Scarbo (poème)
Scarbo est un petit gnome diabolique qui apparaît dans quatre poèmes d'Aloysius Bertrand, tirés de Gaspard de la nuit (1842).
Les textes
[modifier | modifier le code]Voici les textes où figure Scarbo.
La Chambre gothique (troisième partie, poème 1)
[modifier | modifier le code]- Oh! la terre, - murmurai-je à la nuit, est un calice embaumé dont le pistil et les étamines sont la lune et les étoiles ! »
- Et, les yeux lourds de sommeil, je fermai la fenêtre qu'incrusta la croix du calvaire, noire dans la jaune auréole des vitraux.
- Encore, - si ce n'était à minuit, - l'heure blasonnée de dragons et de diables! - que le gnome qui se soûle de l'huile de ma lampe !
- Si ce n'était que la nourrice qui berce avec un chant monotone, dans la cuirasse de mon père, un petit enfant mort-né !
- Si ce n'était que le squelette du lansquenet emprisonné dans la boiserie, et heurtant du front, du coude et du genou !
- Si ce n'était que mon aïeul qui descend en pied de son cadre vermoulu, et trempe son gantelet dans l'eau bénite du bénitier !
- Mais c'est Scarbo qui me mord au cou, et qui, pour cautériser ma blessure sanglante de part et d'autre, y plonge son doigt de fer rougi à la fournaise !
Scarbo (troisième partie, poème 2)
[modifier | modifier le code]Scarbo
Mon Dieu, accordez-moi, à l’heure de ma mort, les prières d’un prêtre, un linceul de toile, une bière de sapin et un lieu sec.
Les patenôtres de M. le Maréchal.
– « Que tu meures absous ou damné, – marmottait Scarbo cette nuit à mon oreille, – tu auras pour linceul une toile d’araignée, et j’ensevelirai l’araignée avec toi ! »
– « Oh ! que du moins j’aie pour linceul, lui répondais-je, les yeux rouges d’avoir tant pleuré, – une feuille du tremble dans laquelle me bercera l’haleine du lac. »
– « Non ! – ricanait le nain railleur, – tu serais la pâture de l’escarbot qui chasse, le soir, aux moucherons aveuglés par le soleil couchant ! »
– « Aimes-tu donc mieux, – lui répliquai-je, larmoyant toujours, – aimes-tu donc mieux que je sois sucé d’une tarentule à trompe d’éléphant ? »
– « Eh bien, – ajouta-t-il, – console-toi, tu auras pour linceul les bandelettes tachetées d’or d’une peau de serpent, dont je t’emmailloterai comme une momie.
Et de la crypte ténébreuse de Saint-Bénigne, où je te coucherai debout contre la muraille, tu entendras à loisir les petits enfants pleurer dans les limbes. »
Aloysius Bertrand, Scarbo" Gaspard de la nuit, 1842
Le fou (troisième partie, poème 3)
[modifier | modifier le code]- La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène qui argentait d'une pluie de vers luisants les collines, les prés et les bois.
- Scarbo, gnome dont les trésors foisonnent, vannait sur mon toit, au cri de la girouette, ducats et florins qui sautaient en cadence, les pièces fausses jonchant la rue.
- Comme ricana le fou qui vague, chaque nuit, par la cité déserte, un œil à la lune et l'autre - crevé !
- « Foin de la lune! grommela-t-il, ramassant les jetons du diable, j'achèterai le pilori pour m'y chauffer au soleil ! »
- Mais c'était toujours la lune, la lune qui se couchait, - et Scarbo monnayait sourdement dans ma cave ducats et florins à coups de balancier.
- Tandis que, les deux cornes en avant, un limaçon qu'avait égaré la nuit cherchait sa route sur mes vitraux lumineux.
Scarbo (2), dans les Pièces détachées
[modifier | modifier le code]- Oh! Que de fois je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d'argent sur une bannière d'azur semée d'abeilles d'or !
- Que de fois j'ai entendu bourdonner son rire dans l'ombre de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit !
- Que de fois j'ai l'ai vu descendre du plancher, pirouetter sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé de la quenouille d'une sorcière.
- Le croyais-je alors évanoui? Le nain grandissait entre la lune et moi, comme le clocher d'une cathédrale gothique, un grelot d'or en branle à son bonnet pointu !
- Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire d'une bougie, son visage blêmissait comme la cire d'un lumignon, - et soudain il s'éteignait.
Adaptations
[modifier | modifier le code]Le dernier de ces quatre poèmes a inspiré Maurice Ravel, qui lui a consacré la troisième et dernière pièce de son triptyque pour piano (Gaspard de la nuit, 1908)