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Utilisateur:Champeaux/Evolution et Conscience

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Science, évolution et conscience[modifier | modifier le code]

Jusqu’au Siècle des Lumières (1715-1799), Dieu, l’Univers et la place qu’y occupe l’Homme étaient des questions essentiellement réglées par l’Église, ses dogmes et la Bible. L’évolution au sens moderne du terme n’existait pas : on avait Dieu, la « Création » en sept jours, Adam et Ève ; soit une sorte de bocal contenant l’Univers et son chef-d’œuvre, l’Homme, dont l’âme s’échappait au moment de la mort pour rejoindre d’autre lieux –le Paradis, le Purgatoire, l’Enfer.

Isaac Newton (découvreur de la gravitation universelle), Descartes (qui imposa l’idée de raison dont découle la rationalité, ainsi que sa vision de l’animal-machine), Galilée et Francis Bacon (qui formulèrent les principes de l’expérimentation scientifique –reproductibilité etc.) ont balayé cette vision des choses, à une époque qui était mûre pour ce changement : elle avait des comptes à régler avec une Église qui, depuis des siècles, monopolisait les questions spirituelles, intellectuelles, artistiques et scientifiques, et qui s’était largement immiscée dans le temporel par sa richesse et ses liens avec le pouvoir. Ils ont introduit une vision mécaniste du monde, décrit comme une gigantesque horlogerie faite de matière –et uniquement de matière– dont l’addition des constituants pouvaient expliquer le tout.

De son côté, l’Église n’avait plus grand-chose à opposer : les savants faisaient des découvertes en astronomie, en physique, en chimie, en géologie etc. et produisaient petit à petit un corpus cohérent. Dès lors, l’Église et une majorité de chrétiens ont adopté une position « dualiste », reconnaissant un domaine matériel fondamentalement séparé du Divin qui, lui, serait transcendant. Ainsi selon les deux points de vue, matérialiste comme chrétien dualiste, le monde matériel serait régi par des lois matérielles que seule la science pourrait découvrir et expliquer. Exit donc la notion d’esprit, d’âme ou de conscience, ou bien vers le néant du surnaturel, des mythes, des croyances et des superstitions pour les matérialistes, ou bien vers le transcendantal pour les chrétiens.

Ici se situe la science moderne : matérialisme philosophique qui exclut la notion même d’esprit ; réductionnisme qui fait du vivant la somme d’organismes et de cellules fonctionnant strictement selon les lois mécaniques de la physique et de la chimie ; réductionnisme toujours, qui fait se diviser et se spécialiser la science en un nombre toujours plus important d’objets d’étude, eux-mêmes toujours plus distincts et séparés (et qui justifie par exemple que la médecine ne s’intéresse qu’au corps y inclus le cerveau, alors que psychologie et psychanalyse ne s’intéressent qu’au psychisme –dont l’essence est paradoxalement toujours inconnue...) ; déterminisme des Lois universelles qui privilégie toujours la causalité et nie le principe de libre-arbitre ; rationalisme positiviste qui impose de ne considérer que ce qui est objectif, observable, mesurable et reproductible, i.e. un monde quantitatif, un univers-machine… Avec un bémol toutefois : dans le domaine de la physique quantique, une vision moins mécaniste s’est imposée dès le début du XXème siècle.

Aujourd’hui plus que jamais, la biologie moléculaire n’explique le vivant qu’exclusivement par la génétique (i.e. l’ADN et le code génétique sensés contenir notre passé et notre avenir)³. De même les neurosciences expliquent-elle la conscience (i.e., dans cette acception, le psychisme et l’intelligence) par le cerveau et les mécanismes électrochimiques de ses neurones, qui la contiennent⁴. La vie, la pensée, ne seraient donc que des états un peu sophistiqués de la matière, assemblage de fonctions contenues dans le corps. Et partout fleurit la métaphore mécanique : acides aminés « briques de la vie », enzymes « machines-outils », « usines » cellulaires, « programme » génétique, « circuits » neuronaux, cerveau « ordinateur », « biotechnologies » etc.

Paradoxalement, la science a fini par acquérir en Occident la dimension d’une religion, en tant qu’elle est capable d’expliquer l’existant dans sa totalité et sous tous ses aspects, tout en s’appuyant sur une technologie qu’elle a engendrée et qui a pour vocation de copier, améliorer et dépasser la Nature : religions traditionnelles, philosophie ou métaphysique n’ont plus aujourd’hui le pouvoir qu’a acquis la science d’édicter des règles morales et de dicter sa conduite à la société au nom de la raison, de l’objectivité et du progrès⁵.

Dans le même mouvement, l’Occident moderne en est arrivé à rejeter la mort, considérée comme la fin du corps-machine mais aussi comme l’échec de la science à prolonger la Vie. Et comme d’autre part elle ne signifie plus le passage de l’âme vers un autre état, la mort terrorise, désormais. Il est pourtant paradoxal que l’on retienne comme principal indicateur de l’émergence de la conscience chez Homo Sapiens, il y a 35000 ans environ, le fait qu’il ait donné une sépulture à ses défunts, alors que l’Occident moderne est la seule civilisation depuis cette époque à ne pas croire en l’unité de l’Univers ni au caractère immortel de l’âme⁶.

On comprend mieux, à la lumière de ce qui précède, le contexte dans lequel Lamarck, Wallace puis Darwin ont découvert au XIXème siècle la notion fondamentale d’évolution des espèces vivantes, qui mit un terme définitif à celle de génération spontanée. Mais pour que cela arrive, il fallut que des géologues ouvrent la marche avec la découverte des couches sédimentaires et des fossiles, qui menèrent à revoir constamment à la hausse l’âge de la Terre et à introduire progressivement l’idée que les espèces apparaissaient et disparaissaient au fil des âges, et qu’elles découlaient toutes les unes des autres.

Et c’est le contexte matérialiste décrit ci-dessus qui explique la dérive qu’a très vite subi ensuite la théorie de l’évolution : puisque Dieu n’existait pas –et, pour la plupart des scientifiques, pris dans une relation de type névrotique avec le passé ecclésial, il fallait qu’il n’existât pas– il était nécessaire de trouver un « moteur » de remplacement. Ce sera donc le hasard d’une mutation génétique survenue chez un individu (et un seul !) qui expliquera l’apparition d’une nouvelle espèce et son évolution ultérieure. Pour que cela puisse se passer, il faudra que cette mutation génétique confère un avantage à l’individu en question, dans un contexte de compétition féroce ("struggle for life") entre espèces mais aussi entre membres d’une même espèce ; cet avantage permettra à l’individu en question de se reproduire avantageusement –comme étant « le plus apte »– et de créer une lignée qui remplacera graduellement celle de ses cousins non mutants –processus que Darwin appela la sélection naturelle.


Nous tenons à bien distinguer ici les deux notions, tout à fait distinctes, et pourtant souvent confondues sous le terme unique d’ « évolutionnisme » :

. Lamarck, Wallace et Darwin ont exposé le principe selon lequel les espèces avaient évolué dans le temps et procédaient les une des autres : l’évolution ;

. Darwin a théorisé ce principe en l’expliquant par la sélection naturelle ; c’est à cette théorie que se réfère le néodarwinisme actuel.


Un dogme était né, basé sur un parti pris idéologique (un acte de foi laïque ?) qui est venu en remplacer un autre. Citons ici pour illustration Richard Dawkins, l’un des papes du néodarwinisme contemporain :

En dépit des apparences, le seul horloger de la nature, ce sont les forces aveugles de la physique, même si elles se déploient d’une manière tout à fait particulière. Un véritable horloger anticipe ce qu’il va faire : il dessine ses engrenages et ses ressorts et prévoit la manière dont il va les assembler en vue d’un certain but qu’il s’est fixé. La sélection naturelle, le processus aveugle, inconscient, automatique, découvert par Darwin, et dont nous savons aujourd’hui qu’il explique l’existence de la vie et son apparence d’avoir été conçue dans un but précis, n’a pas de but précis en tête. Elle n’a pas d’esprit, et elle n’a pas « d’œil de l’esprit ». Elle ne prévoit pas le futur. Elle n’a pas une vision, un pouvoir d’anticipation ; elle ne peut rien voir. Si l’on peut dire qu’elle joue le rôle de l’horloger, alors c’est un horloger aveugle.

Le dogme néodarwinien justifie le point de vue selon lequel l’Homme se situe au sommet de l’évolution biologique grâce à son caractère civilisé, sa culture et son génie⁸. L’extrême pointe de cette vision des choses (ou bien la marge extrême ?) se retrouve chez certains tenants du darwinisme social « à caractère réversif », comme Patrick Tort :

La sélection naturelle, principe directeur de l’évolution impliquant l’élimination des moins aptes dans la lutte pour la vie, sélectionne dans l’humanité une forme de vie sociale dont la marche vers la civilisation tend à exclure de plus en plus, à travers le jeu lié de la morale et des institutions, les comportements éliminatoires. En termes simplifiés, la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. [...] Dans l’effet réversif, la sélection à proprement parler ne se « renverse » pas en « son contraire ». Elle sélectionne des éléments (instinctuels, psychiques, intellectuels, éthiques, culturels et comportementaux) qui s’opposent à son fonctionnement primitif. Tout en changeant graduellement de « nature », la sélection naturelle ne devient pas strictement le contraire de ce qu’elle était, puisque son mécanisme (tri des variations avantageuses) est demeuré rigoureusement le même. Mais l’avantage sélectionné a changé progressivement de champ, en rendant par là même opérable la distinction des champs (la « culture » comme différente de – voire opposée à – la « nature »), et ce bien entendu sans rupture, puisque la sélection n’a jamais cessé un instant de s’exercer, ni cessé d’agir dans et sur une nature (l’Homme comme individualité biologique et instinctuelle socialisée) liée à la grande continuité de l’évolution phylétique par une chaîne nécessairement ininterrompue de descendance.

La certitude est aujourd’hui bien établie dans le monde de la recherche –et, derrière lui, dans le monde économique– que les prochaines étapes de l’évolution ne pourront passer que par la cybernétique et l’intelligence artificielle d’une part, et par les biotechnologies et les manipulations génétiques d’autre part¹⁰. Concernant ce dernier aspect, citons Francis Fukuyama :

Nous sommes peut-être sur le point d’entrer dans un avenir « post humain », dans lequel la technologie nous donnera la capacité progressive de modifier cette essence [humaine] avec le temps. […] Il se peut que […] le prochain stade de l’évolution soit celui où –comme certains l’ont suggéré– nous prendrons délibérément en main notre propre constitution biologique au lieu de l’abandonner aux forces aveugles de la sélection naturelle.¹¹

La plus extraordinaire conclusion du néodarwinisme est que, comme galaxies, étoiles, planètes et autres astres plus exotiques ne procèdent pas de la sélection naturelle, il ne peut pas y avoir de continuité entre astrophysique et biologie moléculaire, entre la matière inerte et le vivant : les phénomènes sont de nature et d’échelle différentes et n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Il est donc hérétique de considérer la vie comme l’étape suivante de la matière : seuls prévalent hasard et chaos.


. Pas d’évolution « par le haut » donc, vers plus de conscience et d’esprit, puisque ceux-ci n’existent pas, ne sont que des successions de réactions biochimiques dans le cerveau.

. Pas d’évolution biologique non plus, puisque l’homme a vaincu la nature et son environnement et qu’il n’a donc plus à attendre de « pression sélective » de ce côté-là.

. Pas d’origine cosmique de l’évolution enfin, puisque la matière inerte et le vivant ne sont pas liés et correspondent à des phénomènes de nature différente.


La messe est dite !

Mais alors, comment peut-on voir les choses si l’on sait l’existence de l’âme immortelle et qu’en même temps on accepte complètement l’idée d’une évolution des espèces ? Comment répondre à la question de la relation corps / conscience, à celle de la localisation de la conscience et de la mémoire, à celle des circonstances et du moment de l’apparition de la conscience chez l’Homme et donc à celle de la nature de l’évolution ? Comment prendre en compte, d’un point de vue qui ne soit pas exclusif, l’affirmation de Pierre Teilhard de Chardin selon laquelle «  l’évolution est, dans sa totalité, un mouvement de Conscience voilé de morphologie¹²  » ?

Comment en effet ne pas distinguer l’unité et la continuité du formidable processus qui a permis, depuis l’explosion énergétique du Big Bang il y a 13,7 milliards d’années jusqu'à nos jours, la formation de la matière au sein des galaxies, l’apparition de la vie, d’abord microbiotique, puis végétale et animale, et enfin l’émergence d’une conscience individualisée et auto-réfléchie chez l’Homme ? Tout ceci dans un foisonnement d’explorations, d’expérimentations, de diversifications, de spéciations (toujours rapides et non graduelles, sans laisser de trace, comme l’atteste le fait qu’on n’ait jamais découvert une seule forme fossile intermédiaire entre deux espèces successives¹³), tandis que symbiose, coopération, partenariat, ou au pire parasitisme, jouaient presque toujours un rôle plus important que la fameuse compétition darwinienne…

Et comment ne pas voir la tendance future se dessiner, montée de l’esprit dans la matière, évolution du vivant vers toujours plus de conscience ? Comment ne pas voir le sens de l’évolution ? Comment ne pas voir que la vie et la conscience sont indispensables et consubstantielles à la matière ?

Ce n’est pas à moi de faire ici le procès du néodarwinisme ni de la philosophie matérialiste. Mais clairement, ces théories n’apportent aucune réponse aux questions posées ci-dessus. On trouvera en revanche chez certains auteurs une critique construite de l’aspect infiniment réducteur et peu explicatif de la théorie néodarwinienne¹⁴. Et l’on voit se dessiner une nouvelle approche de la matière, de la vie et de la conscience, un nouveau paradigme¹⁵, chez un nombre croissant d’auteurs se situant encore à la marge du courant principal¹⁶.

On démontre en effet aujourd’hui que le hasard ne peut pas être à l’origine de l’apparition de la Vie, que l’apparition de nouvelles espèces –et donc de l’Homme– ne peut pas provenir de la sacro-sainte sélection naturelle. On s’aperçoit après son séquençage que l’ADN est en très grande partie commun à toutes les espèces vivantes, dont l’Homme, et que l’hérédité n’y est pas engrammée : ainsi le clonage d’un chat noir peut-il donner un chat blanc ; l’inclusion du gène de l’œil d’une souris chez une mouche donnera un œil supplémentaire à la mouche, mais un œil de mouche ; la mutation génétique récente chez la mouche de verger, lui permettant de résister au DDT, s’est propagée de façon quasi simultanée sur Terre, y compris chez les individus conservés dans les laboratoires de recherche et donc sans relation physique apparente avec l’extérieur etc. On prouve que l’intention précède toujours l’activité du cerveau et l’on explique les mécanismes quantiques mis en œuvre pour l’interaction conscience / cerveau. En revanche, le siège supposé de la conscience et de la mémoire est toujours introuvable dans le cerveau. On redécouvre la continuité de la conscience après la mort biologique grâce aux milliers de témoignages de ceux qui ont vécu une « expérience de mort imminente », NDE en anglais. On redécouvre au travers du chamanisme les liens cachés entre la nature dans son ensemble et la conscience. On continue d’explorer l’électromagnétisme et, à son niveau le plus accessible, la radiesthésie qui établit un pont entre matière et conscience grâce à l’intention. On distingue davantage de complexité à chaque fois que l’on progresse conceptuellement dans une discipline, ou que les outils de mesure s’affinent. Enfin, la physique quantique nous fait découvrir que la réalité n’existe que parce que nous la regardons, que les constituants fondamentaux des atomes ne sont pas seulement matière mais aussi énergie, et qu’ils demeurent reliés par un lien qui ne dépend pas de l’espace ni du temps.

Ce nouveau paradigme mène à une nouvelle vision du monde, à une nouvelle compréhension de la matière, de la vie, de la conscience, de la nature humaine et de leur place et rôle dans l’Univers. «  Enfin, la frontière entre science et spiritualité est abolie : le regard scientifique n’interdit plus l’hypothèse d’une transcendance. Mieux : désormais, dirait-on, toutes les sciences posent la question centrale d’un Sens qui échappe à la raison pure¹⁷  ». Autrement dit, les anciennes visions du monde, dualiste (esprit et matière étant irréductiblement séparés l’un de l’autre) ou matérialiste (il n’existe que la matière) sont en train de céder le pas à une vision du monde plus unifiée, où la conscience est au cœur de la matière –chacune représentant un aspect différent d’une même réalité– et participe au mouvement universel d’évolution.


(On objectera peut-être à tout ce qui précède que mon point de vue est bien occidentalo-centriste, et certes il l’est. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’Occident domine la Terre de toute la puissance de ses valeurs économiques, scientifiques, technologiques, médicales etc. depuis plusieurs siècles, et que cette domination elle-même s’inscrit dans une encore plus longue tradition d’expansion, de conquêtes et de colonisation. Alors aujourd’hui, spiritualités orientales, connaissance intime de la nature par les Indiens d’Amazonie, sagesse africaine, mathématiques et poésie arabes etc. ne représentent pas grand-chose face au marché et à la bourse, à la télévision ou aux technologies d’origine exclusivement occidentale. Ainsi, prêter son attention à l'Occident, son histoire et son avenir, c'est s'intéresser à l'histoire et à l'avenir de l'humanité dans son ensemble.)

Progrès, économie et énergie[modifier | modifier le code]

Élargissons maintenant notre point du vue pour évoquer une autre conséquence du Siècle des Lumières et des philosophies matérialistes positivistes qui en sont issues : l’importance accordée au Progrès et à la Modernité, synonymes de civilisation. Car c’est de là que découle en grande partie la primauté absolue accordée aujourd’hui dans le monde entier à la chose économique (i.e. commerce, industrie, finance) et aux valeurs qui lui sont liées (i.e. développement économique, efficacité, compétition etc.). Tout ceci justifie, et explique tout en même temps, la foi dans le fait que l’homme « civilisé » (i.e. occidental et moderne, par opposition à « sauvage ») ait le droit, voire l’obligation morale, de dominer la Nature et l’exploiter selon ses besoins. En corollaire, l’activité psychique de l’être humain est désormais tournée quasiment à temps plein vers les productions intellectuelles humaines (i.e. le fameux « mental ») et l’ensemble de leurs substrats. Matière seulement, matière partout, matière toujours...

L’historien Pierre Thuillier fait pourtant remonter aux XIème et XIIème siècles l’origine de la position centrale de l’économie en Europe, avec l’urbanisation et le développement conjoint d’une société marchande (les bourgs et les bourgeois) qui imposeront leur valeurs. Quant à l’attrait pour la technique, il remonte pour lui à une époque encore plus ancienne mais trouve plutôt son origine au sein de l’Église, dans les monastères¹⁸. En fait, technique et industrialisation d’une part, économie et intensification des échanges d’autre part seraient la conséquence du Grand Schisme d’Orient au XIème siècle, lorsque l’occident chrétien s’inscrivit dans l’action alors que l’orient chrétien, lui, choisissait la voie de la contemplation. Quant à la rupture du lien avec la nature, il découle essentiellement du monothéisme et, pour ce qui concerne l’Occident, de la négation progressive au cours des premiers siècles de notre ère du caractère animé (au sens premier du terme, i.e. porteur d’une âme) des règnes minéral, végétal et animal ainsi que des forces qui les meuvent. Tout ceci explique le mouvement absolument unique de l’Occident depuis plus de dix siècles¹⁹.

(Mais comme toujours, ce qui apparaît soudainement dans une décision politique, un événement particulier, un nouveau mouvement philosophique ou intellectuel etc. n’est généralement que la manifestation d’un changement plus ancien, indistinct et probablement se manifestant au plus profond des individus : Pierre Thuillier démontre comment c’est vrai pour le Siècle des Lumières, et l’on comprend aisément que l’opposition manifestée à l’occasion du Grand Schisme entre chrétiens d’Orient et d’Occident trouve ses racines plus loin encore dans le passé et l’héritage culturel de chaque partie. Toujours l’éternelle question de la poule ou de l’œuf...)

Progrès et modernité donc, allant de conserve avec la révérence du commerce et de l’industrie, ont assuré le succès de l’Occident grâce à leur efficacité. Pourtant nous arrivons à un moment de l’histoire de l’humanité où la poursuite du mouvement vers l’avant n’est plus possible, car la tendance devient exponentielle. Nous atteignons l’obligatoire «  temps du changement²⁰  ».


Commençons par évoquer un certain nombre de caractéristiques inquiétantes du monde contemporain : explosion démographique ; prolifération nucléaire ; raréfaction de l’eau ; foi de nos dirigeants en la croissance économique illimitée et dans le couple infernal production / consommation, pourtant générateur de gaspillages ; dépendance absolue envers des énergies minérales limitées (hydrocarbures, uranium...) et génératrices de rejets et pollutions proportionnels à ce qui précède ; financiarisation de la vie de l’entreprise et marchandisation de tous les secteurs de la vie sociale et privée ; urbanisation des modes de vie et industrialisation de la production agricole, et donc rupture du lien avec la nature ; accélération du temps, ou plutôt augmentation du nombre de tâches à accomplir dans un même temps et donc diminution du temps disponible ; formatage de l’éducation pour fournir toujours plus de managers, de cadres commerciaux ou financiers et d’ingénieurs ; dépendance de plus en plus importante des individus envers l’économie, d’où confusion entre les notions de bonheur et niveau de vie ; peur de la vieillesse et rejet de la mort, considérées comme autant d’échecs de la machine ; et au final, peur, stress, dépression, solitude, marginalisation, ghettoïsation, déculturation...

Cause ou effet, le phénomène de la mondialisation (i.e. fluidification et accélération exponentielle à l’échelle de la planète des flux humains, matériels, financiers et d’information) est au cœur du changement en cours. Selon le point de vue, cette mondialisation est perçue comme une chance pour l’humanité ou bien une conséquence désastreuse de l’ultralibéralisme.

On ne soulignera d’autre part jamais assez le rôle essentiel vis-à-vis de ce changement que joue l’informatique et sa mise en réseau à l’échelle mondiale : pas un système bancaire, pas une entreprise²¹, pas une administration, pas un média qui puisse aujourd’hui fonctionner sans système informatique en réseau. Seule cette mise en réseau a rendu possible l’ouverture économique du monde au sein de vastes zones de libre-échange (ALENA, Union Européenne etc.) et la mise en place de structures organisationnelles de type Organisation Mondiale du Commerce.

En parallèle, Internet est en train de produire une accélération, en termes de diffusion d’idées et de points de vue, encore difficilement imaginable –et qui échappe probablement aux intentions initiales de ses promoteurs économiques. Cela aura certainement à l’échelle de la planète un impact comparable à celui de « l’invention » de l’écriture ou de la découverte de l’imprimerie. Groupes de pression ou d’opinion, ONG, organisations, associations, groupements en tous genres, auteurs, artistes et vrais cinglés etc. publient leur opinion, leur information en direct. On trouve maintenant des « cybercafés » dans toutes les villes et villages du monde entier (en Inde, au Maroc, au Burkina Faso etc.) que leurs jeunes habitants utilisent pour draguer, échanger des informations, faire du petit commerce, publier leur propre site Web, consulter les médias en ligne ou les sites d’information officiels ou officieux. Les contacts se font, les idées s’échangent...


Alors, où allons-nous ? Du strict point de vue de l’évolution tout d’abord, notre civilisation occidentale a peu de chances de s’en sortir telle qu’elle existe aujourd’hui : une civilisation qui s’est coupée de sa dimension spirituelle d’une part et de la nature d’autre part, ne peut pas se maintenir, elle porte en elle le germe de sa propre fin. En effet, la conscience pousse (aux deux sens du terme) toujours, et la nature, dont nous faisons intimement partie, ne peut que mettre en place des mécanismes d’autodéfense pour sauvegarder ses intérêts menacés –les deux aspects étant liés.

Les aspects exponentiels de l’économie que nous avons évoqués plus haut, eux, font plutôt craindre l’implosion à terme, si rien ne vient freiner l’emballement. Implosion au sens de trou noir, cet effondrement sur lui-même d’un astre hyper-massif en fin de vie, dû à sa propre masse et à sa propre gravité.

D’une façon plus concrète et spécifique, ce qui précède nous alerte sur la question de l’énergie. Le monde entier, grâce aux technologies occidentales, est gloutonnement énergivore, et les hydrocarbures en constituent la source essentielle mais, par définition, limitée ; or la croissance de la demande pour ceux-ci se fait exponentielle, dans le contexte de mondialisation que nous évoquions plus haut et en particulier depuis l’émergence économique de la Chine.

Pourtant, certaines sources prévoient le pic de production pour 2008 (ASPO, the Association for the Study of Peak Oil²²). Ce qui signifie que nous approchons du jour où, de façon absolument définitive, la quantité totale de pétrole qu’il sera possible d’extraire et raffiner quotidiennement déclinera. L’échec de l’invasion américaine de l’Irak et les incertitudes entourant la dévolution de la couronne en Arabie Saoudite²³ font craindre une survenue encore plus rapide de ce moment.

La « famine pétrolière » risque de bouleverser cette économie mondiale basée sur le pétrole sous toutes ses formes, à consommer directement sous forme de carburants, ou bien brûlé pour produire de l’électricité dans des centrales thermiques ou encore dérivé pour produire des matières plastiques. Que l’on pense au poids de l’industrie et des transports à la surface du globe pour comprendre ce qu’il risque d’advenir lorsque le pétrole se fera rare et cher... Des solutions techniques de remplacement existent peut-être déjà, mais aucun gouvernement n’a encore apparemment cherché à prévoir la période de tuilage entre le commencement de la fin du pétrole et « autre chose » ; l’activisme américain du côté du Moyen-Orient, ainsi que la politique en sous-main de l’Europe visant à terme à renforcer le nucléaire nous renforcent dans cette idée.

Paradoxalement en apparence, peut-être cette famine pétrolière représentera-t-elle une chance unique pour l’humanité, qui pourrait ainsi passer à l’étape suivante en remisant l’économie à sa juste place. En effet, pétrole rare et crise économique vont probablement contraindre le monde entier à rechercher de nouvelles sources d’énergie, souhaitons-le enfin illimitées et non polluantes²⁴. On peut espérer que le passage à celles-ci provoque en parallèle chez l’individu son passage à l’age adulte et son autonomisation vis-à-vis de la chose économique, une fois celle-ci effondrée sur elle-même.


Tout ceci peut paraître bien pessimiste. Mais qu’est-ce que la fin d’une civilisation, sinon le prélude d’un nouveau cycle évolutif ? Il n’y a là rien de grave en soi, il ne faut pas y voir seulement la catastrophe éventuelle -même si elle peut bien entendu s’accompagner d’une immense tristesse parmi ceux que frapperaient la mort de proches, la perte de biens ou tout simplement la disparition du connu. Non, considérant l’Univers, la Vie et l’Humanité comme un tout, un processus en marche, l’on ne doit alors voir dans la fin d’une civilisation que le simple effondrement d’une construction intellectuelle humaine correspondant à un espace et à un temps particuliers, fondée sur certaines perceptions et représentations du réel.

En revanche, la responsabilité de l’Homme est en cause si, dans son mouvement évolutif, il entraîne avec lui vers la chute l’ensemble de l’Humanité, la planète elle-même ainsi que son écosystème, ce qui apparaît bien comme une menace aujourd’hui. Bien entendu, qu’il subsiste une bactérie sur cette Terre (voire rien du tout ?) et l’évolution redémarrera, mais que de temps perdu, et surtout quelle faute si l’on sait l’aide que de nombreux maîtres ont tenté d’apporter à l’Homme dans sa marche vers le Divin et qui n’aurait alors pas été entendue !

Et puis, le scénario décrit ici n’est que l’un des possibles, et rien ne dit qu’il se produira en fait, non plus que ses effets seront aussi graves. Ne se focaliser que sur cet aspect-là des choses est même potentiellement dangereux, en ce que cela vient renforcer la probabilité de survenue de ce qui semble être annoncé : tout existe, y compris la parole et l’idée qui produisent des effets par elles-mêmes. Car tout est lié et interdépendant, matière, vie, pensée, conscience, Divin.

Non, ce qui précède propose également une vision fondamentalement optimiste du monde, avec la montée de toujours plus de conscience dans la matière, dans la vie, dans l’Homme, vers le Divin. Alors notre devoir et notre responsabilité sont de participer au réenchantement du monde plutôt que d’en souligner l’inverse, même si ce désenchantement a des causes bien réelles et qu’il semble progresser. Soyons conscient, considérons les risques -i.e. ne les éludons pas, de façon à pouvoir les contrer- mais engageons-nous !

Notes bibliographiques[modifier | modifier le code]

1. Cf. Rupert SHELDRAKE, «  Une Nouvelle Science de la Vie  ».

2. Selon la définition de David BOHM, «  les visions du monde sont des représentations générales de l’ordre cosmique et de la nature de la réalité en tant que totalité  » ; in «  La Danse de l’Esprit  ».

3. Cf. Jacques MONOD, «  Le Hasard et la Nécessité  ».

4. Cf. Jean-Pierre CHANGEUX, «  L’Homme Neuronal  ».

5. Cf. Pierre THUILLIER, «  La Grande Implosion  ».

6. À titre d’illustration, citons ici le directeur de publications et éditorialiste français Jean-François Kahn (et par ailleurs frère du généticien Axel Kahn) qui racontait à la radio à l’automne 2003 son voyage à Calcutta, au cours duquel il avait rencontré Mère Térésa : «  j’ai vu ce qu’elle y faisait, c’était admirable et parfaitement inutile : inutile, car elle assistait des gens qui étaient mourants, qu’elle allait chercher dans la rue pour les emmener dans son institution, et qu’elle accompagnait jusqu’à leur mort  » (sic).

7. Cf. Richard DAWKINS, «  L’Horloger Aveugle  ».

8. Cf. K.N. LALAND & I. COOLEN, «  La culture, autre moteur de l’évolution  », in La Recherche No 377 «  Le devenir de l’Homme : notre espèce continue-t-elle d’évoluer ?  ».

9. Cf. Patrick TORT, «  La Seconde Révolution Darwinienne. Biologie Évolutive et Théorie de la Civilisation  ».

10. Cf. G. STOCK, «  Vers l’humain génétiquement modifié  », in La Recherche No 377 «  Le devenir de l’Homme : notre espèce continue-t-elle à évoluer ?  ».

11. Cf. Francis FUKUYAMA, «  Le Grand Bouleversement  ».

12. Cf. Pierre TEILHARD DE CHARDIN «  Le Phénomène Humain  ».

13. Lorsque les savants du 19ème siècle ont compris et admis le principe d’une évolution des espèces vivantes (et de l’extinction de certaines), grâce en particulier aux fossiles qu’ils découvraient, ils ont commencé par imaginer que l’Homme descendait du singe, i.e. que le singe, tel qu’il existe aujourd’hui , était notre ancêtre ou plutôt qu’il était demeuré tel qu’à l’époque de la séparation entre nos deux espèces. Ils ont donc furieusement recherché des restes fossiles qui puissent « prendre place » en termes de caractères communs entre l’Homme et le singe, le fameux chaînon manquant. Or nous savons aujourd’hui, grâce à la découverte de nouveaux fossiles ainsi qu’aux techniques de datation et de génétique, que les singes actuels ont également évolué et que leurs formes actuelles en font nos cousins, et non pas nos ancêtres, pour utiliser l’analogie avec l’arbre généalogique. Et nous avons également découvert progressivement qu’un nombre important d’espèces apparentées à l’Homme (par exemple les australopithèques) étaient apparues après la séparation d’avec les ancêtres des singes actuels les plus proches de nous (i.e. les Panines, entre 6 et 7 millions d’années d’aujourd’hui). Comme ces espèces ont ensuite disparu, il a fallu un certain temps aux premiers paléontologues pour comprendre que les fossiles qu’ils trouvaient provenaient d’oncles et de tantes plutôt que d’ancêtres, toujours pour utiliser l’analogie avec l’arbre généalogique.

14. Par exemple, cf. Michael DENTON, «  L’Évolution, une Théorie en Crise  », ou encore Francis HITCHING, «  The Neck of the Giraffe, or Where Darwin Went Wrong  ».

15. «  Le mot paradigme, tel qu'on l'utilise désormais le plus fréquemment, a été défini par un éminent philosophe des sciences contemporain, Thomas Kuhn. Il désigne la façon d'interroger le réel, le principe organisateur de la science à une époque donnée. Pourquoi au Moyen Age était-on fasciné par les analogies entre l'œil et le soleil, tandis que quelques siècles plus tard, on sera surtout intéressé par les lois du mouvement des astres? Thomas Kuhn pense que la science avance par bonds dont chacun constitue un changement de paradigme.  » Jacques Dufresne, in l’Encyclopédie de l’Agora.

16. Par exemple Gérard AMSALLAM, David BOHM, Fritjof CAPRA, Anne DAMBRICOURT, Régis DUTHEIL, John C. ECCLES, Stanislav GROF, Stephan LUPASCO, Jeremy NARBY, Peter RUSSEL, Rupert SHELDRAKE, Michael TALBOT, Patrice van EERSEL, Anne-Marie VEXIAU etc.

17. Cf. Jean STAUNE, «  La science conduit-elle à la transcendance ?  ». http://www.nouvellescles.com/dossier/Science_Spi/Transe.htm

18. Dans un manuscrit de l’Université d’Utrecht figure une enluminure accompagnant un texte opposant bons et méchants. Dans chaque camp, un personnage affûte une épée ; mais dans le camp des victimes du Malin, on affûte l’arme « à l’ancienne », sur une vulgaire pierre à aiguiser, alors que chez les chrétiens on utilise une meule à manivelle -représentant la modernité et le progrès ! In Pierre Thuillier, op. cit.

19. Pierre THUILLIER, op. cit.

20. Expression empruntée au titre d’un ouvrage de Fritjof CAPRA.

21. Au sein de l’entreprise, chaque cadre prépare ses propres mémos, budgets et bilans sur son ordinateur personnel grâce à Microsoft Excel et Word ; ces informations sont expédiées instantanément à leurs destinataires par email, puis analysées et compilées dès réception. Ainsi l’information circule-t-elle horizontalement dans l’entreprise et verticalement vers l’extérieur. Ce processus engendre une accélération terrible de la prise de décision à tous les niveaux : il se passe à peine quinze jours entre la publication de ses résultats par la filiale d’un groupe et le retour sous forme d’instructions (et le plus souvent : «  produisez plus, réduisez vos coûts...  »), après un circuit via le siège du groupe, la holding, les analystes financiers et la bourse.

22. Cf. http://www.peakoil.net/; on peut en particulier y lire à la page http://www.peakoil.net/Newsletter/NL41/newsletter41.pdf la traduction en anglais de l’article écrit par l’ancien ministre français Yves COCHET, «  Vers une pétro-apocalypse  », paru dans le journal «  le Monde  » du 31 mars 2004.

23. Le Roi Fahd, malade, est maintenu en vie artificiellement depuis des années ; or sa succession promet d’être très difficile entre le clan des Fahd « progressistes » soutenus par les Américains et une tendance beaucoup plus fondamentaliste au sein de l’élite, assez proche des idées d’Al-Qaeda.

24. À ce sujet, cf. http://membres.lycos.fr/quanthomme/ et http://www.keelynet.com. Parmi les idées présentées, une seule a-t-elle une chance un jour de fonctionner ? Souhaitons-le.