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Utilisateur:Lbarthel/Brouillon

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Dans le temps[modifier | modifier le code]

Dans le temps est le premier roman d'Olivia Rosenthal. Publié en 1999 aux éditions Verticales, il fait une large place à l'exploration stylistique, à travers la question de l'écoulement temporel, la pratique d'une énonciation polyphonique, et par l'attention à la matérialité de la langue.

Analyse stylistique[modifier | modifier le code]

L'écriture du flux temporel[modifier | modifier le code]

Archaïsmes et jeu avec l'histoire de la langue[modifier | modifier le code]

Comme l’annonce son titre, qui reprend les derniers mots du Temps retrouvé de Proust, l’écriture de Dans le temps est traversée par la question du passage du temps. L’énonciation au présent crée un espace-temps imprécis, à partir duquel surgissent des références à des époques révolues, tel le « temps jadis[1] » ou le « temps des chemins de fer » (p. 25). Le passé ressurgit à travers certains noms de personnages surgis du XVIe siècle (« Lysis, Robin, Clitandre », p. 19), des mots peu usités comme l’adverbe « point » (p. 159), ou certaines expressions (« je ne saurais » en fin de phrase p. 25). Les tournures archaïques rappellent l’histoire de la langue : l’article est souvent omis (« porter masque d’âne » p. 56), et les inversions sont nombreuses, plaçant le complément avant, et/ou le sujet après le verbe : « assemblée tenir » (p. 77), « sur les zincs tombent les pluies » (p. 81).

Temps et flux textuel[modifier | modifier le code]

Mais au-delà de ce « long tissage des récits anciens » (p. 19), l’écoulement temporel est aussi figuré par le flux textuel. Les unités textuelles se présentent comme des « brouillons » entre lesquels les liens sont difficilement perceptibles. La discontinuité entre ces fragments s’accompagne néanmoins d’une forte continuité interne, construite par le travail de la phrase longue. Celle-ci, ponctuée par des virgules et des points, peut en effet s’étendre sur plusieurs pages. En son sein, les énumérations, qui jouent parfois sur la reprise de sonorités ou des effets de quasi synonymie (« les mots donnent chair de poule et peur de chien », p. 46), permettent de moduler le rythme. La cadence a tendance à s’emballer en fin de phrase au gré d’une juxtaposition de mots de même nature grammaticale qui s’apparente à un début de mise en liste (« remuant, mou, flexible, élastique, humide », p. 46)[2]. Le jeu des anaphores permet également de relancer la phrase et de lui donner une unité thématique et syntaxique. Ainsi, la répétition du mot « oreilles », qu’il soit employé seul entre deux virgules, ou enrichi d’adjectifs, de compléments du nom ou de propositions relatives, structure le brouillon intitulé « Oreilles d’âne » (p. 55-57). Cette pratique mime une angoisse de voir le « flux s’interromp[re] », ce qui signifierait une mort symbolique de l’écriture, qui verrait par là sa « veine coupée » (p. 95).

Le travail de la polyphonie[modifier | modifier le code]

Le dialogue avec des voix poétiques[modifier | modifier le code]

Ce travail du rythme prend également part à un processus de poétisation de l’écriture se construisant dans un dialogue avec d’autres voix. Le narrateur cite ainsi à plusieurs reprises des vers de poètes qui font partie des canons universitaires, mais sans les isoler par des guillemets ni en indiquer la provenance : on reconnaît au détour d’une phrase un extrait du « Pont Mirabeau » d’Apollinaire (« Ni temps passé ni les amours reviennent », p. 20), ou un vers de Verlaine (« Par terre et sur les toits[3] », p. 27). Ce régime d’allusions permet de créer une connivence avec le lecteur qui maîtrise ces codes. Dans un autre « brouillon », les vers de Mallarmé[4] sont au contraire exhibés dans leur différence par un découpage syllabique mettant en évidence une diérèse (« au clair regard de di-a-mant », p. 25), ou encore par la reproduction des alinéas qui séparent les vers. D’autres fois, le texte poétique d’origine est légèrement modifié, dans un jeu de variation[5] sans doute inspiré des pratiques de la Renaissance : le « Que sont mes amis devenus ? » de la complainte de Rutebeuf devient « Mais que sont les poètes devenus ? » (p. 41).

Donner à entendre une multiplicité de voix[modifier | modifier le code]

La polyphonie du texte ne se limite cependant pas à la présence de références littéraires plus ou moins remaniées : les usages quotidiens, de l’énigmatique « français d’altitude » (p. 117) au langage parlé et familier, y ont aussi leur place. La plasticité de la langue[6] est manifestée dans les expressions populaires comme « y disent » (p. 132) ou « qu’on dit » (p. 96), l’omission de la double négation (« j’ai rien vu », p. 133), et les élisions (« tu s’ras un d’ceux-là p’t-être », p. 133). Olivia Rosenthal elle-même indique que le fait « d’entendre la langue des autres » est pour elle une importante source de créativité : à la limite, l’objectif est donc de parvenir à « entrer dans la langue de l’autre et [...] la saisir de l’intérieur[7] ». Ce travail de l'énonciation lui permet de déployer une écriture polyphonique au sein même d'un récit à la première personne[8].

L'exploration de la matérialité du langage[modifier | modifier le code]

La langue est ainsi traitée comme une matière au sein de laquelle les jeux de sonorités sont nombreux, comme dans l’ouverture du « Brouillon XXIV » : « l’écheveau embrouillé de mes songes me ronge » (p. 75). Ce travail sur « le murmure de la langue » (p. 19-20) fait l’objet d’une réflexivité qui touche au « rythme des vers en l’esprit » (p. 25), au fait de « dire les mots de tout le monde mais en ordre inversé » (p. 62), ou à ce qui advient « quand on lève la plume » (p. 95). Olivia Rosenthal propose donc à son lecteur de s'investir activement dans la pratique de véritables exercices stylistiques[9], et interroge par là notre rapport à la langue.

Ceci fait écho à la dédicace du roman « À haute voix » (p. 7) : la construction habituelle d’une dédicace, selon laquelle la préposition « à » indique le destinataire de l’œuvre, implique d’y voir une personnification de la voix. Parallèlement, cette mention peut révéler une intention voire une injonction de lecture, qui reposerait sur l’omission d’un verbe à l’impératif ou à l’infinitif (« Lire / lisez à haute voix »). En effet, Olivia Rosenthal elle-même indique écrire tous ses textes pour qu'ils puissent être lus à voix haute[10]. Cette « voix » imprègne l’écriture comme la lecture, et implique le corps dans le processus de création. Cette interprétation est corroborée par la quatrième de couverture, qui précise : « Il sera utile au lecteur bien intentionné de prendre au pied de la lettre les indications placées en exergue et de pratiquer la lecture à haute voix. ». La quête d’identité de la voix narratrice s’accompagne donc, non sans humour, d’une mise en abyme du pacte de lecture.

  1. Olivia Rosenthal, Dans le temps, Paris, Verticales, 1999, p. 20. Toutes les références à l'oeuvre sont citées dans cette édition.
  2. « Éloge de la ponctuation (point de vue contemporain : d’Olivia Rosenthal à Bill Viola) – Nouvelle Fribourg », http://www.nouvellefribourg.com/universite/eloge-de-la-ponctuation-point-de-vue-contemporain-dolivia-rosenthal-a-bill-viola/
  3. Le vers est extrait du poème "Il pleure dans mon coeur" : https://www.poetica.fr/poeme-64/paul-verlaine-il-pleure-dans-mon-coeur/
  4. Dans le « Brouillon VI », le « Brouillon XX » et le « Brouillon XXI », les vers cités sont extraits de Hérodiade, de Mallarmé : https://fr.wikisource.org/wiki/Poésies_(Mallarmé,_1914,_8e_éd.)/Hérodiade
  5. Voir le site de l’ENS Lyon : http://ecrit-cont.ens-lyon.fr/spip.php?rubrique77
  6. M.-O. André, « Hériter la mémoire ? – Olivia Rosenthal et la maladie de A. », dans W. Asholt et M. Dambre (éd.), Un retour des normes romanesques dans la littérature française contemporaine, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, p. 169-180. Disponible en ligne : <http://books.openedition.org/psn/2085>
  7. Olivia Rosenthal répondant aux questions de Guénaël Boutouillet, le 19 février 2009, sur le site remue.net : « Remue.net : Entrer dans la langue de l’autre et la saisir de l’intérieur. », http://remue.net/spip.php?article3084
  8. N. Murzilli, « L’expérimentation du dispositif chez Olivia Rosenthal : Les Larmes hors le livre », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, no 23, 21 décembre 2012. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/narratologie/6633
  9. N. Murzilli, « L’expérimentation du dispositif chez Olivia Rosenthal : Les Larmes hors le livre », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, no 23, 21 décembre 2012. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/narratologie/6633
  10. Olivia Rosenthal répondant aux questions de Guénaël Boutouillet, le 19 février 2009, sur le site remue.net : « Remue.net : Entrer dans la langue de l’autre et la saisir de l’intérieur. », http://remue.net/spip.php?article3084