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Pêcheurs d'Islande La réalité de l'eldorado islandais.

Cet article ne concerne, pour l'instant, que les conditions de vie des pêcheurs embarqués à Paimpol. Il s'inspire largement des correspondances officielles du commissaire Jean-Marie Leissen.

Le port de Paimpol vers 1895

À bord des goélettes paimpolaises[modifier | modifier le code]

En 1852, l'Occasion, l'ancien navire négrier brésilien Trovoada, arraisonné en 1846 pour piraterie par la Marine et acheté à l'encan par l'armateur Louis Morand, est le premier bateau à partir de Paimpol pour la pêche en Islande. Le départ de ce brick-goélette, inadapté à cette activité et qui fera deux ans plus tard l'objet d'un acte de baraterie[1] jamais sanctionné, marque le commencement de cette aventure dramatique.

La Belle Poule, goélette paimpolaise à huniers

Au début de la « Pêche à Islande », expression consacrée pour désigner les grandes campagnes morutières, les armateurs se contentent, en général, d'aménager rapidement des navires déjà existants, puis le besoin de s'équiper d'une flotte adaptée apparait. Bien qu'elle soit pratiquée par toutes sortes d'embarcations, cette Grande Pêche reste associée, dans l'imagination populaire, aux goélettes paimpolaises. Ces goélettes à hunier, conçus pour la chasse à la morue, sont un si bel exemple d'architecture navale que les plans ont servi de modèle pour la construction de la Belle Poule et de L'Étoile, célèbres bateaux-école de la Marine nationale.

Si les performances à la mer de ces navires sont incontestables, il n'en est pas de même pour le confort accordé aux « Islandais », surnom donné aux hommes, qui, du mousse au capitaine, composent l'équipage. Néanmoins, il faut de nombreuses admonestations de la part des commissaires de La Royale, devenus entre-temps administrateurs de l'Inscription maritime, pour obtenir les installations nécessaires.

La nourriture médiocre[modifier | modifier le code]

Étant surtout constituée de soupe, il est difficile de se rendre compte si la quantité de nourriture fournie à l'équipage est suffisante. Par contre, le manque de qualité et de variété sont indéniables. Pour des travailleurs soumis aux rudes épreuves de la pêche en haute mer, la monotonie des repas n'apporte pas un grand réconfort. Les carences en vitamines font apparaitre de nombreux cas de scorbut assurément évitables en apportant plus de soin à l'approvisionnement lors de l'embarquement.

« L’alimentation pêche surtout par l'absence de variété dans la ration et par le rôle prépondérant qu'y joue le lard salé. Du jour du départ à celui de l'arrivée les marins sont toujours au même menu. Le matin, café, biscuit, boujaron d’eau de vie. À midi, la soupe au lard avec dedans, sur les lieux de pêche, une demi morue ou un autre poisson, deux quarts de vin. Le soir, une soupe à la graisse de Normandie ou dénommée telle, avec des fayots sur certains navires tant que dure l'unique sac de 100 kg qui est embarqué, et un quart de vin. La nuit, du thé aux hommes de quart ou pêchant. ...les cas de scorbut sont assez fréquents parmi les marins d’Islande. Il convient donc de modifier le régime… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 25 septembre 1904

La proposition d'aligner la composition des repas sur l'ordinaire des marins de l’État ne recueille pas l'adhésion de l'armement, car le coût n'est évidemment pas le même. Il ne s'agit pourtant que de renforcer le repas du soir, d'introduire de la viande fraiche ou des conserves de bœuf pour diminuer l'utilisation du lard salé.


L'alcoolisme encouragé[modifier | modifier le code]

Les dégâts occasionnés par l'intempérance des marins sont considérables, autant pour leur constitution que pour leur sécurité. Certes, à l'époque, l'effet bénéfique de l’alcool pour la santé est souvent invoqué, mais cette dépendance est encouragée par les armateurs et les capitaines qui y voient un moyen de sujétion. L'enrôlement, par exemple, avant chaque campagne de pêche est facilité par quelques libations judicieusement orchestrées. Même si ces comportements ne sont pas l'apanage des armateurs, le résultat est que des malheureux enivrés se retrouvent parfois engagés dans des expéditions pour lesquelles ils ne sont pas volontaires et dont ils ne mesurent pas la rudesse. Cette addiction contagieuse provoque aussi des ravages dans les familles.

« Bien qu’averti à l'avance, j'ai été étonné en arrivant à Paimpol du grand nombre de gens pris de boisson qu’on y rencontre. ...j'ai acquis la conviction que le régime que suivent à la mer les pêcheurs a contribué pour une large part à l'établissement de ces déplorables habitudes. Il va sans dire que tout le liquide qu’on leur donne est absorbé, l'eau de vie de préférence. Aussi la grande majorité des marins sont ils alcooliques. En Islande, à certains pêcheurs, les 0 litre 25 qui leur reviennent chaque jour ne suffisent pas... Les capitaines eux-mêmes ne sont pas en général à l'abri de ce vice et la rumeur publique affirme que plus d'un sinistre de ces dernières années n'a pas d'autre cause que l'ivresse… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 10 février 1894

« Usant de la faculté que leur ouvre la circulaire du 8 février 1876, les armateurs embarquent tous le maximum de la ration d'eau de vie, soit un litre soixante quinze par semaine et par homme..., ce qui donne normalement par jour une ration individuelle de 0 litre 25. Mais il est à remarquer que depuis plusieurs années, les campagnes d'Islande ne durent pas sept mois... Des distributions supplémentaires avaient été faites par les capitaines de sorte qu’en six mois à peine, la quantité prévue pour sept avait été absorbée et qu'en réalité la ration avait été non de 0 litre 25 mais bien de 0 litre 30 par jour en moyenne. En plus de l'eau de vie chaque pêcheur reçoit journellement 0 litre 75 de vin et un litre de cidre. ...cette eau de vie, quoique du goût des marins est de qualité plus que médiocre… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 20 août 1894

De longues années sont nécessaires pour que la quantité d'alcool embarquée sur les navires diminue et parvienne à des proportions plus raisonnables (4 cl par jour d'eau de vie en 1907 au lieu de 20 cl auparavant, auquel il faut ajouter le vin et le cidre). Mais la qualité reste la même et les marins doivent se contenter du mauvais alcool à bas prix fourni par les armateurs.

Le manque de confort[modifier | modifier le code]

L'enseignant et chercheur universitaire François Chappé[2] exploite les rapports du commissaire Leissen pour argumenter sa thèse L'épopée islandaise 1880-1914 : Paimpol, la République et la mer. Dans cet ouvrage, il dénonce les oligarques paimpolais, édiles et en même temps armateurs, qui utilisent la notoriété de Paimpol pour dissimuler la gravité du coût humain de la pêche en Islande. Il se réfère à la même source lors des conférences dans lesquelles il évoque les conditions de vie des pêcheurs et les répercussions sur leur physique. Le rapport du 1er juin 1893 consacré à l'obsolescence du coffre à médicaments montre l’indifférence de leurs employeurs pour ces hommes exposés à de nombreuses blessures et maladies.

« (Le pêcheur d'Islande) Surhomme il l'était peut-être, physiquement, au départ de sa carrière, mais il devient prématurément un être usé, fatigué. A bord, ont raison de lui, le froid, l'humidité, le sommeil réduit et accompli dans une atmosphère confinée, une alimentation déséquilibrée, un travail très dur, les panaris, la furonculose, les fatigues de la vision provoquées par la lumière sans cesse réfléchie du soleil qui pendant l'été islandais ne quitte jamais l'horizon, la saleté ambiante »

— François Chappé, Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités[3]

Pour tenter d'améliorer la situation dans ces mers inhospitalières, car le climat islandais est terrible avec le froid, la neige et la glace, il est alors recommandé d'installer autant de couchettes que d'hommes, une table, un poêle, des manches à air pour la ventilation et des hublots dans le poste d’équipage. Un seul armateur, Jules Gicquel, adoptera ces mesures de lui-même. Dans les autres embarcations, l'inconfort subsiste pour ces hommes harassés par des journées de quinze à seize heures aux cadences de travail infernales, dormant à tour de rôle dans leur local glacial, exigu, sombre et malodorant. Le coffre à médicaments, la pharmacie du bord, contient nombre de produits dépassés au regard des connaissances médicales de l'époque ou bien en quantité insuffisante. De toutes façons, lorsqu'une maladie se déclare , les capitaines sont généralement incapables, par manque de formation, de poser le bon diagnostic. Quand un homme se blesse, ce qui arrive souvent sur le pont glissant et encombré des goélettes, il doit attendre plusieurs jours avant d’être débarqué pour recevoir des soins. La plupart du temps, souffrant d'un membre cassé ou d'une plaie profonde, il doit endurer son supplice, avec quelques rasades de mauvais alcool pour tout réconfort.

L'absence de sécurité[modifier | modifier le code]

C'est le point le plus surprenant. En ce temps-là, une vie humaine ne vaut pas le prix qu'on lui attache aujourd'hui. Sinon, comment expliquer l'inébranlable désinvolture affichée dans le traitement des questions de sécurité. À l'inconscience de nombreux capitaines, s'ajoute le souci d'économie d'armateurs invoquant tous les prétextes pour refuser d'investir dans de simples équipements de sécurité. Le bilan humain est catastrophique, le chiffre de 2000 morts et disparus couramment admis n’étant qu'une estimation minimum[4], car des cimetières et des tombes isolées jalonnent également les côtes islandaises.

« Il est vrai que, selon le rapport du sous-commissaire Jean-Marie Leissen, une véritable anarchie régnait sur ces goélettes surchargées. Ainsi, fréquemment, l’homme de corvée de vigie descendait se coucher sans attendre la relève et en déclarant, avec l’approbation de ses supérieurs, « Veille qui a peur ! ». La raison en était simple : les armateurs nommaient capitaines de simples parents et amis ..., sans qu’ils aient besoin de savoir lire et écrire. Par ailleurs, ils refusaient, pour raison d’« encombrement », de fournir les ceintures et un second canot de sauvetage... Ainsi, lors d’un naufrage en pleine rade de Paimpol le 8 juin 1891, 14 marins se sauvèrent dans la seule barque disponible, les 8 autres périssant noyés. Allant à contre-courant de l’image propagée par le roman de Pierre Loti publié cinq ans plus tôt, le rapport de Leissen souleva de telles réactions que le sous-commissaire fut rapidement muté. Mais celui-ci, revenant dès 1903 comme administrateur de l’inscription maritime — corps créé l’année précédente —, reprit son combat alors que cette année fut marquée par le triste record de 88 disparus en mer. Dans un second rapport, il cite une goélette qui, ayant perdu son capitaine, ne dut son salut qu’au mousse qui était seul à savoir lire le compas à bord et d’une autre qui, du large de Lisbonne, ne put rentrer que grâce à l’assistance d’un navire étranger, personne ne sachant lire à bord. »

— Michel Foucault, Les vieux métiers illustrés par la chanson[5]

Dans ces mers dangereuses, agitées par les tempêtes et où dérivent souvent des icebergs, il faut des décisions ministérielles pour obliger les propriétaires à équiper les navires de canots en nombre suffisant pour accueillir tous les membres de l'équipage, de bouées et de ceintures de sauvetage. Sans faire cesser la lugubre litanie des "Disparus corps et biens", cela permet de faire diminuer le nombre des victimes de la "fatalité".

La fin de l'épopée tragique[modifier | modifier le code]

En 1935, des deux goélettes parties de Paimpol, seule La Glycine revient au port, le naufrage du Butterfly en mer d'Irlande signant symboliquement la fin de l'épisode pathétique de la « Pêche à Islande ». Les conséquences humaines de ces années de campagne sont effroyables. La Caisse Nationale des Invalides, dont les cotisations sont partiellement détournées selon un rapport de 1893, la Caisse de secours aux marins de la pêche d’Islande, la société d'assurances mutuelles, dont l'administrateur a préconisé la création selon le même rapport, ne servent que de maigres pensions. Les maisons cossues des armateurs sur la côte bretonne, ne doivent pas faire illusion, la misère est le lot des centaines de veuves, d'orphelins, d'estropiés et de malades, qui peuplent le littoral autour de Paimpol. Pourtant, la pêche en Islande magnifiée par de nombreux écrivains, reste une romance dans la conscience populaire, malgré les sombres côtés de cette activité et son sinistre bilan.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • SHD Archives de la marine de Brest; Série P Inscription maritime : pêches, navigation commerciale et recrutement des équipages; Sous-série 5 P Quartiers de Paimpol et Tréguier (P2 20 et P2 25);
  • L’École du Commissariat de la Marine (Brest 1864-1939) Auteur: André Fourès, Éditeur L'Harmattan, Parution 09/02/2011, (ISBN 9782296132498);
  • Jean Kerlévéo (1910-2000), Paimpol au temps d'Islande Éditeur Chasse Marée Parution 03/03/2003 (ISBN 9782903708948);
  • François Chappé L'épopée islandaise 1880-1914 : Paimpol, la République et la mer Éditeur L'albaron Parution 1990 (ISBN 9782908528084);
  • François Chappé Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 91, numéro 2, 1984. pp. 171-192;
  • Jean-Jacques Prado Jean-Marie Leissen (1856-1942) un commissaire de la marine défenseur des pêcheurs d'Islande, Les Cahiers de l'Iroise, 169, 1996-1, Société d’études de Brest et du Léon, Brest 1996;
  • Michel Foucault Les vieux métiers illustrés par la chanson Éditeur : Godefroy (Jean-Cyrille) Parution : 04/04/2000 (ISBN 9782865531318);
  • Jacques Dubois Le jardinier des mers lointaines, Tonton Yves, pêcheur d'Islande Éditeur : Jean Picollec Parution 01/01/1980 (ISBN 9782864770053);
  • Le Petit Manchot journal de la Manche d'hier et d'aujourd'hui[6];
  • La Grande Pêche de Terre-Neuve et d'Islande, Auteur: Abbé Grossetête, Editeur : Ancre de marine, Parution 2001 (ISBN 9782841411719)
  • Cinq siècles de pêche à la morue : Terre-Neuvas et Islandais Nelson Cazeils (Auteur), Jean Recher (Préface) Editeur : Ouest-France (12 avril 1997) (ISBN 9782737323041)
  • Les Pêcheurs d'Islande Auteur Nelson Cazeils Editeur Ouest-France 18/01/2005 (ISBN 9782737336454)
  • Une campagne de pêche au large de l'Islande Auteur Émile Condroyer Editeur La Découvrance 2007 (ISBN 9782842655112)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Le capitaine laisse volontairement son navire se fracasser au fond du fjord Nordfjordur.
  2. François Chappé(1947-2007) Maître de conférences à l'Université de Bretagne-Sud, fut aussi conseiller technique chargé du patrimoine maritime auprès du Secrétaire d'État à la mer Jean-Yves Le Drian en 1991.
  3. François Chappé, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 91 : Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités, (lire en ligne), pp. 171-192
  4. http://www.ploubazlanec.fr/index.php?page=decouverte&sousMenu=patrimoine#mur_disparus Ploubazlanec Le Mur des Disparus
  5. « Métiers de la mer », sur http://agroalimentaire.free.fr (consulté le )
  6. « Marins-pêcheurs », Cahiers de vacances du petit manchot, no 43,‎ (lire en ligne, consulté le )