Chronique d'Arbèles
La Chronique d'Arbèles est un texte historiographique en langue syriaque publié par Alphonse Mingana en 1907[1]. L'éditeur le donnait pour l'œuvre d'un écrivain du nom de Mšiḥā-zkā (« Christ a vaincu »), dont l'Histoire ecclésiastique est mentionnée dans le Catalogue des livres d'Ébedjésus de Nisibe. Le texte raconte l'histoire des évêques d'Erbil (ou Arbèles), capitale de l'Adiabène, depuis la fondation du siège par Pkhida, présenté comme un disciple d'Addaï d'Édesse, jusqu'à la mort de Hnana, le vingtième évêque, survenue entre 544 et 554, ce qui fait supposer que l'auteur écrivait vers le milieu du VIe siècle, même s'il y a apparemment une partie manquante à la fin comme au début[2]. Beaucoup des évêques mentionnés finissent leur vie en martyrs, ce qui apparente le texte à un martyrologe.
Ce texte a d'abord été considéré comme un document très précieux par nombre d'orientalistes, jusqu'à ce que de sérieux doutes soient exprimés sur son authenticité[3] : d'abord par le Bollandiste Paul Peeters[4], ensuite par le jésuite Ignacio Ortiz de Urbina[5]. En 1941, le dominicain Jacques-Marie Vosté révéla qu'Alphonse Mingana avait fait ajouter le nom de Mšiḥā-zkā sur le manuscrit par un scribe moderne du Proche-Orient[6]. Ensuite l'orientaliste allemand Julius Assfalg examina l'unique manuscrit connu (alors désigné comme Ms. Berl. or. 3126, vendu par Mingana lui-même le à la Bibliothèque d'État de Berlin) et découvrit :
- que loin de dater du Xe siècle, comme l'avait au moins laissé dire Mingana, c'était un manuscrit moderne, et vieilli artificiellement ;
- que le texte édité par Mingana ne correspondait pas entièrement à celui du manuscrit, et qu'il manquait même une page entière dans celui-ci par rapport au texte imprimé[7].
Peu après, le dominicain Jean Maurice Fiey dénonça la Chronique d'Arbèles comme une pure fabrication d'Alphonse Mingana, rappelant que l'authenticité d'autres textes édités par lui avait déjà été mise en doute[8].
La même année, pourtant, le savant anglais Sebastian P. Brock donnait des raisons de penser que les accusations portées à plusieurs reprises contre Mingana n'étaient pas forcément fondées[9]. Il reste que la Chronique d'Arbèles a généralement été jusqu'à aujourd'hui écartée de la liste des sources fiables[10]. Cependant le texte a été réédité dans la collection CSCO, et le responsable de cette édition, Peter Kawerau, soutient dans son introduction qu'il y a plus de données historiquement fiables dans cette Chronique qu'on ne l'a prétendu un temps[11]. En 2001, Christelle et Florence Jullien, recourant à une critique à la fois interne et externe, concluent à la conformité générale du texte aux sources orientales (notamment le Synodicon orientale et les Actes des martyrs), et invitent à utiliser avec prudence les données concordant avec les sources syriaques identifiées, et à ne mentionner finalement ce texte qu’à titre d'élaboration compilatoire[12]. Dans une étude parue en 2002, Ilaria Ramelli affirme elle aussi que la chronologie qui sous-tend cette Chronique est confirmée sur plusieurs points par d'autres sources[13].
Édition
[modifier | modifier le code]- Peter Kawerau, Die Chronik von Arbela, CSCO 467/468 (Script. Syri 199/200), Peeters, Louvain, 1985.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Sources syriaques I, Leipzig, 1907, p. 1-168 (texte syriaque et traduction française).
- Dans la Vie du dernier évêque, lui-même est évoqué au passé, mais Abraham de Beth Rabban, directeur de l'École de Nisibe, mort en 569, l'est au présent (il « dirige l'école avec beaucoup de sagesse »), ce qui suppose une rédaction dans les années 550 ou 560.
- Dès l'origine, il semble qu'à la publication de ce texte soit liée la rupture d'Alphonse Mingana, en 1910, avec l'Église catholique chaldéenne, dont il était prêtre, et avec le séminaire dominicain de Mossoul, où il enseignait le syriaque et l'arabe.
- « Le Passionnaire d'Adiabène », Analecta Bollandiana 43, 1925, p. 261-304.
- « Intorno al valore storico della Cronaca di Arbela », Orientalia Christiana Periodica 2, 1936, p. 5-32.
- « Alphonse Mingana », Orientalia Christiana Periodica 7, 1941, p. 514-518.
- « Zur Textüberlieferung der Chronik von Arbela. Beobachtungen zur Ms. or. fol. 3126 », Oriens Christianus 50, 1966, p. 19-36.
- « Auteur et date de la Chronique d'Arbèles », L'Orient syrien 12, 1967, p. 265-302. Les autres textes étaient notamment un passage du texte intitulé Cause de la fondation des écoles, de Barhadbshabba 'Arbaya, qu'il était accusé d'avoir inventé dans la préface de son édition de Narsaï (1905), et la lettre de Philoxène de Mabboug au dignitaire perse Abu 'Afr, pour laquelle il avait été soupçonné déjà par Paul Peeters d'avoir menti sur l'existence d'un manuscrit. En fait, selon Vosté et Fiey, l'homme qui a fabriqué et vieilli artificiellement le manuscrit de la Chronique pour le compte de Mingana est parfaitement identifié, et a avoué : c'est un certain Abraham Shakwana, d'Alqosh, près de Mossoul, et c'est un moine nommé Thomas bar Hanna, du couvent d'Alqosh, qui a ajouté le faux nom d'auteur dans une marge.
- « Alphonse Mingana and the Letter of Philoxenos to Abu 'Afr », Bulletin of the John Ryland's Library 50, 1967, p. 199-206, où S. P. Brock démonte l'accusation concernant ce texte. Mais le même se montre très circonspect sur la Chronique dans « Syriac Historical Writing : A Survey of the Main Sources », Journal of the Iraqi Academy (Syriac Corporation) 5, 1979-80, p. 1-30 (repris dans S. P. Brock, Studies in Syriac Christianity, Londres, 1992).
- Cependant, la Chronique est encore prise en compte, par exemple, par Jes Peter Asmussen dans « Christians in Iran », in Ehsan Yarshater (éd.), The Cambridge History of Iran 3 (2), 1983, p. 924-948, et par Geo Widengren, « Sources of Parthian and Sasanian History », Ibid., p. 1276.
- Il évoque une concordance avec une inscription retrouvée à Bishapour en 1935, donc ignorée d'A. Mingana (date de l'avènement d'Ardachir Ier, le fondateur de la dynastie des Sassanides), et la mention dans le texte d'une éclipse solaire survenue le 10 juillet 218 (début de l'épiscopat d'Hikan, le 8e évêque : « Au début de son épiscopat, il y eut partout la terreur et les guerres. Le soleil s'éclipsa et refusa de nous éclairer de sa lumière »). Mais quand il dénonce une supposée hostilité au texte de la part du clergé catholique (jésuites et dominicains), il oublie tous les arguments donnés par eux, et par des non catholiques. Voir aussi Wolfgang Schwaigert, « Miles und Papa : Der Kampf um den Primat. Ein Beitrag zur Diskussion um die Chronik von Arbela », Orientalia Christiana Analecta 236, 1990, p. 393-402.
- « La Chronique d'Arbèles. Propositions pour la fin d'une controverse », Oriens christianus 85, 2001, p. 41-83.
- Il Chronicon di Arbela : Presentazione, traduzione e note essenziali, Ilu. Revista de Ciencias de las Religiones. Anejos. Serie de sucesivas monografias 8, Universidad Complutense, Madrid, 2002. (Texte online)