Trihori

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Le trihori (trihory ou triory) est une danse traditionnelle de Basse-Bretagne, en vogue aux XVe et XVIe siècles. Elle se danse à trois ou en trois parties (d'où son nom) sur une mesure binaire et s'apparente au branle double.

Dans son Orchésographie (1589), Thoinot Arbeau décrit le Triory ou passepied de Bretagne comme suit :

  • temps 1-4 : double à gauche (pied gauche à gauche, pied droit approché, pied gauche à gauche, pied en l'air gauche)
  • temps 5 : saut pieds joints à gauche
  • temps 6 : pied en l'air gauche
  • temps 7 : pied en l'air droit
  • temps 8 : pied en l'air gauche

Le trihori aurait connu une courte existence, disparaissant au siècle suivant. Mais Jean-Michel Guilcher, dans La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne (1963) voit dans la dañs tro une survivance du trihori : d'abord les appuis correspondent dans cette forme de gavotte bretonne, ensuite l'étymologie est proche. L'ancien nom latin du trihori (saltatio trichorica) s'apparente plus que certainement au tri c'hoari breton, devenu dañs tro.

Notes et références


Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Michel Guilcher, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris, École pratique des Hautes Études, 1963, [rééd. Mouton, 1976 ; Spézet et Douarnenez, Coop-Breiz-Le Chasse Marée/ArMen, 1995 ; Spézet, Coop Breiz, 2007].

« L'ancien nom latin du trihori (saltatio trichorica) s'apparente plus que certainement au tri c'hoari breton, devenu dañs tro. » (tri c’hoari = trois jeux ; interprétation due à De La Villemarqué, et reprise depuis, y compris par P-J Hélias, quoique moins affirmativement).

Il reste à démontrer qu’une diphtongue –oa peut se réduire à une monophtongue –o. Or, dans les dialectes du breton, on observe l’inverse : -groah (vieille femme, sorcière) se dit grah en vannetais ;

-kroaz (=croix) se prononce kraz en Poher.

Une chanson à danser mentionne un toponyme intéressant : kraz-i-Mô (en Poullaouen). Comprenez : Kroaz ar Mao, que l’on trouve transcrit ainsi en Argol (l’article i au lieu de an/ar correspond au gallois y). Une même personne (Catherine Guern) chante alternativement : « Koat Keryann zo dêliou fao/fô (au bois de Kerjean il y a des feuilles de hêtre)

A zo ledan ha tanao/tano (lesquelles sont larges et minces)

A zo toullet gand ar glao/glô » (et sont trouées par la pluie) Mao (= gai, enjoué ) se dit mô en Poher, et, bien sûr paotr, (gars) prononciation typique du Léon, se dit pôt(r) ailleurs. A notre connaissance, il n’y a pas d’exemple où une diphtongue –oa se réduirait à –ô, ou encore une diphtongue –ao en –â. Intéressons-nous à la graphie de trihori. Il s’agit de la transcription phonétique d’un terme breton par des témoins qui écrivent en français. Le fait que les mutations n’aient pas été notées avant le père Maunoir n’entre donc pas en ligne de compte ici, d’autant moins que cette affirmation demande à être nuancée. En effet, on peut trouver dans des textes du Moyen-Âge des graphies différentes pour, par exemple, (Saint) Corentin : vita Sancti Corentini ou CHorentini. Anciennement, Kemper-Kaourantin était noté confluentia Chorentini en latin. On peut supposer que, comme en gallois, le couple ch signale une mutation par spiration, laquelle a bien une cause dans la forme bretonne, la consonne finale /r/ renforçant la consonne initiale /k/. En intégrant nos observations sur les diphtongues, la forme latine saltatio trichorica nous paraît donc suggérer que tri(h)ori se décompose en tri + cori*. Il reste à expliquer la mutation /k/>/x/. En effet, en breton vernaculaire, on entend « me ‘meus tri gi ha tri gaz » (= j’ai trois chiens –ki- et trois chats –kaz- chanson à danser), conformément au mécanisme phonétique qui entraîne une mutation par adoucissement lorsqu’une consonne est prise en sandwich entre deux voyelles. Cependant, dans la langue « classique », on prescrit une mutation par spiration : tri hi, tri haz, ou encore tri ‘fok (pok=baiser). La toponymie, qui tend à « vitrifier » les formes anciennes –y compris dans la langue vernaculaire-, confirme qu’il ne s’agit nullement d’une règle arbitraire : ar Warem trihorn, c’est la garenne aux trois coins (triangulaire) : tri + korn. On peut déduire de la réalité de la spiration que le terme tri comportait primitivement une consonne finale, à l’instar du castillan tres de même sens. Les graphies successives de Menez Hom, que l’on prononce Méné Hom en breton, illustrent le mécanisme phonétique qui nous a inspiré notre hypothèse. Au début du XIXe siècle, on trouve la forme non mutée Menes Com. Puis on rencontre la graphie Menes Chom ou Menes C’hom. Cependant, dans la langue parlée, la consonne finale du premier terme chute hors du Léon. Les transcriptions sur les cartes et panneaux routiers l’ayant conservée, on obtient un hybride de la prononciation courante en breton, qui place la consonne initiale du second terme entre deux voyelles, Méné + C’hom > Méné Hom, et la prononciation française qui ne connaît pas le h aspiré, mais se base sur l’écrit, d’où « Ménéz-(h)om ». Quand la transcription française fixe l’état primitif, on a concurremment Menes kam en « français » et la prononciation Mini Ham en breton, toponyme en Spézet (mini, -ou au pluriel, est une prononciation très répandue de menez-iou). Ce dernier exemple nous conforte dans notre suggestion de reconstituer l’évolution qui conduit à la forme Trihori selon la séquence suivante: /Tris + kori /> /trisxori/ ; puis : /trixori/, après chute de la consonne finale de tri(s); le son /x/ étant alors pris entre deux voyelles se réduit à /h/, puis à rien, au moins pour des gosiers exclusivement francophones. Il ne semble pas y avoir de trace écrite d’un terme kori en breton. Sauf, peut-être, sous une forme légèrement différente, dans un texte en français. Parmi les contes rassemblés par Emile Souvestre dans Le Foyer breton (1844), il y a une version de l’histoire des lutins qui entrainent le marcheur nocturne dans une danse infernale, intitulée Les Korils de Paluden. D’après l’auteur, les korils sont une des quatre espèces de lutins qui habitaient la Basse-Bretagne autrefois : « ceux qui habitaient les landes s’appelaient les korils parce qu’ils passaient toutes les nuits à danser des rondes au clair de lune ». Or, le trihori est une ronde, le terme koril ne diffère de cori que par la consonne finale, et l’explication du nom des korils par l’auteur renvoie à la ronde dansée. Comment n’y voir qu’une coïncidence ? Il resterait alors à démontrer que l’auteur a sorti ce mot de son chapeau, on se demande par quel pouvoir de l’imagination.

  • Thoinot Arbeau (XVIe siècle) mentionne une danse tricorie, mais d’après des auteurs de l’antiquité (cf. thèse de JM Guilcher). Soulignons tout de même qu’une même appellation peut désigner deux formes de danse différentes –et qu’une même danse peut être désignée par des noms différents selon l’époque et/ou le lieu.



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