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James Fenimore Cooper - Si féroce, si sauvage...

Le féroce Magua saisit par le bras le jeune Mohican incapable d'opposer aucune résistance, et il lui enfonça un couteau dans le sein à trois reprises différentes avant que sa victime, l'œil toujours fixé sur son ennemi avec l'expression du plus profond mépris, tombât morte à ses pieds. (...)

Magua vainqueur regarda le jeune guerrier, et lui montrant l'arme fatale toute teinte du sang de ses victimes, il poussa un cri si féroce, si sauvage, et qui en même temps peignait si bien son barbare triomphe, que, ceux qui se battaient dans la vallée à plus de mille pieds au-dessous d'eux l'entendirent, et ne purent en méconnaître la cause. Il fut suivi d'une exclamation terrible qui s'échappa des lèvres du chasseur qui, franchissant les rocs et les ravins, s'avançait vers lui d'un pas aussi rapide, aussi délibéré que si quelque pouvoir invisible le soutenait au milieu de l'air ; mais lorsqu'il arriva sur le théâtre même du massacre, il n'y trouva plus que les cadavres des victimes.

James Fenimore Cooper (15/09/1789 - 14/09/1851) - Le Dernier des Mohicans (1826) - Chapitre XXXII.

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s:septembre 2011 Invitation 1

James Fenimore Cooper - Si féroce, si sauvage...

Le féroce Magua saisit par le bras le jeune Mohican incapable d'opposer aucune résistance, et il lui enfonça un couteau dans le sein à trois reprises différentes avant que sa victime, l'œil toujours fixé sur son ennemi avec l'expression du plus profond mépris, tombât morte à ses pieds. (...)

Magua vainqueur regarda le jeune guerrier, et lui montrant l'arme fatale toute teinte du sang de ses victimes, il poussa un cri si féroce, si sauvage, et qui en même temps peignait si bien son barbare triomphe, que, ceux qui se battaient dans la vallée à plus de mille pieds au-dessous d'eux l'entendirent, et ne purent en méconnaître la cause. Il fut suivi d'une exclamation terrible qui s'échappa des lèvres du chasseur qui, franchissant les rocs et les ravins, s'avançait vers lui d'un pas aussi rapide, aussi délibéré que si quelque pouvoir invisible le soutenait au milieu de l'air ; mais lorsqu'il arriva sur le théâtre même du massacre, il n'y trouva plus que les cadavres des victimes.

James Fenimore Cooper (15/09/1789 - 14/09/1851) - Le Dernier des Mohicans (1826) - Chapitre XXXII.

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s:septembre 2011 Invitation 2

Herman Melville - Songes océaniques

Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années – peu importe combien – le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet.

Herman Melville (01/08/1819-28/09/1891) – Moby Dick (incipit) (traduction [1])

s:septembre 2011 Invitation 3

Robert McLiam Wilson – Cauchemardesque

Le ciel brouillé était sans lune, plus brun que noir, tandis que le vieillard rentrait chez lui. A une centaine de mètres devant lui, il discernait la lumière de l'entrée de sa maison. Des heures qui semblaient avoir passé depuis qu'il avait parlé à sa femme. Le trajet du retour fut cauchemardesque, absurde. Il perdit l'ultime souveraineté sur son corps. Ses pas devinent un automatisme. Une énorme poigne obscure tordait et malaxait ses viscères. Peut-être était-ce la Mort en personne, ce démon, ce monstre. Cette pensée ne l'égayait plus, il transpirait de terreur et d'appréhension.

Sa douleur fut transfigurée. Elle devint une théorie de la douleur; un idéal noir. Sa plénitude l'assassinait ; sa rectitude absolue, atterrante. Redoutant de mourir dans la rue, le vieillard rassembla un simulacre de force et parcourut d'un pas vacillant les derniers mètres qui le séparaient encore de sa maison.

Robert McLiam Wilson - La Douleur de Manfred (Irlande du nord, 1992 – trad. 2003 éditions Bourgois) – (page 252)

s:septembre 2011 Invitation 4

Laurent Gaudé - La Nouvelle-Orléans après Katerina

Au matin, il s'est levé doucement. Un enfant dormait encore. Elle aussi. Il lui a murmuré à l'oreille qu'il allait chercher à manger. Il veut essayer les supermarchés, voir s'il n'y a pas encore sur certaines étagères, quelques boîtes à prendre. Il quitte la maison. Les rues sont comme des fleuves endormis. Il n'y a pas un bruit : ni oiseau ni aucun signe d'activité humaine, comme si le monde avait décidé de se lever en ce jour sans les espèces vivantes. Il y a une concentration et une densité dans ce silence qui l'impressionne. Il contemple la rue inondée. Une chaise flotte, inutile. Des nénuphars aussi, déplacés par le vent. La végétation semble vouloir reprendre ses droits sur la ville. Il se dit que, si tout finissait là, ce serait bien. Après tout. Il est peut-être temps de laisser le monde se libérer des hommes. Que la terre ferme les crevasses dont on l'a perforée, qu'elle aspire à elle le pétrole,le gaz qu'on pompe chaque jour dans ses flancs, que les jacinthes envahissent les rues de La Nouvelle-Orléans et les alligators les rez-de-chaussée des maisons. Après tout les hommes ne sont rien mais l'ont oublié depuis si longtemps que chaque soubresaut de la terre leur semble être un cataclysme. Ce n'est qu'un mouvement de vie plus sourd, plus lointain que le leur. Quelque chose au regard duquel leur vie d'homme n'est rien et ne compte pas.

Laurent GaudéOuragan – éditions Actes Sud, 2010 (p.167)

s:septembre 2011 Invitation 5

Mathias Énard - Traces

Tu sens que la fin approche, que c'est la dernière nuit. Tu auras eu la possibilité de tendre la main vers moi, je me serai offerte en vain. C'est ainsi. Ce n'est pas moi que tu désires. Je ne suis que le reflet de ton ami poète, celui qui se sacrifie pou ton bonheur. Je n'existe pas. Tu le découvres peut-être maintenant ; tu en souffriras plus tard, sans doute ; tu oublieras ; tu auras beau couvrir les murs de nos visages, nos traits s'effaceront peu à peu. Les ponts sont de belles choses, pourvu qu'ils durent ; tout est périssable. Tu es capable de tendre une passerelle de pierre, mais tu ne sais pas te laisser aller aux bras qui t'attendent.

Le temps résoudra tout cela, qui sait. Le destin, la patience, la volonté. Il ne restera rien de ton passage ici. Des traces, des indices, un bâtiment. Comme mon pays disparu, là-bas, de l'autre côté de la mer. Il ne vit plus que dans les histoires et ceux qui les portent. Il leur faudra parler longtemps de batailles perdues, de rois oubliés, d'animaux disparus. De ce qui fut, de ce qui aurait pu être, pour que cela soit de nouveau. Cette frontière que tu traces en te retournant, comme une ligne avec un bâton dans le sable, on l'effacera un jour ; un jour toi-même te laisseras aller au présent, même si c'est dans la mort.

Un jour tu reviendras.

Mathias Énard - Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants - éditions Actes Sud 2010 (page 128)