Rente cognitive

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La rente cognitive est l’ensemble des connaissances d’une entreprise. Ces connaissances accumulées, transformées, ou créées représentent un capital. En utilisant bien celui-ci, l’entreprise va avoir un avantage sur ses concurrents.

Historique[modifier | modifier le code]

La notion de rente cognitive[1] fait partie de la famille des théories de la firme basées sur les ressources (Resource-Based View (RBV)). Selon ces théories, une entreprise peut se démarquer de la concurrence en exploitant mieux ses ressources internes. Par exemple, le modèle de l’organisation apprenante, né des travaux de Chris Argyris[2] et Peter Senge[3], s’appuie sur l’idée qu’une entreprise devient performante en valorisant mieux ses connaissances.

Dans cette approche théorique, John-Christopher Spender propose la notion de rente des organisations basée sur la connaissance[4]. Elle comporte deux éléments. Le premier est un ensemble de connaissances collectives plutôt non-formelles. Les routines d’une organisation et la culture d’entreprise font partie de ces connaissances collectives. Le second élément est la connaissance explicite qui regroupe les techniques et les savoirs propres à une organisation.

Ces théories de la firme, mettant en avant la connaissance comme ressource face à la concurrence, ont connu un essor dans les années 1990[5]. Elles ont ensuite fait l’objet de critiques. L'économiste Michael Porter[6] formule trois reproches. Premièrement, il n’existe pas de mode d’emploi pour exploiter cette rente de connaissances. Deuxièmement, ces théories ne définissent pas bien la notion de connaissance. Troisièmement, ces approches abordent l’entreprise comme une organisation isolée de son environnement externe.

La notion de rente cognitive proposée par Sébastien Bourbon reprend l’idée de valoriser les connaissances pour avoir un avantage concurrentiel[7]. Elle répond aussi aux trois principales critiques des théories basées sur les ressources. Tout d’abord, la rente cognitive a un caractère concret et opérationnel. Ensuite, elle s’appuie sur une définition précise de la notion de connaissance. Enfin, la rente cognitive résulte de logiques internes, mais aussi externes à l’entreprise. En effet, la notion de rente cognitive a plusieurs dimensions.

Dimensions de la rente cognitive[modifier | modifier le code]

La rente cognitive se compose de quatre formes précises de connaissances, définies d’après les travaux de Ikujiro Nonaka[8], Lundvall (en) et Johnson[9].

Nonaka distingue les connaissances explicites et implicites. Lundvall et Johnson identifient quatre catégories de connaissances : know-what (connaissances explicites et factuelles), know-why (connaissances explicites et académiques), know-how (connaissances implicites et savoir-être), know-who (connaissances implicites et relations interpersonnelles).

Dans un souci de les rendre plus concrètes, ces quatre formes de connaissances de la rente cognitive ont été requalifiées. Premièrement, la rente cognitive comprend une maîtrise des procédures. Cela inclut les informations (savoirs explicites, know-what) à la disposition de l’entreprise. Deuxièmement, la rente cognitive correspond aussi à des compétences existantes dans une organisation ; c’est-à-dire des techniques spécifiques (savoirs explicites, know-why). Troisièmement, la rente cognitive d’une entreprise comporte également une expertise. Elle se conçoit comme des savoirs implicites, des know-how, qui se reflètent dans les attitudes des professionnels. Enfin, la rente cognitive d’une organisation intègre l’expérience. C’est un ensemble de savoirs implicites, des know-who qui aident à avoir une perception fine des enjeux.

La rente cognitive a un caractère individuel (connaissances d’un collaborateur) mais aussi collectif (connaissances d’un groupe). Ainsi, la rente cognitive d’une organisation résulte de l’imbrication et de l’interaction de plusieurs formes de rentes cognitives spécifiques.  

Au niveau des collaborateurs, les échanges interpersonnels consolident les rentes cognitives individuelles. Au sein d’une société, la confrontation des points de vue entre différents services peut aussi se comprendre comme une confrontation de rentes cognitives collectives. Au niveau de l’organisation, il convient d’entretenir une culture d’entreprise orientée connaissances pour avoir une rente cognitive organisationnelle de qualité. L’entreprise va aussi enrichir sa rente cognitive par des échanges avec les partenaires externes.

Usages de la rente cognitive des entreprises[modifier | modifier le code]

Le principal intérêt d’une rente cognitive riche et diversifiée sur les quatre types de connaissances est de pouvoir bénéficier d’une asymétrie de connaissances par rapport aux autres acteurs du marché. Décidant et agissant en meilleure connaissance de cause, l’entreprise va alors faire des choix stratégiques plus judicieux que ses concurrents.

Une entreprise voulant valoriser sa rente cognitive procède de deux manières : l’exploration et l’exploitation des connaissances. L’exploration consiste à rechercher au sein et en dehors de l’organisation diverses formes de connaissances pouvant renouveler la réflexion stratégique. L’exploitation de la rente cognitive est un processus de mise en valeur et de création des quatre formes de connaissances.

Une bonne valorisation de la rente cognitive peut apporter plusieurs formes de bénéfices à une organisation. Sur le plan stratégique, cela aide à renouveler la décision et la lecture des enjeux. D’un point de vue managérial, le renforcement des rentes cognitives individuelles peut devenir un objectif de gestion des compétences. Au niveau organisationnel, des procédures pour mieux explorer et exploiter la rente cognitive collective peuvent améliorer le fonctionnement d’une entreprise. Sous un angle commercial, un travail sur les lacunes de la rente cognitive du client permet de mieux cerner ses besoins en connaissances ; et donc d’y apporter une réponse plus adaptée.  

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Sébastien Bourbon, La rente cognitive, Caen, EMS Editions, , 128 p. (ISBN 978-2-37687-727-1)
  2. (en) Chris Argyris et Donald A. Schön, L'apprentissage organisationnel, théorie, méthode et pratique [« Organizational Learning: A Theory of Action Perspective »], Addison-Wesley, , 356 p. (ISBN 978-0201001747)
  3. (en) Peter Senge, The Fifth Discipline: The Art and Practice of the Learning Organization, New-York, Random House, , 464 p. (ISBN 0-385-51725-4)
  4. (en) Spender John-Christopher, « Making knowledge the basis of a dynamic theory of the firm », Strategic Management Journal, vol.17,‎ , p.45-62. (lire en ligne Accès libre)
  5. Resources and Competences Perspectives on Strategy of the Firm: A Discussion of the Central Arguments, Amesse, Fernand, Avadikyan, Arman, et Cohendet, Patrick , Contract of the European Union. 1st workshop, Strasbourg (2003), p. 1-36.
  6. (en) Michael E. Porter, The Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, New York, Free Press, 2004, 592p. (ISBN 978-0743260879), , 592 p. (ISBN 978-0743260879)
  7. Sébastien BOURBON, « L’exploitation de la rente cognitive par les organisations. Un problème méthodologique », La Revue des Sciences de Gestion, 2022/3-4 (N° 315-316),‎ , p. 121-128. (lire en ligne)
  8. (en) Ikujiro Nonaka, « A Dynamic Theory of Organizational Knowledge Creation », Organizational Science, vol.5, n°1,‎ , p. 14-37 (lire en ligne)
  9. (en) Bengt-äke Lundvall & Björn Johnson, « The Learning Economy », Journal of Industry Studies, vol.1, n°2,‎ , p.23-42