Jugement déterminant et jugement réfléchissant

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Le jugement déterminant et le jugement réfléchissant sont deux types de jugement qui permettent de relier l'universel et le particulier pour l'un, et le particulier et l'universel pour l'autre. Ce sont deux concepts majeurs de la philosophie de l'art d'Emmanuel Kant.

Concepts[modifier | modifier le code]

Dans la Critique de la faculté de juger, Kant distingue le jugement déterminant et le jugement réfléchissant. Le jugement déterminant est celui qui permet de rapporter le particulier à l'universel. Si l'on voit une fleur et qu'on la juge rouge, on rapporte un particulier à un universel. Lorsque l'on opère un jugement déterminant, on qualifie une réalité singulière en la subsumant (en la ramenant) à un concept qu'on possède déjà[1].

Kant soutient toutefois que le jugement déterminant ne peut suffire à comprendre la réalité. Il est donc nécessaire de prendre aussi en compte le jugement réfléchissant[2]. Le jugement réfléchissant, lui, ne dispose que du particulier, et doit trouver l'universel[3]. La faculté réfléchissante ne relève pas de la logique, mais du sujet. Dans le cas du jugement réfléchissant, il n'existe pas d'éléments de référence aux choses particulières qui doivent être jugées[4]. Le jugement du beau, c'est-à-dire le jugement esthétique, est un jugement réfléchissant[5].

Le jugement déterminant, parce qu'il se fonde sur l'application d'une règle générale à un particulier, expose une connaissance. Le jugement réfléchissant, lui, part du particulier et essaie de lui trouver une règle à appliquer. Mais comme cette règle n'est pas accessible, l'individu ne peut pas former de connaissance, simplement un effort de réflexion. Le jugement du beau se range dans cette catégorie[6]. En effet, face au beau, il n'est pas possible d'appliquer un concept (le beau est une finalité sans fin, et est sans concept), et on ne peut appliquer aucune loi scientifique[7]. En d'autres termes, le beau éveille la curiosité de l'esprit, et l'oblige ainsi à enfanter des idées nouvelles. L'esprit peut spéculer sur le beau, mais pas légiférer[8].

Postérité[modifier | modifier le code]

Chez Arendt[modifier | modifier le code]

Hannah Arendt réutilisera la distinction kantienne. Elle considère que le jugement réfléchissant, parce qu'il est une pure réflexion sans règle extérieure qui exige d'en trouver une, permet au sujet d'être autonome. Sans la faculté autonome, il serait impossible pour chacun de juger les normes en vigueur, et donc, de s'opposer aux totalitarismes[9].

Chez Adorno[modifier | modifier le code]

Theodor Adorno reprend la distinction kantienne et l'augmente. Il soutient, comme Kant, que si l'esthétique relève uniquement du jugement réfléchissant, c'est parce que l'esthétique engage l'esprit à chercher à la comprendre, à déchiffrer le sens, d'une manière inachevée[1].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b (en) Lars Gundersen, Mogens Pahuus, Hans Siggaard Jensen et Stig Andur Pedersen, Danish Yearbook of Philosophy Vol. 46, Museum Tusculanum Press, (ISBN 978-87-635-4165-7, lire en ligne)
  2. Sophie Grapotte, Mai Lequan et Margit Ruffing, Kant et les sciences: un dialogue philosophique avec la pluralité des savoirs, Vrin, (ISBN 978-2-7116-2401-0, lire en ligne)
  3. Jean Lacoste, La philosophie de l'art, (ISBN 978-2-7154-0220-1 et 2-7154-0220-1, OCLC 1134688464, lire en ligne)
  4. Célia Gissinger-Bosse, Être juré populaire en cour d'assises : Faire une expérience démocratique, (ISBN 978-2-7351-2388-9 et 2-7351-2388-X, OCLC 1008560787, lire en ligne)
  5. Diane Bedoin et Martine Janner-Raimondi, Petite enfance et handicap famille, crèche, maternelle, (ISBN 978-2-7061-2512-6 et 2-7061-2512-8, OCLC 1033416234, lire en ligne)
  6. Jean-Marie Vasti-Dumas impr.), La beauté : concours 2009 : ECS-ECE, classe préparatoire économique et commerciale, voies scientifique et économique, Bréal, dl 2008 (ISBN 978-2-7495-0836-8 et 2-7495-0836-3, OCLC 470935490, lire en ligne)
  7. Rachid Maraï, Kant à la plage : la raison pure dans un transat, dl 2019 (ISBN 978-2-10-078098-3 et 2-10-078098-0, OCLC 1105629048, lire en ligne)
  8. Natalie Cossart, Jean-René. Masquelier et Nicolas Tenaillon, L'oral de culture générale : HEC et grandes écoles de commerce, Ellipses, dl 2016, cop. 2016 (ISBN 978-2-340-00959-2 et 2-340-00959-6, OCLC 944015340, lire en ligne)
  9. Luc Vigneault, Dominic Desroches, Sophie Cloutier et Blanca Navarro Pardiñas, Le temps de l'hospitalité : réception de l'Éthique del'hospitalité de Daniel Innerarity, (ISBN 978-2-7637-1924-5 et 2-7637-1924-4, OCLC 921534112, lire en ligne)