Utilisateur:Aureliec/sandbox/Effet du témoin

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L’effet du témoin (appelé aussi “effet spectateur”) désigne un phénomène psychologique qui se réfère aux situations d'urgence dans lesquelles le comportement d’aide est inhibé par la présence d'autres personnes présentes sur le lieu. La probabilité de secourir une personne en détresse est plus élevée lorsque l’intervenant se trouve seul, que lorsqu’il se trouve en présence d’une ou de plusieurs personnes. En d’autres mots, plus le nombre de personnes qui assistent à une situation exigant un secours est important, plus les chances que l’un d’entre eux décide d’apporter son aide sont faibles. La probabilité d’aide est ainsi inversement proportionnelle au nombre de témoins présents[1].

Cet phénomène contre-intuitif s’explique principalement par l’idée d’une diffusion de la responsabilité qui se met en place à travers les personnes assistant à la même scène[2].

C'est le meurtre de Kitty Genovese qui fut le point départ des recherches portant sur l'effet du témoin. En 1968, John Darley et Bibb Latané ont démontré pour la première fois l'effet du témoin en laboratoire[3].

Dans un sens théorique et pratique, l’effet du témoin joue un rôle important pour comprendre les comportements d’aide. Alors que le fait d’apporter de l’aide à une personne en détresse constitue un comportement prosocial socialement valorisé et attendu[4], la présence d'autrui exerce un impact sur la perception et la réaction par rapport à la situation de secours de telle manière que les conduites d'aides se trouvent inhibées. L’effet spectateur est ainsi un facteur qui affecte le comportement pro-social. Les recherches scientifiques ont montré qu’il s’agit d’un effet psychologique robuste et stable qui apparaît tant dans les situations expérimentales que dans les situations réelles. Ainsi, des références sur l’effet spectateur, dont les connaissances sont à présents ancrées dans la conscience publique, peuvent être trouvées dans la plupart des manuels de la psychologie sociale[5].

Origine[modifier | modifier le code]

Le 13 mars 1964, Kitty Genovese fut violée et assassinée en pleine rue à New York dans un quartier résidentiel du Queens. Bien que ses cris de secours aient capté l’attention de 38 voisins habitants les immeubles alentours, personne n’a tenté de la secourir ou n’a appelé les secours, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Sur la question de leur non-intervention, les réponses des témoins furent simplement: “Je ne voulais pas être impliqué” ou “Je ne sais pas”[6].

Bien qu’un meurtre de ce genre n’ait rien de surprenant dans le quotidien américain, ce sont les circonstances du meurtre, fortement médiatisées à l’époque, qui ont attiré l’attention des citoyens américains. Ces derniers furent choqués par les réactions indifférentes des témoins pendant l’agression, et ceci a généré des controverses importantes aux Etats-Unis. Afin de comprendre les raisons de cette inaction des témoins, la société américaine évoquait les concepts d”aliénation", “apathie” et “déshumanisation” comme explication[3].

Toutefois, une analyse détaillée de la situation a amené deux psychologues sociaux, John Darley et Bibb Latané, à s’interroger sur les conditions psycho-sociales qui ont entraîné l’inaction de la part des témoins et à considérer d’autres facteurs entrant en jeu[3].

Les recherches en psychologie sociale[modifier | modifier le code]

Bien que de nombreuses études sur le comportement d’aide furent menées depuis les années 50, c’est l’affaire Kitty Genovese qui est considérée comme le point de départ des recherches sur l’effet du témoin, et l’expérience de Darley et Latané en 1968 est à l’origine des travaux fondamentaux de cette discipline[4]. Ces chercheurs ont entamés une série d'expériences qui ont permis de mettre en évidence un des effets les plus robustes et stables dans le domaine de la psychologie sociale.

Première expérience: Darley et Latané[modifier | modifier le code]

Non convaincus par les explication évoquées par la sphère publique à l'époque, Darley et Latané, après de longues raisonnements, ont mis en avant l'idée selon laquelle les témoins n’ont pas aidé parce qu'ils étaient justement conscients que d’autres personnes assistaient à la même situation[3].

Afin de tester cette hypothèse, ils ont placé des participants dans une cabine individuelle dans laquelle un système de communication a été mis en place. Les participants devaient ensuite prendre part à une discussion, au moyen d'un interphone interposé, avec d'autres participants se trouvant dans d'autres chambres séparées. Pour berner l'objectif réel de l'expérience, les chercheurs ont expliqué aux sujets que le but de la discussion consiste à mettre en évidence les problèmes personnels rencontrés par les collégien en milieu urbain.

Au cours de la discussion, l’un des participants, un compère, simulait une grave crise nerveuse, semblable à une crise d'épilepsie. Cette pseudo victime parlait d’abord calmement puis de plus en plus fort avant d’avancer des propos incohérent et de bafouiller. Pendant la crise, il était impossible au sujet de communiquer avec les autres intervenants ou de savoir si cette situation d’urgence est prise en main. En réalité, en dehors de la victime, tous les autres participants étaient également des complices, seul le participant entendait ainsi réellement la détresse de la victime.

La question cruciale pour les chercheurs consistait alors à savoir si le nombre des témoins présumés influencerait la rapidité du sujet à rapporter la situation d’urgence à l’expérimentateur, et surtout s'il intervenait ou non. Les auteurs vont ainsi s'intéresser à la réaction du participant durant cette situation d'urgence. Ce qui varie entre les expériences fut la taille du groupe, c'est-à-dire le nombre de personnes que le sujet pensait qu’il y avait dans le groupe de discussion présumé, à savoir deux (le participant et la victime), trois ou six personnes. Par ailleurs, les chercheurs faisaient également varier la nature du groupe: dans la première condition, la voix enregistrée était celle d’une femme, dans la seconde celle d’un homme, et dans la troisième un homme qui disait être étudiant travaillant occasionnellement dans un hôpital au service des urgences. Ainsi, en manipulant la nature du groupe ainsi que le nombre de spectateurs, le degré de responsabilité ressenti par le spectateur devrait changer.

Effectivement, les résultats montrent que lorsque le participant se trouvait dans la condition où il discutait seul avec la "victime", il intervenait dans 85% des cas alors que ce taux se situe à 62% quand un autre témoin est présent, et de 31% quand il pensait que 4 autres personnes étaient présentes. On s'aperçoit ainsi que la taille du groupe de témoins exerce un effet majeur sur la probabilité à ce que le sujet rapporte l’évènement d’urgence. Par contre, il n’y a eu aucun effet de la variation du groupe sur l’aide, les sujets agissent aussi rapidement lorsqu’ils pensent que le spectateur est une femme, un homme ou quelqu’un ayant une compétence médicale. Aussi, il n’y a pas de différence de genre entre les sujets.

Les résultats de cette étude furent conformes avec l'hypothèse de départ qui prédisait que plus il y a de témoins dans une situation d’urgence, moins il est probable que chaque spectateur vienne en aide à la victime, ou que cela se fera de manière plus lente. Par ailleurs, cette étude montre que la présence physique d'autres témoins n'est pas nécessaire pour que l'effet spectateur se met en oeuvre. Le simple fait qu’une personne pense que quelqu’un d’autre assiste à la crise d’épilepsie réduit largement les chances que l'individu décide d’apporter leur aide à la victime[1].

Autres expériences[modifier | modifier le code]

Après la première étude de 1968, Darley et Latané, ainsi que d'autres chercheurs, sont parvenus à reproduire l'effet spectateur dans de nombreux autres contextes.

Latané et Darley[7]ont par exemple reproduit l'effet du témoin lorsque des étudiants mâles se trouvaient dans une salle d'attente dans laquelle de la fumée s'infiltrait. Des étudiants universitaires étaient invités à prendre part à une discussion portant sur des problèmes rencontrés dans la vie universitaire. Alors qu'ils étaient en train de compléter un questionnaire préliminaire, de la fumée commençait s'infiltrer jusqu'à envahir complètement la salle. Durant cette expérience, les auteurs faisaient varier le nombre de personnes présentes dans la salle d'attente. Le participant était soit seul, soit en présence de deux autres personnes qu'il ne connaissait pas, soit en compagnie de deux personnes qui ignoraient complètement la fumée. En réalité, tous les témoins furent fictifs. Les résultats ont montré que les sujets rapportaient la situation à l'expérimentateur dans 75% des cas lorsqu'ils étaient seuls alors que les chiffres atteignent le seuil de 38% et de 10% lorsqu'il se trouvait en présence de deux autres témoins, respectivement avec deux autres témoins passifs. D'ailleurs, parmi les sujets qui n'ont pas réagi, certains étaient convaincus, de par la passivité des compères, que la situation ne présentait aucun danger.

Explication du phénomène[modifier | modifier le code]

Approche psycho-sociale[modifier | modifier le code]

Afin d’apporter une explication à l’effet du témoin, Darley et Latané[7]ont élaborée une théorie qui décompose tout d’abord les situations d’urgence en différentes séquences. Si une de ces étapes n’est pas accomplie, l’individu ne va pas intervenir. Selon ce modèle cognitif, pour qu’un individu décide d’intervenir et d’apporter de l’aide à une personne en détresse, il doit d’abord:

  1. Remarquer la situation;
  2. L’interpréter comme étant urgente ;
  3. Développer un sentiment de responsabilité personnelle à cet égard ;
  4. Croire posséder les compétences nécessaires pour être efficace ;
  5. Prendre la décision d’aller aider.

À chacune de ces étapes, la présence d’autres personnes exerce une influence importante sur la prise de décision individuelle qui déterminera si l’individu intervient ou pas. À cet égard, Latané et Darley[7]ont identifié trois processus psychologiques qui sont susceptibles d’entraver ce cheminement d’étapes qui mènent à la décision d’intervenir, et qui sont à l’origine de l’effet du témoin.

La diffusion de la responsabilité: Pourquoi moi plutôt qu’un autre?[modifier | modifier le code]

La diffusion de la responsabilité se réfère à la tendance à diviser la responsabilité personnelle par le nombre de témoins présents. Lorsqu’un individu se trouve seul face à une situation d’urgence, il est le seul à pouvoir apporter de l’aide, et la responsabilité d’intervenir ou non appartient à lui seul. Mais quand le nombre de personnes est important, sa part de responsabilité se trouve réduite car elle est partagé par chacun d'entre eux.

Par exemple, face à une personne qui s’écroule en pleine rue, il est fort probable qu'un passant se trouvant seul ira la secourir, car il est le seul à pouvoir apporter de l’aide et il se sentira responsable s’il n’intervient pas. Tandis que si d’autres personnes sont présentes, ce même passant estimera que ce n’est plus uniquement sa responsabilité, puisqu’il y a encore d’autres gens qui assistent à cette situation et qui peuvent intervenir.

Ainsi, face à une situation d’urgence, la présence d’autrui offre l’opportunité pour l’individu de transférer la responsabilité d’apporter de l’aide[5]. De cette manière, une réaction passive de la part des témoins est le résultat de cette diffusion de responsabilité. Ce processus n’implique ni la présence physique d’autrui ni la connaissance de sa réaction, il suffit simplement que l’individu ait conscience que d’autres personnes assistent à la même scène pour que la diffusion de la responsabilité s’opère, comme ce fut le cas du meurtre de Kitty Genovese[4]. C’est ce processus qui fut le plus développé et qui a fait l’objet de la plupart des recherches dans cette discipline[1].

L’appréhension de l’évaluation: De quoi vais-je avoir l’air si je me trompe?[modifier | modifier le code]

Ce deuxième processus mis en évidence désigne la crainte d’être évalué négativement quand l’individu décide d’intervenir dans une situation d’aide. Sachant qu’il est obervé, le sujet a peur de paraître ridicule en cas d’erreur ou s’il intervient de manière inadéquate, et il est par conséquent plus réticent à apporter de l’aide[5].

Reprenons le même exemple, face à une personne qui s’écroule en pleine rue, un passant pourrait erronément inférer qu’il s’agit d’une crise cardiaque et décider de la secourir seulement pour constater qu’elle a trébuché. Ce passant risquera de paraître ridicule devant d’autres passants en ayant exagéré la gravité de la situation, et cet événement pourrait inhiber sa conduite d’aide dans l’avenir.

D’ailleurs, cette peur d’évaluation négative est d’autant plus élevée que le nombre de témoins est important et constitue ainsi un facteur susceptible d’inhiber le comportement d’aide lorsque d’autres témoins sont présents[1]. Ce processus se met en oeuvre quand l’individu est conscient qu’il est observé, mais n’implique pas que ce dernier voit les autres[4].

L’influence sociale: Que font les autres?[modifier | modifier le code]

Le processus de l’influence sociale désigne la tendance à se référer à la réactions d’autres personnes lorsqu’on se trouve face à une situation ambïgue[5]. Autrement dit, quand un individu, placé face à une situation, qui, faute de moyens objectifs, n’est pas certain s’il s’agit d’une urgence ou non, essaiera tout d’abord de vérifier s’il a bien compris la situation en surveillant la réaction des autres; ces derniers apparaîtront alors comme une sorte de modèle d’action[4]. Ainsi, avant d’intervenir, l’individu va d’abord vérifier l’exactitude de son interprétation de la situation. Or, si tous les témoins adoptent la même stratégie, il en découle dans un premier temps que les personnes vont tous s’observer mutuellement sans agir. Comme personne agira pendant ce temps d’observation mutuelle, étant donné que les autres font la même chose, tout le monde a tendance à conclure de l'inaction des autres que personne ne pense que de l'aide soit nécessaire. Ainsi, les individus pourraient interpréter la situation comme moins urgente qu’elle ne l’est en réalité et décider de ne pas intervenir[1].

Considérons, par exemple, à nouveau le cas où les témoins font face à une personne qui s’écroule en pleine rue. Ne sachant pas s’il s’agit d’une situation où la personne écroulée nécessite de l’aide ou non, les témoins vont tous observer la réaction des autres pour déterminer la gravité de la situation. Pendant cette observation mutuelle découlera une inhibition mutuelle qui amène à ce que personne n’intervienne. Ainsi, si les autres personnes présentes restent passives, l’individu va rester passif également et l'éventuelle réaction de l'individu va se trouver inhibée.

En conséquent, ce processus d’influence sociale va inhiber mutuellement le comportement d’aide des personnes présentes. On parle alors d’ignorance plurielle qui peut entraîner, soit un délai plus long en ce qui concerne l’apparition d’un comportement d’aide, soit une absence totale d’intervention dans le cas extrème. Pour que ce processus entre en vigueur, il faut que les personnes présentes aient la possibilité de connaître la réaction des autres[1].

Approche évolutionniste[modifier | modifier le code]

Limites[modifier | modifier le code]

Bien que l’effet spectateur constitue un phénomène psychologique robuste et stable qui a pu être répliqué de nombreuses fois, il n’est cependant pas exempt de contre-exemples. Alors que le paradigme classique sur l’effet du témoin considérait la présence d’autrui comme un facteur négatif dans les conduites d’aide, des travaux récents ont montré que ceci n’est pas toujours le cas. En d’autres mots, il existe des situations dans lesquelles la présence d’autres personnes facilitent l’emergence des conduites d’aide[5].

Prenons, comme exemple, le cas à Munich en 2001 où un jeune homme de nationalité turque a secouru un grecque, lorsque ce dernier fut poursuivi et frappé par un groupe de Skinhead. Le jeune homme a risqué sa vie pour apporter de l’aide à la victime, et ceci en dépit de la présence d’autres témoins.

Il serait donc erroné de conclure que l’effet du témoin se met en oeuvre de manière universelle dans chaque situation d’urgence où des témoins sont présents. Cette variabilité de l’effet du spectateur a amené de nombreux chercheurs à analyser de plus près des situations qui peuvent réduire ou même inverser ce phénomène d’inhibition. À cet égard, un certain nombre de recherches a pu mettre en évidence plusieurs facteurs permettant de modérer cet effet.

Importance du danger[modifier | modifier le code]

Une étude récente[8] a réussi à éviter l’emergence de l’effet du témoin en manipulant l’importance du danger encouru par une victime dans une situation d’urgence.

Dans l’expérience, les participants visionnaient, soit seul soit en présence d’un témoin passif, une scène vidéo dans laquelle une femme se faisait agresser sexuellement par un homme. L’importance du danger fut manipulé en variant le statut de l’agresseur. Les resultats montrent que lorsque la femme fut harcelée par un agresseur de stature imposante, elle recevait autant d’aide quand les participants étaient seuls que quand il se trouvaient en présence d’autrui. Alors que si le danger était moindre - s’il s’agissait d’un homme petit et faible - les témoins seuls venaient plus au secours que l’autre groupe, victime de l’effet spectateur.

Ainsi, face à une situation d’urgence qui ne présente pas d’ambiguité, l’effet du témoin n’apparait pas. Comme la situation s’avère claire quant au danger encouru par la victime, les témoins n’ont pas besoin de se référer aux réactions d’autrui pour déterminer la réponse adaptée, ce qui évite l’effet spectateur[1].

Selon Fisher et al.[5], cet effet positif de l’effet spectateur s’explique par trois processus:

L'état alerte[modifier | modifier le code]

Des situations d’urgence dont le danger est important sont reconnues plus rapidement et présentent moins d’ambiguité quant à la nécessité d’intervenir, et entraîne par conséquent une responsabilité individuelle et un coût psychologique plus élevés en cas d’inaction. En effet, une situation dangereuse attire l’attention des témoins et active par ainsi un état d’alerte (arousal) auprès de ces derniers, en fonction de la détresse de la victime, et qui ne sera réduit que quand ils apportent du secours à la victime. Par conséquent, faire l’expérience d’une activation physiologique augmente les chances d’une intervention, et ceci en dépit de la présence d’autrui.

Les témoins comme source d’un soutien physique[modifier | modifier le code]

Dans une situation d’urgence, l’auteur des faits représente un danger non seulement pour la victime, mais aussi pour l’intervenant. Ce dernier pourrait ainsi avoir peur des conséquences physiques néfastes s’il décide d’intervenir. Dans ce cas, la présence d’autres témoins pourraient s’avérer comme un soutien physique afin de réduire sa crainte et de se débarasser de l’agresseur, donc du danger. Par conséquent, la présence d’autrui représente une source de soutien physique dans le comportement d’aide et peut ainsi favoriser la prise de décision de l’individu à apporter de l’aide dans des situations d’urgence dangereuses.

L’hypothèse du choix rationnel[modifier | modifier le code]

Selon l’hypothèse du choix rationnel, la décision de venir en aide à une personne en détresse dépend du coût de l’intervention, du bénéfice que pourrait apporter l’intervention ainsi que la perception sur la probabilité que d’autres témoins vont intervenir. Bien qu’une intervention dont le coût est élevé inhibe en général les conduites d’aides d’un individu, la présence d’autrui pourrait renverser cette tendance. En effet, certaines situations d’urgences peuvent s’avérer tellement dangereuses qu’elles ne peuvent être résolues par l’individu seul. Dans ces cas, une coordination et une coopération adéquates entre plusieurs personnes sont nécessaires pour résoudre le danger. Par conséquent, l’attente que les autres témoins vont intervenir, puisque la situation est dangereuse, va avoir un effet positif sur le comportement d’aide.


La mise en oeuvre des deux premiers processus dépendent de la perception du danger : si la situation ne représente qu’un danger pour la victime, une diffusion de responsabilité s’opère en cas de présence d’autrui, alors que si le danger concerne aussi le témoin, l’effet du témoin sera moindre. Autrement dit, si le témoin perçoit une menace potentielle pour lui-même en cas d’intervention, il va chercher d’autres témoins qui l’aident à intervenir (e.g. pour maîtriser un agresseur), ce qui va diminuer la diffusion de la responsabilité et ainsi l’effet spectateur. Dans le cas où la situation représente uniquement un danger pour la victime (e.g. une personne en train de se noyer), une intervention solitaire est plus approprié qu’une intervention en groupe qui va favoriser l’apparition d’une diffusion de la responsabilité. Par ailleurs, les auteurs ont montré que l’effet du témoin dans des situations dangereuses est plus élevé quand les témoins étaient des femmes. Cela s’explique notamment par la différence au niveau de la force physique, nécessaire pour intervenir dans une situation menaçante.

Implication personnelle[modifier | modifier le code]

Tout comme la plupart des comportements sociaux inter-individuels, le contrôle social est inhibé par de nombreux facteurs environnementaux ou sociaux. Chekroun et Brauer (2002) ont montré que l'un de ces facteurs est la présence d'autrui. Toutefois, ces auteurs ont constaté que lorsqu’ils sont confrontés à un comportement contre-normatif plus impliquant, les participants ne sont plus affectés par l'effet spectateur. Autrement dit, “si l'effet spectateur apparaît bien dans le cadre du contrôle social lorsque les individus ne sont pas impliqués dans ce qui arrive, dès lors qu'ils se sentent impliqués plus fortement dans la situation, la prise de décision d'intervenir n'est plus inhibée par les autres témoins” (p. 99) Aussi, l'implication personnelle des individus dans la situation est plus forte lorsque le sujet déviant est seul que lorsqu'il est accompagné d'une personne.

Cela montre que l'implication personnelle a donc un rôle dans l'exercice de contrôle social et notamment dans l'apparition de l'effet spectateur en présence d'autrui (Chekroun et Brauer, 2002).

Certains auteurs comme Piliavin, Rodin et Piliavin (1969), envisagent la prise de décision (dans le fait d’apporter son aide à autrui ou pas), en terme de rapport gain/coût de l'intervention. “Par exemple si quelqu'un passe devant eux dans une file d'attente ou détériore un bien auquel ils attachent de l'importance, l'intervention et l'attribution d'une sanction sociale négative vont être la source d'un gain personnel. Ce bénéfice personnel dans la prise de décision d'intervenir va leur donner les moyens cognitifs de passer outre les attentes négatives liées à la présence d'autrui en termes de coût de l'intervention. Ainsi, ces individus seront moins facilement sujets à l'effet spectateur.”

En bref, au vu des études de Chekroun et Brauer (2002) , il semble que si l'effet spectateur est présent lorsque le sentiment de responsabilité des témoins est peu mobilisé, il n'apparaît pas lorsque ce sentiment est plus fort (si les témoins d'un acte déviant sont directement concernés par les conséquences négatives de cet acte, s’ils attachent une importance particulière à la norme menacée par cet acte, ou encore s’ils se perçoivent comme responsables d'intervenir). Les individus sont, à ce moment là, capables de passer à côté de l'influence de la présence d'autrui et d'intervenir en exerçant un contrôle social malgré un nombre croissant de témoins.

Cette étude conforte l’idée que l'effet spectateur pouvait être influencé par le fait que les témoins d'un acte déviant se sentent impliqués personnellement dans la situation. En fait cela confirme “l'influence modulatrice de l'implication personnelle sur l'effet spectateur dans le domaine du contrôle social”.

Avoir la foi ou avoir le temps?[modifier | modifier le code]

John Darley et Daniel Batson, inspirés par et en s'appuyant sur la parabole du Bon Samaritain, ont tenté d'analyser l'influence des valeurs religieuses sur le comportement d'aide[9]. Il est facilement pensable que le facteur “avoir la foi” ait des répercussions positives sur les conduites d'aides.

Dans cette expérience, des étudiants en théologie, aux valeurs et idéaux évangéliques, participent à un séminaire dans lequel ils sont amenés à écouter un texte portant soit sur la vocation des prêtres, soit sur la parabole du bon samaritain. Ensuite, les étudiants sont convoqués à se rendre dans un autre bâtiment durant lequel les expérimentateurs variaient le temps dont les sujets disposent pour ce déplacement. Dans la première condition, ils peuvent prendre leur temps pour se rendre à l'endroit indiqué et dans les deux autres ils doivent y aller soit rapidement, soit très rapidement. Sur le chemin qui rejoint l’autre bâtiment se trouve une victime, en réalité un complice, repliée sur elle-même et qui paraît ne pas se sentir bien. Le passage obligé des étudiants par la victime permettait à cette dernière d'évaluer leur comportement d’aide, notamment jusqu’à quel point ils aidaient ou pas. Les résultats ont montré que l’intensité de la foi et la vision que l’on a de la religion ne prédisent en rien l’aide à la victime. En effet, la parabole qui devait amorcer leur comportement d'aide n'a eu que peu d'effets. Par contre, le facteur temps a eu un effet positif sur la décision d'intervenir. Effectivement, les sujets venaient plus en aide lorsqu’ils disposaient du temps nécessaire que lorsqu’ils étaient pressés.

Cette expérience sous-entend que ce qui diffère entre ceux qui aident et ceux qui n'aident pas est bien plus lié aux facteurs situationnels qu’à leur personnalité, c'est-à-dire dans ce cas leur vertu religieux.

Connaissance des autres témoins[modifier | modifier le code]

Connaître ou non les autres témoins, être proche ou non d’eux, aurait une influence sur le comportement d’aide. En effet, Latané et Rodin[10]ont montré que l’effet du témoin se trouve réduit quand le groupe de témoins était composé d’amis. Cela s’explique par le fait que lorsque le groupe de témoins présente une forte cohésion, les individus craindraient moins l’évaluation des autres, de par le fait qu’ils les connaissent, et seraient moins inhibés par la peur d'être ridiculisé. De plus, dans cette situation, la responsabilité d’intervenir ne serait plus divisée entre les personnes présentes, mais reposerait totalement sur l’ensemble du groupe. Les individus réagiraient alors en tant que groupe en apportant leur aide ensemble et non plus indépendamment les uns des autres[1].

Compétences des témoins[modifier | modifier le code]

Selon le métier que l’on exerce et selon le statut que l’on possède, il semblerait que l’effet du témoin varie. Une expérience a montré que dans une situation dans laquelle une personne se blessait en tombant d’un escabeau, des témoins étudiants de diverses filières agissaient conformément aux attentes de l’effet spectateur, à savoir en apportant moins d’aide lorsqu’ils étaient plus nombreux. Par contre, lorsque les témoins étaient des élèves infirmières, ils intervenaient de manière similaire et indépendamment du fait qu'ils étaient seuls ou en présence d’autres personnes. Selon Cramer, McMaster, Bartell et Dragna[11], leur formation infirmière les a rendu particulièrement compétents pour venir en aide, et cette conscience de leur compétence évitait ainsi qu’ils se partagent la responsabilité avec les autres témoins présents. Et en effet, les élèves infirmières se sentaient plus concernées pour aider un blessé que les autres étudiants[1]et comme nous l’avons vu plus haut, le sentiment d’implication personnelle suffit pour surmonter l’effet spectateur.

Lutte contre l'effet[modifier | modifier le code]

Exemples notables[modifier | modifier le code]

Kitty Genovese[modifier | modifier le code]

Noyade à Rotterdam[modifier | modifier le code]

En août 1993, une jeune fille marocaine âgée de 9 ans s'est noyée dans un lac proche de Rotterdam devant une foule de 200 personnes sans que ces dernières soient intervenues. Selon les faits, les témoins n'ont pas réagi sur les appels de secours lancés par une amie de la victime et n'ont pas jugé nécessaire de porter par la suite assistance aux pompiers qui ont tenté de sauver la victime. La non-assistance des témoins présents sur les lieux ont provoqué de vives émotions au Pays-Bas. Le fait que l'incident comprenait une victime d'origine marocaine a davantage accentué l'ampleur de cet événement. En effet, durant la noyade de la jeune fille, certains témoins ont tenu des propos racistes et se sont livrés à des réflexions déplacées à l'égard des immigrés[12]. Suite à cela, certains citoyens, dégoûtés par l'attitude et les comportements de leurs compatriotes, sont allés jusqu'à se demander si les témoins auraient demeuré aussi passifs si la victime était de couleur blanche[13].

Wang Yue[modifier | modifier le code]

En octobre 2011, Wang Yue, une petite fille de 2 ans, fut renversée par deux véhicules dans la province de Guangdong en Chine. Alors que le corps agonisant de la victime gisait au milieu d'un passage, 18 passants sont passés à côté d'elle, au cours des 6 minutes qui ont suivi l'accident, sans toutefois lui apporter la moindre aide. Ce n'est que grâce à une femme âgée qui traîna le corps de la fille hors du passage des véhicules et qui appela de l'aide que la victime a enfin pu être transporté à l'hôpital. Hospitalisée dans un état critique, Wang Yue décéda plus tard suite à ses blessures. Cette scène qui se déroulait sous l'oeil d'une caméra de surveillance montre l'irresponsabilité des chauffeurs qui ont pris la fuite, mais surtout l'indifférence absolue des passants à la vision du corps de la fillette. Cet incident fut un sujet très évoqué suite à la diffusion de ces images sur internet et attira presque 2 millions de réactions de la part des internautes. Cette apparente absence de morale dans la société chinoise a suscité de profonds mécontentements parmi les citoyens chinois qui accusent le développement rapide de l'économie chinoise[14][15].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h et i Chekroun P. (2008). Pourquoi les individus aident-ils moins autrui lorsqu’ils sont nombreux ?. Revue électronique de Psychologie Sociale, n°2, pp. 9-16.
  2. R. Manning, M. Levine, A. Collins, The Kitty Genovese murder and the social psychology of helping. The parable of 38 witnesses, American Psychological Association, 2007, 62 (6), 555-562
  3. a b c et d Darley, J. M. & Latané, B. (1968). "Bystander intervention in emergencies: Diffusion of responsibility". Journal of Personality and Social Psychology, 8, 377–383.
  4. a b c d et e Hogg, M.A. & Vaughan, G.M. (2008), Social psychology (Fith Edition). Pearsons Education Limited.
  5. a b c d e et f Fischer, P., Krueger, J.I., Greitemeyer, T., Vogrincic, C., Kastenmüller, A. & Frey, D. (2011). The bystander-effect: A meta-analytic review on bystander intervention in dangerous and non-dangerous emergencies. Psychological Bulletin, 37 (4), 517-537
  6. D. Decoin (2009), Est-ce ainsi que les femmes meurent
  7. a b et c Latané B. & Darley, J. (1970), The unresponsive bystander: Why doesn't he help?
  8. Fischer, P., Krueger, J.I., Greitemeyer, T., Vogrincic, C., Kastenmüller, A. & Frey, D. (2011). The bystander-effect: A meta-analytic review on bystander intervention in dangerous and non-dangerous emergencies. Psychological Bulletin, 37 (4), 517-537.
  9. Darley, J., & Batson, D. (1973). "From Jerusalem to Jericho": A study of situational and dispositional variables in helping behavior. Journal of Personality and Social Psychology, 27(1), 100-108.
  10. Latané, B., & Rodin, J. (1969). A lady in distress: Inhibiting effects on friends and strangers on bystander intervention. Journal of Experimental Social Psychology, 5, 189-202.
  11. Cramer, R. E., McMaster, R. M., Bartell, P. A., & Dragna, M. (1988). Subject competence and minimization of the bystander e€ffect. Journal of Applied Social Psychology 18, 13, 1133-1148.
  12. Metdepenningen, Marc, « Non-intervention: Un phénomène de groupe bien connu, Pays-Bas: Noyade classée "sans suite" », sur Le Soir, (consulté le ), p. 14
  13. Henley, Sarah, « As Bystanders Watch a Girl Drown, Image of Netherlands Suffers : Amsterdam: Hundreds stand by as a 9-year-old Moroccan child dies in a park pond. A disgusted nation wonders if someone would have saved her if she had been white. », sur Los Angeles Times, (consulté le )
  14. « La petite Wang Yue écrasée par deux camionnettes est décédée », sur Le Quotidien du Peuple en ligne, (consulté le )
  15. Foster, Peter, « Chinese toddler run over twice after being left on street », sur The Telegraph, (consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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Voir aussi[modifier | modifier le code]

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