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J.-H. Rosny aîné - Naoh apporte le Feu !

Enfin, Naoh fut en vue. Il arrivait tout noir sur la plaine grise et Faouhm hurlait :

– Le Feu !... Naoh apporte le Feu !

Ce fut un vaste saisissement. Plusieurs s’arrêtèrent, comme frappés d’un coup de hache. D’autres bondirent avec un rauquement frénétique – et le Feu était là.

Le fils du Léopard le tendait dans sa cage de pierre. C’était une petite lueur rouge, une vie humble et qu’un enfant aurait écrasée d’un coup de silex. Mais tous savaient la force immense qui allait jaillir de cette faiblesse. Haletants, muets, avec la peur de le voir s’évanouir, ils emplissaient leurs prunelles de son image...

Puis ce fut une rumeur si haute que les loups et les chiens s’épouvantèrent. Toute la horde se pressait autour de Naoh, avec des gestes d’humilité, d’adoration et de joie convulsive.

J.-H. Rosny aîné (1856–15/02/1940) - La Guerre du feu, 1911 (dernier chapitre)

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s:février 2010 Invitation 1

Emmanuel Carrère - Ce qui me rapproche des autres hommes

Chaque jour depuis six mois, volontairement, j'ai passé quelques heures devant l'ordinateur à écrire sur ce qui me fait le plus peur au monde : la mort d'un enfant pour ses parents, celle d'une jeune femme pour ses enfants et son mari. La vie m'a fait témoin de ces deux malheurs, coup sur coup, et chargé, c'est du moins ainsi que je l'ai compris, d'en rendre compte. Elle me les a épargnés, je prie pour qu'elle continue. J'ai quelquefois entendu dire que le bonheur s'appréciait rétrospectivement. On pense : je ne m'en rendais pas compte mais, alors, j'étais heureux. Cela ne vaut pas pour moi. J'ai longtemps été malheureux, et très conscient de l'être ; j'aime aujourd'hui ce qui est mon lot, je n'y ai pas grand mérite tant il est aimable, et ma philosophie toute entière tient dans le mot qu'aurait, le soir du sacre, murmuré Madame Letizia, la mère de Napoléon : « Pourvu que ça doure. »

Ah, et puis: je préfère ce qui me rapproche des autres hommes à ce qui m'en distingue. Cela aussi est nouveau.

Emmanuel CarrèreD'autres vies que la mienne (éd. POL, 2009) (page 308)

s:février 2010 Invitation 2

Jacques Prévert - Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert (04/02/1900 - 1977) – Paroles (éd. Gallimard - 1946/1949)

s:février 2010 Invitation 3

René-Guy Cadou - Hélène

Je t'atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L'inquiète la dormante
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
À ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue
Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait
Recréait ton visage
Tu étais l'auberge
Aux portes des villages

René-Guy Cadou (1920-1951) – La Vie Rêvée (éd. Robert Laffont, 1944)

s:février 2010 Invitation 4

Jay McInerley – Rencontre à Ground Zero

À un moment, j'ai mis les jambes sous une poutre, la maintenant en l'air avec mes pieds pour qu'ils (les sauveteurs) puissent chercher en dessous. Bizarrement ça faisait moins peur dy foutre les pieds.

Quand les fumées qui sortaient des conduites de gaz pétées ont fini par m'assommer, j'ai finalement rebroussé chemin. Je ne savais pas dans quelle direction j'allais. J'avais le vertige et la nausée. Je n'avais pas dormi. Je n'y voyais presque plus, à ce moment-là, à cause de la poussière. À St Vincent, ils avaient installé un poste de secours où on pouvait se nettoyer les yeux. Après çà, je me suis mis à marcher vers le nord. Tout à coup, une très belle femme apparaît, comme jaillie de la poussière et de la fumée. C'était toi. À chaque fois que je fermais les yeux, je voyais la femme sans visage. Mais tu es venue et tu as donné au monde un nouveau visage.

Jay McInerneyLa belle vie (éd. de l'Olivier, 2007) (page 310)

s:février 2010 Invitation 5

J.-H. Rosny aîné - Naoh apporte le Feu !

Enfin, Naoh fut en vue. Il arrivait tout noir sur la plaine grise et Faouhm hurlait :

– Le Feu !... Naoh apporte le Feu !

Ce fut un vaste saisissement. Plusieurs s’arrêtèrent, comme frappés d’un coup de hache. D’autres bondirent avec un rauquement frénétique – et le Feu était là.

Le fils du Léopard le tendait dans sa cage de pierre. C’était une petite lueur rouge, une vie humble et qu’un enfant aurait écrasée d’un coup de silex. Mais tous savaient la force immense qui allait jaillir de cette faiblesse. Haletants, muets, avec la peur de le voir s’évanouir, ils emplissaient leurs prunelles de son image...

Puis ce fut une rumeur si haute que les loups et les chiens s’épouvantèrent. Toute la horde se pressait autour de Naoh, avec des gestes d’humilité, d’adoration et de joie convulsive.

J.-H. Rosny aîné (1856–15/02/1940) - La Guerre du feu, 1911 (dernier chapitre)

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