logique de victimisation des personnes auprès desquelles elle intervient. Cette logique tend à considérer ces personnes comme des individus sans responsabilité dans leur passé, leur présent et leur avenir, elle en fait des assistés privés d’autonomie. Dans cette perspective, une intervention civile n’est pas une simple assistance des populations civiles locales, mais un accompagnement qui permet une coopération avec elles.»[14]

En 2010, deux organisations du Sud-Soudan, l'Institut pour la promotion de la société civile (IPCS) et l'Organisation soudanaise pour la non-violence et le développement (SONAD), ont invité Nonviolent Peaceforce à fournir une expertise opérationnelle dans la prévention de la violence avant et pendant les élections et le référendum 2011. Depuis lors, au Sud-Soudan, NP et ses partenaires ont collaboré pour bâtir des équipes soudanaises pour agir à la prévention de la violence. Ces équipes agissent comme compléments aux règlements des différends traditionnels et les activités de consolidation de la paix dans les districts où le risque de violence est particulièrement élevé[15].

Médiation et réconciliation[modifier | modifier le code]

L'ICP, par l'intervention d'un « tiers », vise à créer un espace neutre où les acteurs impliqués dans le conflit peuvent se retrouver, confronter leurs idées et dialoguer en vue de trouver des solutions pour avancer vers la résolution du conflit. Différents types d’acteurs sont compris ici : aussi bien les acteurs ou parties combattantes que les collectifs et organisations de la société civile (associations de jeunes, femmes, etc.). Cet espace est une invitation implicite pour les protagonistes à venir se parler.

Ainsi, de 2001 à 2005, Équipe de paix dans les Balkans (EpB) a mené une mission au Kosovo et plus particulièrement à Mitrovica pour réduire le niveau de violence car cette région en situation de post-conflit restait soumise à de lourdes tensions. La mission avait différents objectifs dont « favoriser la résolution non-violente des conflits entre les communautés des Balkans ; Créer un climat propice au dialogue intercommunautaire entre associations, organisations, institutions locales et individus, fondé sur le respect mutuel ; favoriser la coopération des groupes en les incitant à la réalisation de projets communs.» [16]

Les limites des missions ICP[modifier | modifier le code]

L’ICP a bien entendu ses limites. Dans certains contextes, l’organisation d’une mission d’ICP est impossible. En voici trois exemples[17]:

  1. Dans le cas d'une situation où une des deux parties du conflit au moins, a pour but clair et affiché la destruction totale de l'autre partie, de sa culture, de son habitat, de l'ensemble de sa population et de son environnement, comme lors d'une situation génocidaire.
  2. Lorsque les violations des droits de l'homme sont commises par les autorités politiques, qui en plus, ignorent les avertissements de la communauté internationale, l'ICP est difficile voire souvent impossible.
  3. Si l'État où sont commises les violations est délité et ne possède plus de réelles instances représentatives (lorsque ce sont les forces armées qui règnent par exemple), l'ICP ne peut être menée.

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Réseau EN.CPI « Copie archivée » (version du sur Internet Archive)
  2. Comité ICP
  3. Charte des Nations Unies, Chapitre VII(consulté le 20 juillet 2015).
  4. Dans cette Résolution A/69/L.34sur la suite donnée à la Déclaration et au Programme d'action en faveur d'une culture de paix, l’Assemblée générale des Nations unies a utilisé pour la première fois un langage reprenant directement et de manière officielle les initiatives de la société civile dans le cadre de la protection des populations : « des initiatives lancées par la société civile, en collaboration avec les gouvernements, afin de renforcer les moyens dont elle dispose pour améliorer la sécurité physique des populations vulnérables menacées de violences et promouvoir un règlement pacifique des différends ». C'est la première fois que les méthodes et missions de l’ICP sont repris de manière officielle dans une résolution des Nations Unies.
  5. Jean- Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence, Éd. du Relié, 2005, p. 185.
  6. Martine Dufour, Intervention civile de paix. Une expérience au Kosovo, Éd. du MAN, 2013, p. 10-11.
  7. On retrouve ce principe, ainsi que les autres dans l'article de Jean-Marie Muller, alors directeur de l'IRNC, dans les actes du colloque qui s'est tenu à l'Assemblée Nationale en 2001. p. 23 à 29 [Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  8. L'intervention civile : une chance pour la paix, Alternatives Non-Violentes no 124, 2001, p. 26 [Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  9. Cet aspect a été développé par Bruno-Marie Duffé, alors directeur de l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon lors du colloque de 2001. p. 4 à 8. [Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  10. Ces différentes activités se retrouvent entre autres dans les travaux de l'IRNC sur la présentation de l'ICP : Diaporama sur l'ICP - IRNC - Les activités de l'ICP
  11. Les projets du Collectif Guatemala(consulté le 29 juin 2015).
  12. Pour aller plus loin, notamment sur l’effet « boomrang » :Transnational advocacy networks in international and regional politic, Margaret E. Keck, Katheryn Sikkink, UNESCO, 1999(consulté le 10 juillet 2015).
  13. Programme NepalMonitor.org, PBI(consulté le 20 juin 2015).
  14. L'intervention civile : une chance pour la paix, Alternatives Non-Violentes no 124, 2001, p. 26.[Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  15. Programme du Sud Soudan, Nonviolent Peaceforce(consulté le 20 juillet 2015).
  16. Martine Dufour, Intervention civile de paix. Une expérience au Kosovo, Éd. du MAN, 2013, p. 42.
  17. Manuel de formation à l’Intervention civile de paix, Comité ICP, Paris, 2013, p. 10.

Voir Aussi[modifier | modifier le code]

Liens utiles[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages et articles généraux[modifier | modifier le code]

  • Emeline Boulogne, Le Concept de l’ICP - Diaporama, sur IRNC, 2013.
  • Emeline Boulogne, Rapport de recherche sur une évolution adaptée de l'Intervention Civile de Paix, Paris, Université de Paris-Est Créteil Val de Marne (Rapport de stage de Master), 2013, 110 p. [Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  • IRNC - Comité ICP, « L’intervention civile, une chance pour la paix », Actes du colloque organisé en à Paris (Assemblée Nationale), Revue Alternatives Non-Violentes no 124, 2002 [Lire en ligne (page consultée le 15 mai 2015)]
  • IRNC (Coll.), « Intervenir sans armes pour la paix », Alternatives Non-Violentes , no 67, 1996.
  • Jean-Marie Muller, Principes et méthodes de l'intervention civile, Paris, Édition Desclée de Brouwer, coll. « Culture de paix », 1997 (ISBN 978-2220039831)
  • L’Intervention civile de paix, un engagement concret en faveur de la paix, sur Comité ICP. Consulté le
  • (en) Liam Mahony, Proactive Presence, field strategies for civilian protection, Humanitarian Dialogue Centre, 2006.[Lire en ligne (page consultée le 20 juillet 2015)]
  • Martine Dufour, Intervention civile de paix. Une expérience au Kosovo, Paris, Édition du MAN, 2013 (ISBN 978-2-9535481-6-7)
  • Le maintien non armé de la paix civile: une solution d'avenir?, sur UNITAR. Consulté le .
  • Mini Guide de l'Intervention civile de paix, sur Nonviolence XXI. Consulté le .
  • PBI, Expériences non-violentes en Haïti,Karthala, 2001. (ISBN 978-2845861985)
  • (en) Oliver Ramsbotham, Tom Woodhouse et Hugh Miall, Contemporary Conflict Resolution,2d éd. , Cambridge, Polity Press, 2007 (ISBN 978-0745649740)
  • (en) UNHCR, Handbook for the Protection of Internally Displaced Persons, . [Lire en ligne (page consultée le 20 juillet 2015)]
  • (en) Peter Wallensteen, Understanding Conflict Resolution, 2d  éd., Londres, Sage Publication, 2007. (ISBN 978-0857020505)

Travaux et évaluations de terrain[modifier | modifier le code]

Peace Brigades International[modifier | modifier le code]

Nonviolent Peaceforce[modifier | modifier le code]