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Utilisateur:Hesan/Brouillon6

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Place du Coran dans la littérature de l'Antiquité tardive[modifier | modifier le code]

Cette approche du Coran au sein de la littérature arabe préislamique est aujourd'hui complétée par une vision plus large de celui-ci au sein de la littérature de l'antiquité tardive[1][Note 1]. Ces travaux créent depuis deux décennies un « profond bouleversement » pour la recherche sur le Coran et « examinent les conditions de son émergence dans un contexte qui est celui de l'Antiquité tardive » grâce aux outils de la linguistique[2]. "La démonstration de l'appartenance du Coran aux traditions textuelles bibliques datant de ce que l'on appelle maintenant l'Antiquité tardive" est pourtant ancienne[3]. Angelica Neuwirth voit dans ce contexte une rupture avec les études précédentes. À l'inverse, Gilliot inscrit ces études dans la continuité[Note 2],[4]. L'antiquité tardive est caractérisée par les influences byzantines et romaines, chrétiennes, juives et zoroastrienne[5] dans un contexte de syncrétisme religieux[4][Note 3]. L'Arabie préislamique était en contact étroit avec les régions voisines[6]. La connaissance des textes religieux proche et moyen-orientaux de l'Antiquité tardive est un un repère méthodologique "définitivement" établi pour les sciences coraniques[7][Note 4] Pour Hoyland, « Si nous approuvons la validité de ces contributions arabes à la formation de l’islam, est-ce que cela signifie que la théorie « [islam comme religion] sortant d’Arabie » l'emporte sur la théorie « né de l'Antiquité tardive » ? Il semble pour moi qu'il existe un moyen de sortir de cette dichotomie, à savoir d'accepter que l'Arabie au moment de Mahomet faisait déjà partie du monde antique »[8].

Ces études sont basées, aussi bien sur le contexte historique d'émergence du texte coranique[Note 5], que sur différents aspects linguistiques. Ainsi, par exemple, pour Cuypers, « l’usage, par le Coran, d’une rhétorique sémitique en usage chez les scribes de l’Antiquité du Moyen Orient, et les nombreuses relations intertextuelles du Coran avec le monde des écrits religieux qui circulaient à l’époque de son avènement, situent clairement le Livre dans le contexte littéraire de l’Antiquité tardive[9]. » D'autres traits de la rhétorique coranique rapprochent ce texte des autres textes de l'antiquité tardive. « Ainsi, le discours autoréférentiel du Coran [étudié par Boisliveau], caractérisé par une « auto-canonisation » qui argumente en cercle fermé, est globalement différent des Écritures bibliques mais n’en est pas moins proche de certains autres textes sacrés de l’antiquité tardive »[10]. De même, Azaiez reconnaît des formes et des thèmes similaires entre le « contre-discours coranique » et ceux provenant de textes religieux de l'antiquité tardive, en particulier des textes bibliques et parabibliques[11]. Hormis les formes rhétoriques, ce lien se retrouve dans l'étude de l'intertextualité, « qui confronte le texte coranique avec la littérature sacrée circulant dans l’Antiquité tardive »[12]. Ainsi, Reynolds, travaillant en partie sur celle-ci et menant des études sur les langues et les littératures de l'Antiquité tardive, évoque « sa conviction que le Coran a une relation privilégiée avec la littérature chrétienne écrite en syriaque[13] ». L’origine des emprunts coraniques s'étend grandement dans le temps et l'espace, depuis l’empire assyrien jusqu’à la période byzantine. Elle englobe toutes les langues des pays limitrophes de l’Arabie, celles qui appartiennent à la famille sémitique[Note 6] : l’akkadien, l’araméen, l’hébreu, le syriaque, l’éthiopien, le nabatéen, le sudarabique, et les langues non sémitiques des Empires grec, romain et perse[14]. Gilliot a ainsi étudié la question de la contamination linguistique autour du terme hanif[15].

Pour Déroche, le Coran est le plus ancien livre en arabe[16]. L’étude des manuscrits permet de mieux connaître ces livres anciens, les traditions de copies et leur cheminement vers un modèle standardisé, « réellement reconnu qu’à partir du IXe siècle »[17]. Les premiers manuscrits sont de formes variées ce qui pourrait illustrer « l’hétérogénéité des pratiques scripturaires de cette époque ». L’observation du codex parisino-petropolitanus l’inscrit ainsi dans une technique de composition grecque, copte et christo-palestinienne. C’est aussi le cas des manuscrits en style A dont la manière d’organiser les feuillets disparaît dans la première moitié du VIIIe siècle[17]. Pour Déroche, il est formellement "héritier de la tradition de l’Antiquité tardive"[18]. Cela s'observe, pour l'auteur, dans la reprise de la tradition de la scriptio continua[19]. À propos du style B1.a, l’auteur précise qu’« Au niveau de la composition des cahiers, on s’oriente déjà vers une structure standard : celle employée majoritairement par la tradition syriaque ». Ces styles seront bouleversés au cours du VIIIe siècle, probablement à la fin de la période ommeyade[17].

Pour Gilliot, l'insistance du texte coranique sur son arabité s'inscrit dans une volonté de se distinguer de ses matériaux constitutifs non-arabe[20],[21]. Le Coran s'inscrit dans le cadre de la littérature antique, certains passages pouvant être rapproché des lectionnaires syriaques[20], d'autre de la littérature homilétique[22], d'hymnes d'Ephrem[23], la Didascalie des apôtres[24].... Pour Gilliot, il peut être observé, dans le Coran, une volonté d'interprétation et de traduction de récits des autres livres sacrés dans l'esprit, bien vivant durant l'antiquité tardive, du targum[Note 7][20]. A. Neuwirth parle de "texte exégétique"[Note 8][25]. Si le Coran est une réponse aux questions chrétiennes et juives de l'Antiquité Tardive[26], il peut être perçu, "plus qu'en terme d'influences ou d'emprunts[Note 9]", comme le reflet des idées, concepts et formes de son époque[Note 10][27]. Cette approche permet de ne pas voir le Coran comme un "pâle reflet" de source dont il dériverait sans reconnaître son originalité dans l'emploi des figures, récits et concepts bibliques et orientaux[28][Note 11]. Pour Hoyland, « Le Coran est à bien des égards le dernier document de l’antiquité tardive et nous fournit un moyen de relier l’Arabie, les origines de l’islam et Antiquité tardive »[8].

  1. Le terme "Antiquité Tardive" désigne la période située entre l'Antiquité classique et la Moyen âge. Au Proche-Orient, cette période correspond à la période de l'empire sassanide, du IIIe siècle à l'expansion musulmane.  : Holger M. Zellentin, "Prophecy and writing in the Qur’an, or why Muhammad was not a scribe", The Qur'an's Reformation of Judaism and Christianity: Return to the Origins, 2019, note 2.
  2. "Angelica Neuwirth et Claude Gilliot, dans leurs contributions respectives, plaident tous deux pour une approche du Coran comme texte de l’Antiquité tardive, empreint de la riche culture religieuse de l’époque, une approche que la première présente en rupture avec les études précédentes quand le second montre plutôt la continuité avec celles-ci."
  3. Sans qu'il soit toujours possible de séparer le contexte juif et chrétien : Dye G., "Le corpus coranique : contexte et composition", Le Coran des historiens, t.1, 2019, p.735-846.
  4. "That the Qurʾan shows traces of Christian influence is so obvious as to be irrefutable" :Stewart, Islam and its past : Jahiliyya, late antiquity, and the Qur'an", Oxford University Press, 2017, p.22.
  5. Reynolds explique que son approche, dans The Qur'an and Its Biblical Subtext, n'est pas ni basé sur le contexte historique, ni construit comme une investigation des sources, idée basé sur le principe "que Mahomet a été le seul auteur du Coran". L'auteur introduit le concept de sous-texte. "J'entends par là l'ensemble des traditions auxquelles le Coran fait référence dans son articulation d'un nouveau message religieux". Au lieu de se limiter à l'identification des sources, l'auteur s’interroge sur les relations entre ses textes et interprète le Coran comme un texte de nature homilétique. G. Reynolds, "The crisis of Qur›ánic Studies", The Qur'an and Its Biblical Subtext, p. 3 et suiv.
  6. Une partie importante de ces termes semblent avoir intégré la langue arabe avant la rédaction du Coran : H. Motzki "Alternatives accounts of the Qur'an formation", The Cambridge companion to the Qur'an, 207, p. 59-78.
  7. Par rapport à l’hypothèse de Luxenberg qui fait remonter l’origine du texte coranique à des lectionnaires syriaques, Herbert Berg note qu’un nombre très restreint de chercheurs a été convaincu par son argumentaire dont Claude Gilliot qui lui aussi fait dans l’exception avec son hypothèse analogue de lectionnaires pré-coraniques : (en) Herbert Berg, Routledge Handbook on Early Islam : The collection and canonization of the Qur’an, Routledge, (ISBN 9781138821187), p. 37-48. "En une série d’articles récents, Claude Gilliot a montré de manière – à notre avis – définitive, [...], que le Coran se subdivise en effet en trois parties distinctes : les sept sourates les plus longues étaient censées remplacer la Tora, les redoublées les Psaumes et les centaines l’Évangile. Et Gilliot de conclure : « Mahomet aidé par des “informateurs” poursuivit donc la tradition vivante de l’antiquité tardive, celle du “targum”, interprétant/traduisant des logia pris des Écritures antérieures (ou de traditions orales), [...]" : J. M.F. Van Reeth, « Le Coran silencieux et le Coran parlant : nouvelles perspectives sur les origines de l’islam », Revue de l’histoire des religions, 3, 2013, p. 385-402. Cette approche de considérer certains passages anciens comme traduction et interprétation d’écritures antérieures, et les études de Gilliot sont citées à plusieurs reprise par Boisliveau : "Cette idée du Coran vu comme une traduction/interprétation des Ecritures en arabe rejoint l’idée que le Coran corrobore ces Ecritures: il apporte des éléments qui argumentent dans le même sens." : A.S. Boisliveau, Le Coran par lui-même, p. 270.
  8. Interprétant le Coran comme étant, en grande partie,"interprétation et une reformulation de traditions bibliques et postbibliques", l'auteur remarque la coïncidence selon laquelle l'ère de genèse du Coran correspond, à peu prés, à celle de l'édition des grands corpus exégétiques monothéistes (talmud, écrits patristiques...)
  9. Les emprunts directs sont toujours difficiles à prouver.
  10. Ainsi, "Les débats christologiques [...] ont indéniablement constitué le milieu d'émergence de l'islam" : M. Debié, "Les apocalypses syriaques", Le Coran des Historiens, 2019, p. 541-586. Pour Griffith, si le Coran "dialogue" avec les récits biblique, on peut décrire ces liens par le principe d'intertextualité même "si les histoires complètes qu'ils racontent ne peuvent être trouvées dans aucun texte en particulier, elles existent de manière inter-textuelle dans les textes et les mémoires des communautés dans lesquelles elles ont circulé." : Griffith, "The Bible in arabic Quran", The Bible in arabic, 2013.
  11. A titre d'exemple, "les parallèles, phraséologiques et thématiques, entre la sûrat al-qadr et les Hymnes sur la Nativité d'Ephrem [...] sont trop massifs pour être dus au hasard". Si les rédacteurs du Coran devaient connaître "directement ou indirectement" ces textes, les chercheurs s'interrogent pour savoir s'il s'agit d'un texte originellement chrétien islamisé ou si le Coran a plutôt utilisé une phraséologie chrétienne sur l'Incarnation. G. Dye, "Sourate 97", Le Coran des Historiens, 2019, p.2121 et suiv.
  1. « Histoire du Coran entre antiquité tardive et établissement des orthodoxies islamiques », sur EHESS,
  2. Mehdi Azaiez (dir.), Sabrina Mervin (coll.), Le Coran : nouvelles approches, CNRS Éditions, Paris, 2013 : https://books.google.fr/books?id=0-s9AgAAQBAJ&pg=PT1&lpg=PT1&dq=coran+%22profond+bouleversement%22+%22examinent+les+conditions+de+son+%C3%A9mergence+dans+un+contexte+qui+est+celui+de+l%27Antiquit%C3%A9+tardive%22&source=bl&ots=2S2aASREiX&sig=ACfU3U0T6H-ZzwQWW84fgQnZLIff4zRQ6g&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjMhY-QmsfgAhWPAGMBHeXGDiQQ6AEwBXoECAEQAQ#v=onepage&q=coran%20%22profond%20bouleversement%22%20%22examinent%20les%20conditions%20de%20son%20%C3%A9mergence%20dans%20un%20contexte%20qui%20est%20celui%20de%20l'Antiquit%C3%A9%20tardive%22&f=false
  3. Amir-Moezzi M., Dye G., Le Coran des historiens, t. 1, 2019, p.25.
  4. a et b Mathieu Terrier, Le Coran, nouvelles approches, sous la direction de Mehdi Azaiez, avec la collaboration de Sabrina Mervin, Paris, CNRS Éditions, 2013 dans Revue de l'histoire des religions 2016, 233, p. 431-434.
  5. François Déroche, La voix et le calame. Les chemins de la canonisation du Coran : Leçon inaugurale prononcée le jeudi 2 avril 2015, Collège de France, , 64 p. (ISBN 978-2-7226-0444-5, lire en ligne)
  6. Barbara Finster, «Arabia in Late Antiquity: An Outline of the Cultural Situation in the Peninsula at the Time of Muhammad», dans The Qurɛān in Context.Historical and Literary Investigations into the Qurɛānic Milieu, edited by Angelika Neuwirth, Nicolai Sinai, and Michael Marx, Leyde, Brill, 2010,p. 61-114
  7. M. Amir-Moezzi, G. Dye, "Introduction générale", Le Coran des historiens, t. 1, 2019, p.21-33.
  8. a et b Robert Hoyland, Early Islam as a Late Antique Religion dans The Oxford Handbook of Late Antiquity, 2012.
  9. Azaiez, M. (Ed.), Reynolds, G. (Ed.), Tesei, T. (Ed.), et al. (2016). The Qur'an Seminar Commentary / Le Qur'an Seminar. A Collaborative Study of 50 Qur'anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. Berlin, Boston: De Gruyter., partie Research Statements- Cuypers
  10. Boisliveau, Le Coran par lui-même, 2014, p. 389.
  11. (de) Mehdi Azaiez, Le contre-discours coranique, Walter de Gruyter GmbH & Co KG, , 363 p. (ISBN 978-3-11-041916-0, lire en ligne)
  12. « Une apocalypse coranique », sur www.peeters-leuven.be (consulté le )
  13. Azaiez, M. (Ed.), Reynolds, G. (Ed.), Tesei, T. (Ed.), et al. (2016). The Qur'an Seminar Commentary / Le Qur'an Seminar. A Collaborative Study of 50 Qur'anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. Berlin, Boston: De Gruyter., partie Research Statements- Reynolds.
  14. Catherine Pennacchio, Les emprunts lexicaux dans le Coran, Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, p. 31, 22, 2011, mis en ligne le 01 avril 2012, Consulté le 26 mai 2017. URL : http://bcrfj.revues.org/6620
  15. C. Gilliot, "Étymologie et monoprophétisme: Réflexions sur les ḥanīfs du Coran entre mythe et histoire". Islam at 250, Brill, Boston, 2020.
  16. François Déroche, « La calligraphie dans le monde musulman », dans Contemporary Philosophy: A New Survey, Springer Science & Business Media, , p. 142
  17. a b et c Eleonore Cellard, "Les manuscrits coraniques anciens", Le Coran des historiens, t.1, 2019, p. 665-701
  18. Fr. Déroche, "Conclusions", La transmission écrite du Coran dans les débuts de l'islam, 2009, p. 161 et suiv.
  19. Fr. Déroche, "Conclusion", Quran of the umayyads, Brill, 2014, p. 135 et suiv.
  20. a b et c Claude Gilliot, « Le Coran, production littéraire de l’Antiquité tardive ou Mahomet interprète dans le “lectionnaire arabe” de La Mecque », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 129,‎ , p. 31–56 (ISSN 0997-1327, DOI 10.4000/remmm.7054, lire en ligne, consulté le )
  21. Claude Gilliot, « Des indices d’un proto-lectionnaire dans le « lectionnaire arabe » dit Coran », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 155, no 1,‎ , p. 455–472 (DOI 10.3406/crai.2011.93159, lire en ligne, consulté le )
  22. Gabriel Said Reynolds, «The Qurɛānic Sarah as Prototype of Mary», dans The Bible in Arab Christianity, edited by David Thomas, Leyde, Brill, 2007, p. 193-206.
  23. G. Dye, « Le Coran et son contexte : remarque sur un ouvrage récent », in Oriens Christianus, n°95, 2011, p. 247-270.
  24. M. Azaiez (Ed.), G.S. Reynolds (Ed.), T. Tesei (Ed.), et al. (2016). The Qur'an Seminar Commentary / Le Qur'an Seminar. A Collaborative Study of 50 Qur'anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. Berlin, Boston: De Gruyter., passage QS 18 Q 17:22–39
  25. A. Neuwirth, "Le Coran – Un texte de l’Antiquité tardive", Le Coran, Nouvelles approches, Paris, CNRS Editions, 2013.
  26. A. Neuwirth, The Qur’an and Late Antiquity : A Shared Heritage, Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 47.
  27. M. Debié, "Les apocalypses syriaques", Le Coran des Historiens, 2019, p. 541-586.
  28. D. Stewart, "Reflections on the State of the Art in Western Qurʾanic Studies", Islam and its past : Jahiliyya, late antiquity, and the Qur'an, Oxford University Press, 2017.