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Utilisateur:AlekN/Jan Ludwik Popławski

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Jan Ludwik Popławski (1854-1908) Écrivain, journaliste politique et activiste social.


Jan Ludwik Popławski naît le 17 janvier 1854, à Bystrzejowice près de Lublin, dans une famille de la noblesse polonaise, arborant des aux armoiries Jastrzębiec. Il est le fils de Wiktor Popławski et de Ludwika, née Ponikowski. Le jeune Popławski grandit dans une atmosphère patriotique. Son éducation débute en 1866, dans l’un des « gymnasiums » (lycées) de Lublin. Au bout de trois ans, il est renvoyé de l’établissement par les autorités russes, pour s’être disputé avec un camarade, que tous considèrent comme un mouchard. La révocation est suivie d’une sanction, qui consiste à n’être admis dans aucune autre école et l’oblige à se préparer seul au baccalauréat, qu’il obtient comme externe en 1872.

    En 1873, il commence  des études en droit à l’Université de Varsovie, école supérieure totalement russifié. Durant ses études Popławski s’engage dans des activités conspirationnistes. Il appartient aux organisateurs clandestins du mouvement de jeunes appelés « L’Union des Fils de la Patrie », qui revendique ses racines dans les traditions liées à l’ancienne « Association Démocratique Polonaise », qui considère comme priorité, la préparation à une insurrection nationale, issue des trois territoires démembrés. C’est dans ce sens qu’elle entreprend une collaboration avec la « Confédération du peuple polonais » mouvement clandestin de Galicie.

    En 1878, la police russe tombe sur la trace des conspirateurs et réduit à néant l’organisation fondée par Popławski. Le 30 avril 1878, il est incarcéré, avec une dizaine des collaborateurs de « L’union des Fils de la Patrie », à la Citadelle de Varsovie. En 1879, les autorités russes le condamnent à la déportation en Sibérie dans le district de Wiat (actuellement Kirov). Une déportation est l’obligation de s’installer dans un  lieu dit, sans travail forcé. Elle ne durera que jusqu’à février 1882, car Popławski sera gracié. Il revient, en avril de la même année, à Varsovie.

    En 1883, il commence une carrière de rédacteur et publiciste de la presse politique et entreprend une collaboration avec le journal  « La Vérité » (pol: Prawda), hebdomadaire dirigé par Aleksander Świętochowski, éminent représentant du positivisme polonais. Popławski y publie ses commentaires sur les événements politiques et processus socio-économiques ayant lieu sur les terres polonaises démembrées. C’est de cette époque que date l’intérêt de Popławski pour l’analyse des transformations sociales se déroulant dans les milieux ruraux polonais, surtout après l’émancipation paysanne et les débuts fulgurants de l’industrialisation. Selon le rédacteur en chef de «La Vérité », Popławski fait preuve « d’un amour sincère du peuple et d’une foi fanatique dans sa puissance effective et potentielle ». En 1884, entre une seconde fois en conflit avec les autorités tsaristes. Accusé de collaborer avec le Parti socialiste « Prolétariat » (les contacts ont eu lieu avec les milieux estudiantins socialistes de l’Université de Varsovie), il est incarcéré dans la célèbre Citadelle de Varsovie. Il y purge une peine de trois mois.

    Le 15 juin 1884, il se marie avec Felicja Potocka. En septembre 1886, Popławski quitte l’équipe rédactionnelle de « La Vérité » et avec Józef Karol Potocki (son beau-frère), lui aussi sur le départ de la même rédaction de Swiętochowski, publie un nouvel hebdomadaire « La Voix » «(pol: Głos), qui durant les années à venir sera l’un des principaux organes de presse de l’intelligentsia « progressiste » du Royaume de Pologne, inaugurant ainsi l’activité de toute une lignée de personnalités appelées « les insoumis ». Parmi les rédacteurs et les auteurs rédigeant l’hebdomadaire, on va retrouver les noms des plus prestigieux représentants de cette génération, à savoir : Ludwik Krzywicki, Wacław Nałkowski, Józef Kotarbiński et Aleksander Więckowski.  C’est sur les pages de la « Voix », qu’en 1890 Roman Dmowski débute comme journaliste, dans un article intitulé « Une idée en déshérence ».

    C’est dans les pages de « La Voix », dans les années 1886-1894, que paraîtront les articles « populaires et patriotiques » de Popławski  (d’après T. Kulak). Son activité journalistique, Popławski la considère comme un devoir au service de la cause nationale. Il exprime son opinion dans le journal «Revue sociale » (pol : Przegląd Społeczny) de Galicie, édité par Bolesław Wysłouch, un pionnier du mouvement populaire, avec lequel il a autrefois collaboré dans l’hebdomadaire « La Vérité ». Il constate: « C’est presque uniquement dans le journalisme que se concentre l’activité politique de la nation ».

   L’aspect dit « populaire » de la pensée de Popławski, se cristallise conformément à   la politique générale de « La Voix », de même que les notions de modernité et de progrès. C’est là le fruit de l’atmosphère intellectuelle dans laquelle s’épanouit l’ensemble des rédacteurs de « La Voix » (Głos), portant l’empreinte des influences du positivisme. Pour ce qui est du terroir polonais, et plus concrètement du Royaume de Pologne, l’élément incontournable  de la rédaction est une approche critique envers « l’esprit de noblesse », c’est-à-dire de l’héritage culturel et social de l’ancienne République de Pologne, régie par un « univers de nobles » et considérée comme nation politique.

    C’est sous cet angle, qu’il faut percevoir dans les colonnes de « La Voix », la conception que présente Popławski, en démontrant l’existence sur les terres polonaises de « deux civilisations » - une populaire (paysanne) et l’autre formée par les nobles. Popławski écrit dans le troisième numéro de « La Voix », ce qui suit: « Deux civilisations, l’une face à l’autre, la culture des nobles et des paysans, les idéaux sociaux de la noblesse et ceux de la paysannerie, avec leurs idéaux politiques, coutumes et patriotisme ».  Dans cet article, Popławski constate que « le passé a fortement pétrifié la profonde cassure entre les couches supérieures de la société et la masse du peuple, entre l’intelligentsia et le peuple des campagnes, créant ainsi deux nations séparées: la noblesse et les paysans. La première, a fâcheusement dilapidé ses forces, la seconde a survécu jusqu’à nos jours, sans avoir agrandi ses réserves vitales, mais aussi sans grands dommages ». Une telle idée, exprimée sur les pages de « La Voix »,  valut à Popławski de la part de ses contemporains et observateurs critiques, le qualificatif de « maniaque de la paysannerie » (B. Prus), le désignant comme un homme qui s’inspire de la pensée nationale russe (Z. Balicki). On suspecte Popławski de radicalisme social, opinion renforcée par ses articles parus dans la presse, où il se prononce favorablement sur l’action des autorités russes, qui - après l’Insurrection de janvier (1863) -, ont procédé à un affranchissement de la paysannerie. Popławski s’inspirant d’une maxime écrit alors: « La terre devrait appartenir à ceux qui la cultive ».

    Il faut cependant souligner, que Popławski est fermement opposé à toute forme de radicalisme révolutionnaire voulant changer la situation de la propriété foncière en milieu rural. Il est pour des changements dans le cadre d’une évolution. Il ne considère pas l’affranchissement des paysans - dans le Royaume de Pologne sous tutelle russe - comme un acte révolutionnaire, puisque les autorités russes ont voulu ainsi enfoncer un pieu entre la noblesse polonaise et les paysans. Pour lui, c’est une manière de rendre la propriété plus accessible. Voici ce qu’il écrit en 1889, dans les colonnes de « La Voix »: « L’agrandissement de la petite propriété, c’est l’élévation du niveau de vie pour des centaines de milliers de familles, et ce n’est pas seulement l’affaire de ces gens, mais aussi de leur descendance, c’est assurer une vie décente pour un développement intellectuel et social ».

    Popławski saisit l’importance des changements sociaux dans les villes, liés à l’industrialisation du dernier quart du  XIXe siècle dans le Royaume de Pologne. Sur les pages de « La Voix », il dénonce maintes fois l’exploitation à outrance, que subissent les ouvriers polonais - issus pour la plupart des milieux ruraux - dans les usines de Łódź, du centre minier Dąbrowski ou de Varsovie. En 1888, il écrit : « Le développement de l’industrie a agrandit la richesse nationale, mais en même temps a contribué à une « dégénérescence physique et psychique de la population ». Le fait qu’une partie des industriels ne soient pas d’origine polonaise n’est pas sans importance. En décrivant, la condition des ouvriers polonais (1887) dans les usines de Łódź, appartenant à des propriétaires d’origine judéo-allemande (Schreiber, Heintzl, Poznański, et Geyer), Popławski constate que « l’ouvrier polonais doit oublier sa langue maternelle. À l’école primaire, on lui enseigne en allemand, à l’usine, les amis et les supérieurs lui parlent allemand, et pour ce qui est des loisirs et des actions caritatives, on y décèle une germanisation planifiée ».   

    Pour mieux apprécier les opinions « populistes » de Popławski, il faut prendre connaissance de sa définition de la notion de peuple. Dans ce contexte, elle est sujette à une évolution significative. Au début, Popławski identifie le peuple avec la paysannerie polonaise, qui sur les terres sous tutelle russe (dans les deux autres parties démembrées la question s’est posée plus tôt), traverse à la fin du XIXe siècle d’importants changements sociaux, provoqués d’une part par l’émancipation paysanne, et d’autre part causés par l’industrialisation du Royaume de Pologne, par des migrations rurales vers les villes. Mais après 1887, Popławski élargit sa conception du mot peuple, en lui conférant la valeur de « totalité des couches sociales travailleuses », ce qui signifie l’ensemble de ceux qui vivent de leur travail, aussi bien physique qu’intellectuel. Ainsi, l’intelligentsia qui grandit sur les terres polonaises devient elle aussi « peuple » (les couches de l’intelligentsia) et par ses origines sociales possède d’indéniables racines nobiliaires. En 1887, commentant cette question dans « La Voix », il prend l’exemple de sa propre personne: «  Je proviens de la plus simple paysannerie qui forme le peuple, sans pourtant être un propriétaire foncier. J’en suis personnellement, car le peuple ce n’est pas seulement ceux qui labourent la terre ou travaillent dans une usine, mais ceux aussi qui vivent uniquement du fruit de leur travail personnel. Le peuple, c’est simplement l’ensemble des classes laborieuses ».

    En tenant compte de la définition du terme peuple donnée par Popławski, on constate toutefois combien différente est la résonnance qu’il en donne dans un article publié dans « Le peuple et la Nation » (1888): «  L’un des préjugés sociaux les plus tenaces (…),  l’a priori le plus usité, est le constat que la cause nationale est plus importante que celle du peuple, car la seconde est incluse dans la première » . Le credo politique de Popławski est inverse: « Non par la nation vers le peuple, mais du peuple par la nation ». Il est important de constater que l’auteur ne traite le mot peuple que dans sa signification la plus restreinte, c’est-à-dire de paysans, qu’il n’idéalise point. Il considère le peuple comme « réserve de la nation » et de récipiendaire de forces vives » et considéré dans le sens biologique du terme (potentiel de croissance démographique). Popławski n’a pas remarqué dans son écrit « Deux civilisations », une « augmentation du potentiel vital » du monde rural, au sens culturel et identitaire. Dans ce contexte qu’il indique ainsi un grand devoir à accomplir par « le peuple », au sens large du terme, envers les hommes qui comme lui « proviennent de la paysannerie ».

    Que la notion de peuple soit comprise de cette manière ou autrement, elle doit être soumise à une communauté plus importante qu’est la nation. Popławski explique sur les pages de «La Voix » (1888),  que « le peuple est  un ensemble de toutes les couches sociales, liées par une même origine, traditions historiques communes et  liens politiques. (…) Le peuple comme tel, est un ensemble de classes laborieuses. Il semblerait donc que la notion de nation soit plus ample, qu’elle englobe en un tout la question du peuple ». Il faut aussi attirer l’attention sur le fait que Popławski considère la nation comme une communauté liée avant tout par des liens culturels et non ethniques. Dans le même texte de l’article « Le peuple et la nation », il souligne que « la nation est une conception historico-politique opposée à une peuplade, qui est une notion ethnographique ».

    À côté des conceptions de la nation et du peuple, une troisième notion-clé façonne la pensée politique de Popławski et porte de nom de patriotisme. En empruntant bon nombre d’idées positivistes - affirmation du progrès, de la modernité et une critique de la noblesse - il n’est aucunement un doctrinaire qui rejette en bloc tout l’héritage de la culture politique polonaise, qui au XIXe siècle a été façonnée par la littérature et la pensée romantique. On peut affirmer, que Popławski dès ses débuts de commentateur politique, a déjà confirmé par son action, ce que quelques années plus tard, en 1900, il décrira dans le journal « Revue suprapolonaise » (pol: Przegląd Wszechpolski), au nom de son mouvement politique, dans les termes suivants: « Nous n’admettons aucun dogme, qu’ils fasse partie des vérités ancestrales, des droits acquis à la naissance, des certitudes sans failles ou des dernières nouveautés des sciences politiques et sociales - nous n’en reconnaissons aucun ». Mais Popławski n’est certainement pas une personnalité dogmatique et anti-romantique. Dans ses plus importants textes sur l’héritage romantique, parus en 1887 dans «La Voix » (deux articles une même année : »Des idéaux rabaissés » et « Grandes et petites idées), Popławski fait comprendre qu’il ne faut, ni condamner d’avance les traditions politiques issues du romantisme, ni se laisser happer par le programme du « travail positiviste » à buts mineurs. Comme il convient à la génération des « insoumis », Popławski écrit non sans répulsion: « Combien misérables sont ces êtres voués à l’horizontalité, répugnants, mais ingénieurs vertueux, à l’affût de concessions juteuses, de filles élancées aux dots rondelettes, industriels avisés, pour qui le monde se termine derrière les murs de leurs entreprises, paysans éclairés sauvant l’héritage paternel par une jachère, et même patrie avec, demoiselles travailleuses et cossues, qui augmentent leur dot par des travaux manuels ou en faisant des fromages-maison à la mode suisse. Dans le pire des cas, si ces idéaux ne comportent aucun mal, ils sont si petits, si plats, si exigus et paysans ».

     Dans un autre texte, Popławski attire l’attention sur le fait « qu’on ne peut satisfaire une intelligence en collectionnant des insectes à ailes striées, un cœur - par des économies de pacotille et susciter une énergie créatrice par des concours d’aviron ». Et d’ajouter: « Personne ne peut nier l’importance de ce travail de fourmi économe, mais il ne faut point oublier, que socialement il n’a de valeur que s’il est éclairé et réchauffé par le soleil d’une grande idée » (Grandes et petites idées).

    Il est important de citer la distinction que fait Popławski entre « politique émotionnelle » et « politique réelle ». Il signale, que si le réalisme politique fait abstraction de l’état des sentiments de la société - ce qui est arrivé au « réaliste » conte Wielopolski, dans les années 1862-1863 - il se transforme en son contraire. Et d’ajouter: «  En s’appuyant sur le fait indéniable, que les éruptions de sentiments apportent des conséquences plus que néfastes pour notre société (…), nous sommes arrivés à la conclusion, qu’en politique, on ne peut agir selon les émotions, mais uniquement en usant de la raison. Cela serait fort souhaitable, si seulement c’était possible. La politique, si elle ne s’enferme pas dans les projets élaborés dans les cabinets ministériels, doit faire face à une action collective de masses humaines de plus ou moins grande ampleur, d’une action inconsciente, instinctive, où l’émotion joue un premier rôle. Cette politique consiste à tenir compte de ces tendances incontrôlées, qui prennent corps grâce à des milliers de causes. Les plus brillants hommes d’État le savent parfaitement ».  En d’autres termes, ne pas voir « la grandeur des émotions dans les affaires sociales, mène au fait que « le plus effectif des échafaudages [politiques] s’effondrera tel un château de carte, à la première épreuve venue ». (L’abaissement des sentiments).

    En 1887, Popławski se lie avec la Ligue Polonaise (LP), fondée en Suisse, qui deviendra « l’organisation-mère » pour les autres formes institutionnelles qui naîtront dans le mouvement national-démocrate suprapolonais. C’est le colonel Zygmunt Milkowski, un vétéran de l’Insurrection de janvier, qui fonde la Ligue. Il fait partie de l’aile démocratique de l’émigration et est l’auteur d’une conception qui se veut un « patriotisme d’action » et une « défense active ». La Ligue Polonaise, conformément à son programme de décembre 1887,  considère son devoir primordial de « préparer et concentrer toutes les forces nationales pour accéder à l’indépendance de la Pologne, avec des frontières polonaises d’avant le démembrement et sur la base d’une fédération, tout en tenant en compte des différences nationales, sans perdre de vue les anciens territoires de la Pologne, ainsi que ceux qui lui ont été pris dans le passé ».

    Popławski est nommé commissaire de la Ligue Polonaise pour les terres démembrées sous tutelle russe, ce qui signifie, que le rédacteur de «La Voix » est le principal organisateur des structures clandestines de la Ligue dans cette partie de la Pologne. C’est sur les terres polonaises sous domination russe - Royaume de Pologne - et surtout à Varsovie, que la Ligue prend une grande ampleur. Là, « L’Union des jeunesses polonaises », organisation clandestine, forme le tissu social organisant les structures même de celle-ci; « L’Union des jeunesses polonaises » a été fondée par Zygmunt Balicki et dirigée à l’Université de Varsovie par Roman Dmowski. Ce sont eux, avec Popławski, qui deviendront les personnalités de premier plan de la Ligue Polonaise. Les années 1891-1894, seront pour Popławski une période de travail acharné, non seulement au niveau rédactionnel et publiciste, mais aussi pour tout ce qui est organisation. Dirigeant la Ligue, toujours clandestine, il voit grandir l’importance du rôle de Dmowski. Cette dernière est l’organisateur principal de la manifestation patriotique à Varsovie, la plus imposante depuis un quart de siècle (depuis l’échec de l’Insurrection de janvier).

    La première manifestation a eu lieu le 3 mai 1891, pour le centenaire de la  Proclamation Gouvernementale (pol: Uchwała Rządowa). La seconde se déroule dans la capitale, le 17 avril 1894, pour commémorer l’Insurrection de Kościuszko et célébrer Jan Kiliński.

    En 1893, en accord avec Dmowski et Balicki, ils changent le nom de la Ligue polonaise, qui devient Ligue Nationale, ce qui signifie le transfert des autorités de l’émigration en Pologne. En réalité, seuls deux personnalités comptent: Dmowski et Popławski, avec évidemment l’immense autorité dont jouit le rédacteur de «La Voix ». Les répressions des autorités tsaristes s’abattent sur les principaux organisateurs des démonstrations patriotiques, qui eux agissent de manière légale. C’est tout le milieu journalistique du journal « La Voix » qui en subit les conséquences. Parmi les personnes arrêtées, se trouve J.K. Potocki, un des rédacteurs du journal. Le 29 août 1894, Popławski est pour la troisième fois de sa vie emprisonné au Xe pavillon de la Citadelle varsovienne, où il restera enfermé durant treize mois. Lors de cette période - vu les répressions des Russes – cesse d’exister le comité rédactionnel de « La Voix »,  tel qu’il était à ses débuts. En octobre 1895, le  journal reparaît avec une nouvelle direction (Tadeusz Strzembosz et Zygmunt Wasilewski). Popławski y publiera ses articles jusqu’en 1896.

    En décembre 1895, n’attendant pas que les autorités tsaristes lui intentent un procès, qui pourrait se terminer une fois de plus par une déportation en Sibérie, Popławski déménage en Galicie autrichienne et s’installe à Lwów. Commence ainsi, comme il le dit lui-même, « les dix meilleures années de ma vie », lors desquelles, aux côtés de Dmowski et Balicki,  il conforte sa position dominante - parmi d’autres penseurs - de celui qui inspire et crée la pensée politique du mouvement suprapolonais.

   Le 1 janvier 1896, il est chargé avec Dmowski d’assumer les responsabilités de rédacteur de la « Revue suprapolonaise » (pol: Przegląd Wszechpolski), le plus important organe idéologique du programme national-démocrate. Dans les années 1897-1902, il accomplit ce travail de manière indépendante, jusqu’à ce que Dmowski reprenne la charge de rédacteur. Ce changement est aussi lié au déménagement du siège social de la rédaction, de Lwów vers Cracovie. Depuis 1899, la publication devient un mensuel.

    Popławski s’engage aussi dans les préparatifs de changements successifs et organisationnels de son parti politique. En 1897, il est l’auteur de la brochure «  Le programme du Parti national-démocrate pour les terres sous tutelle russe ». La nouvelle structure, comme le souligne Popławski, doit être « une organisation de citoyens autonomes et décidant consciemment de leur destin ». Toutefois «  le sens même du parti n’est pas dans son organisation (…), mais découle du sens de l’action. Si par contre, les gens s’orientent par eux-mêmes, sans être organisés, sans liens formels et avancent dans une même direction, leur lien moral est d’autant plus fort. (…) C’est là une profonde communauté d’idée - un nœud qu’aucune force n’est capable de rompre ».

    L’ordre des adjectifs dans le nom du nouveau parti n’est pas dû au hasard. C’est Dmowski en personne, durant les premières années d’activité de la mouvance suprapolonaise, la nomme « nouvelle démocratie » ou « notre démocratie »; c’est ce type de formulation qu’il emploie dans son livre « Pensées du Polonais moderne » (1903). Assurément, les accents « démocratiques »  sont eux aussi bien présents chez Poplawski, comme au temps des débuts de ses activités dans ses écrits politiques et sociaux paraissant dans « La Voix ». Ces thèmes n’ont point disparus des articles et commentaires qu’il écrit pour la « Revue suprapolonaise ». En 1897, peu de temps après la naissance du Parti national-démocrate (pol: SDN), Popławski souligne que  l’exigence du moment « veut qu’on rompe avec le principe malsain d’une solidarité socio-nationale. Le devoir de « l’intelligentsia démocratique »  - Popławski qualifie ainsi les sympatisans du mouvement suprapolonais - est de « prendre conscience que si l’on veut aujourd’hui être au service la cause nationale, il faut le faire manière honnête et persévérante la cause du peuple ». Son activité politique « doit avoir un aspect social clair, des traits de classe sociale ». Il faut cependant se rappeler dans quel contexte ces termes ont été articulés. « Les méfaits » du solidarisme national ont été dénoncés dans le feu des polémiques journalistiques de la « Revue suprapolonaise » à l’endroit des milieux voulant l’apaisement (conservateurs), qui comme le souligne la « Revue suprapolonaise », se sont accaparés cette notion pour leurs besoins particuliers.

    La politique d’apaisement (triple loyauté), Popławski la décrit en 1898, sur les colonnes de sa Revue, comme « politique de la classe des nobles et de la riche bourgeoisie ». À l’époque, les écrits publiés par Popławski dans son mensuel,  portent les traits d’une puissante confrontation avec le mouvement des partisans de l’apaisement, caractéristique de tout le mouvement des suprapolonais avant la Première guerre mondiale.

     « Les Bouffons » (pol: Stańczycy) de Galicie  « répètent les mêmes erreurs que l’ancienne noblesse polonaise et, comme elle, sont incapables de se défaire de leur égoïsme étatique ». Popławski refuse la conception d’une « couche sociale dirigeante », idée due à J. Szujski, bien qu’il ne la considère pas uniquement comme les successeurs des familles de nobles. « L’intelligentsia démocratique » doit avoir des racines sociales bien plus larges. Popławski perçoit parfaitement l’influence des « Bouffons » à Vienne, dans le gouvernement autrichien et dans son parlement (Conseil d’État). Il y voit même des relents de la politique nationale, mais combien insuffisants. S’ils avaient « durant les vingt dernières années, consacrés tous leurs efforts et moyens, pour augmenter le niveau intellectuel et matériel des classes laborieuses, créer des institutions offrant un crédit, (…) un nombre d’écoles suffisant (…), ils n’auraient peut-être eu droit à aucun ministre, ni même un Polonais comme staroste (…), mais en Galicie, le peuple serait instruit, sain et économiquement fort ».

    Le fait de négliger la question du peuple (paysannerie), Popławski considère comme un des péchés politiques graves du mouvement politique prônant l’apaisement. Son point de vue anti-conservateur - ou plutôt anti-apaisement - apparaît dans bon nombre de ses appréciations sur le romantisme, publiées dans la « Revue suprapolonaise », où il est loin de voir dans ce mouvement une simple « pitrerie » et un  liberum conspiro. En revenant aux thèmes déjà traités dans « La Voix » et dans sa revue, il écrit (1897) : « La politique des émotions est une chose et le fait de compter sur les émotions en politique, en est une autre, qui sont une force bien réelle ».  Les romantiques ne se sont pas trompé, quand ils disaient que la politique doit être liée à des standards moraux élevés, autrement elle devient pure spéculation ». Il faut éviter de traiter des intérêts nationaux comme une question « économique, marchande et échangiste » (Une politique nerveuse).

    Une année plus tard, Popławski souligne dans son mensuel, que « le soi-disant romantisme politique d’il y a quarante à cinquante ans, était une politique bien réelle, car elle répondait à une réalité de l’époque ».  Elle était alors une politique antipolonaise et celle des auteurs du démembrement, qui ne tenaient compte d’aucune forme d’apaisement que ce soit. « Régler la relation du peuple polonais envers les autorités des gouvernementales (de l’occupant), pouvait être tout juste - dans les années 1831 à 1860, et même plus tard - un simple sujet de dissertation, un objet de rêveries politiques, mais sans la moindre importance pratique ». (Relation envers le gouvernement dans la politique nationale). Le programme de la Ligue Polonaise et du Parti national-démocrate, en grande partie façonné par Popławski, souligne l’unité des intérêts polonais et donc ceux existent par-dessus les frontières des occupants. La triple loyauté pratiquée par les mouvements conservateurs, après 1864, perd cette perspective. Ce sont ces griefs que formule Popławski (1899), en décrivant les conséquences de trente années d’une telle politique, dans la « Revue suprapolonaise »: « Nous avons aujourd’hui trois Pologne et des Polonais scindés en trois (1899), sans compter les quelques espèces mineures de type national. Ce n’est pas simplement la question nationale, au sens large du terme, qui est blessée, mais c’est aussi la vie spirituelle et politique de chaque partie de la Pologne démembrée qui est soumise à cette néfaste influence ».

    Dans la pensée politique de Popławski, de même que chez d’autres fondateurs de la mouvance du Parti national-démocrate, il n’y a aucune contradiction entre les notions de « nation » et «d’État ». En 1897, Popławski  écrit dans sa « Revue suprapolonaise »: « À vrai dire, aucun développement de notre particularité nationale, aucun progrès notoire dans les relations sociales ne sont possible sans l’accès à la souveraineté nationale ». Une année plus tard, il déclare dans les colonnes du même journal: « La future Pologne n’est pas pour nous un idéal à atteindre, mais un postulat nécessaire à notre existence au présent ». Cette affirmation de l’institution de l’État, est un des traits « conservateurs » de la pensée politique de Popławski. Il souligne aussi l’aspect de la nation polonaise comme « unifiant les états sociaux » (pol: wszechstanowość) et donc incluant « le peuple », au sens large du terme.

   L’accusation d’extrémisme, adressé à la Ligue Polonaise et au Parti national-démocrate par les journalistes conservateurs (E. Piltz), devait faire tomber les arguments de Popławski  (en 1899, à l’occasion d’une proclamation dévoilant l’existence de la Ligue), qui considèrerait que ces formations doivent se tourner vers le peuple et obtiendront ainsi les traits « d’un travail social positif, basé sur une entraide sociale ». Il réfute en même temps l’argument des milieux voulant l’apaisement, selon lesquels le programme de « défense active », proposé par le Parti national-démocrate, se réfère au radicalisme et à une approche insurrectionnelle d’un libero conspiro: « Les gens, qui en bonne foi s’opposent à une conspiration et aux organisations clandestines, ne se rendent pas compte qu’eux aussi, s’ils prennent part à des travaux publics, font au juste de la conspiration et forment une sorte d’organisation secrète. Il n’existe pas d’activités dans la sphère publique, qui dans les conditions d’occupation russe, n’auraient pas un caractère politique, et n’exigerait pas un accord secret entre personnes de bonne volonté pour mener à bien leurs plans, rejetant les attaques du gouvernement, etc.  Cela a lieu dans les organismes de bienfaisance, économiques et scientifiques ». 

    Le fait d’organiser les forces nationales par de la Ligue Polonaise et le Parti national-démocrate, ne doit pas être confondu avec une conspiration peu avertie,  souligne Popławski dans le même article : « Le but d’une conspiration de la société ou d’une partie de celle-ci, est non d’agir à priori et avec un but défini. Tout au contraire, l’organisation de forces nationales a comme objet une mise en ordre et une coordination des tendances qui existent, la consolidation des initiatives et actions désordonnées en un plan précis,  le fait de conscientiser les instincts et les réflexes de défense de l’existence nationale ». (L’organisation des forces nationales)

    Popławski appartient aux précurseurs de l’idée d’une « nouvelle éthique nationale », basée sur le principe d’un égoïsme national. Avant que Balicki n’écrive sur le sujet (L’égoïsme national face à l’éthique, 1902), Popławski dans sa « Revue suprapolonaise »(1896) souligne: « L’égoïsme national ne contredit pas les lois, les droits et les intérêts d’autres peuples, mais place son intérêt et ses droits au- dessus de tout; ne contredit pas les lois morales, mais reste pour eux le critère politique approprié ».

   L’affirmation du principe d’un égoïsme national, est accompagnée par une  conviction issue de l’héritage romantique, qui affirme que la politique doit avoir un lien avec la morale. Il est bon de rappeler dans ce contexte, la défiance de Popławski envers « la propagation d’un esprit prussien, singeant avant tout les mauvais côtés de l’original ». Il a parfaitement raison d’écrire (1901) : « Puisqu’en Prusse, on fête le 200e anniversaire du premier couronnement d‘un Hohenzollern (Frédéric I en 1701, à Królewiec), comme roi de Prusse, alors que sur les terres prussiennes de la Pologne démembrée, se déroule alors une intense action de germanisation de la population, dont le symbole est la réaction brutale de Berlin, en réponse à une grève d’enfants et de parents polonais dans la localité de Września ».

    Popławski reprend encore ce même thème en écrivant: « Ce n’est pas avec des armes empruntées aux Prussiens que nous les batrons - nous devons avoir nos propres armes, une arme polonaise, notre propre tactique de combat politique, améliorée selon les exigences contemporaines ». Le devoir le plus important de la politique polonaise, en ce début du XXe siècle, ce n’est point « une lutte entre la puissance matérielle polonaise et la puissance prussienne et russe, mais entre l’esprit polonais et l’esprit prussien ou russe ».

    Proposer le postulat de prendre en compte une « nouvelle éthique nationale », au nom d’un égoïsme national, attire sur Popławski des critiques, non seulement du côté des conservateurs, mais aussi de la part de la presse catholique. La « Revue suprapolonaise », organe idéologique des suprapolonais, rédigée par Popławski, perçoit le catholicisme au travers d’un prisme de gains (ou pertes), que l’intérêt national polonais pourrait obtenir dans une alliance politique avec le Vatican. La question de la véracité de la religion catholique, n’apparaît aucunement dans les publications de Popławski, et chez d’autres collaborateurs du journal.

    « Un bon Polonais de confession catholique - écrit Popławski en 1897 - écoute le prêtre pour tout ce qui concerne l’Église, sans mot dire, mais pour ce qui est des questions laïques, il n’écoute que sa conscience, son cœur et sa raison ». C’est comme question laïque que Popławski considère la relation de l’hiérarchie ecclésiale catholique envers le parti des demandeurs de l’apaisement. C’est dans ce contexte, qu’il écrit dans « Notre patriotisme » (1898)  tout un programme, où il explique « qu’aujourd’hui, la relation de l’Église et du clergé catholique envers le gouvernement (russe), représente un véritable danger pour la question nationale ».

    Par la même occasion et par analogie des loyalistes conservateurs, Popławski n’hésite pas à utiliser des termes très durs à l’encontre du clergé catholique. Il exprime son opinion « se basant sur un certain nombre de faits », comme quoi « une partie du clergé des terres polonaises sous tutelle russe, est moralement et politiquement dépravée ou dévergondée ». La majorité des prêtres catholiques professent une foi « dans un grossier matérialisme pratique, sont des personnes qui traitent leur vocation sacerdotale comme un métier qui rapporte de l’argent, ni pire, ni meilleur que d’autres ».

    Il faut cependant admettre que de tels jugements politiques et moraux sur la conduite du clergé, ne sont réservés qu’aux terres sous tutelle russe. Ailleurs, comme en Grand Pologne, la situation est de loin meilleure. Sur les terres occupées par la Prusse, l’Église, collaborant avec le peuple et les propriétaires terriens, a résisté contre l’oppression germanique, a fait et continue de  faire preuve d’ « utilité nationale ». Là, « l’alliance politique de la Pologne avec le Vatican » porte de bons fruits. Il en est autrement en Haute Silésie, où a lieu une « germanisation indirecte de la population polonaise », ceci non seulement à cause de l’attitude hostile du clergé allemand envers la question polonaise, mais aussi de par l’activité du parti catholique « Centrum », ayant dans cette région de la Prusse un grand appui parmi les électeurs polonais (catholiques).

    En accédant au poste de rédacteur de la « Revue suprapolonaise », Popławski a des opinions bien arrêtées et antisocialistes. Déjà comme rédacteur de «La Voix », il dénonçait le « côté doctrinaire » et une « routine intellectuelle toute talmudique » des socialistes. Bien avant l’éclatement de la Première guerre mondiale, il met en doute le principe d’une solidarité internationale des travailleurs. Il s’exprime sur le sujet en 1890, dans les colonnes de  «La Voix », affirmant que cette idée n’est que « chimère ».

    Durant la période galicienne de sa vie, Popławski accuse plus d’une fois les socialistes de faire preuve de « dogmatisme ». Avec le temps, sa critique envers les socialistes polonais devient de plus en plus pointue. Il démontre que le fait d’accepter l’idéologie marxiste, les mènera à rompre avec la solidarité nationale. Il y avait en plus au Parti socialiste polonais (PPS) des « emprises étrangères » néfastes sur la question polonaise (provenant surtout des Juifs). Le thème des opinions antisocialistes de Popławski resurgit fortement, durant la révolution de 1905, dans le Royaume de Pologne. Stupéfait par la vague de grèves qui ont déferlés sur les bords de la Vistule du fin fond de l’Empire russe, Popławski écrit : « Maintenant que nous devons être unanimes sur les questions nationales les plus importantes, que nous devons mobiliser toutes nos forces dans le combat pour notre droit contre Moscou, les socialistes, sous le commandement de Juifs, enfoncent dans notre nation pieu après pieu, pour semer la discorde et affaiblir nos forces, si nécessaires pour la lutte contre l’ ennemi ». L’antisémitisme de Popławski, de même que celui des fondateurs de la mouvance suprapolonaise, a des racines politiques, économiques et avant tout culturelles. Il faut souligner que le mot race, utilisé par Popławski  - opposant déclaré d’un « patriotisme ethnographique » - n’est pas utilisé dans le sens biologique du terme.  Comme il le signale dans sa « Revue suprapolonaise » (1900), le mot race a pour lui une connotation « bien plus comme un potentiel culturel, qu’une fonction anthropologique ». Il critique dans les pages de « La Voix » les « capitalistes à châle religieux »,  dans un contexte de rachat de biens fonciers polonais par des Juifs. Il critique l’exploitation des ouvriers polonais dans des usines, dont les propriétaires sont juifs, mais il met surtout l’accent sur l’incompatibilité culturelle entre Polonais et Juifs. Cette situation rend impossible - souligne Popławski - l’assimilation des Juifs avec la nation polonaise. La « race » étant un « potentiel culturel » qui les différencie des Polonais.      

    En 1899, toujours dans la « Revue suprapolonaise », Popławski affirme que « la future Pologne indépendante devra tendre vers une maîtrise des territoires qui sont son héritage naturel ». Il faut ici redire, que cet héritage englobe - souligne Popławski - « les anciennes terres des Piast sur l’Oder et la Baltique, pris à la Pologne bien avant les démembrements ».

    Il présage à l’avance dans  «La Voix », sur le « retour inéluctable à la vieille route vers la mer, autrefois conquise par les bras vigoureux des guerriers Piast ». Il démontre,  « qu’un libre accès à la mer et le fait de posséder la plus grande voie fluviale du pays - la Vistule - sont les conditions même de notre existence ». « Tout le littoral de la mer Baltique, jusqu’à l’embouchure du Niemen, si malencontreusement abandonnée autrefois par la Pologne, Silésie comprise, doivent être reprise par l’État polonais, et doit revenir à la nation polonaise ». En 1899, dans la « Revue suprapolonaise », il déclare « combien misérable serait cette future Pologne, sans Poznań, sans Silésie et sans accès à la mer, et donc sans Gdańsk et Królewiec ». Popławski peut être considéré comme le père de l’idée du recouvrement des terres occidentales polonaises, conception qui durant toute la période des démembrements n’avait pas été suffisamment fortement articulée.

    « Sans aucun doute,  que la Pologne indépendante ne renaîtra pas dans ses frontières historiques de la République polonaise du XVIIIe siècle » affirme Popławski (1899). Ce diagnostic se réfère à la situation des territoires pris (annexés par la Russie entre 1772-1795), qui formaient eux aussi « l’héritage naturel » de la Pologne, qui à cause des mutations des nationalités (naissance du sentiment national des Lituaniens et des Russes blancs), ne reviendraient pas entièrement à une Pologne indépendante.

    Cette constatation ne signifie guère que Popławski renonce aux « terres occupées » in toto. La présence de la Pologne dans la majorité des territoires est due à une histoire et un passé culturel commun. C’est justement au sujet des « terres occupées » que Popławski accentue le rejet de la notion de « patriotisme ethnique » et la nécessité de « percevoir des éléments de loin plus importants, tels qu’une vie communautaire politique faite de traditions et de culture, de frontières naturelles, de conditions économiques et sociales et enfin, de tendances conscientes ou pas, se muant irrémédiablement vers l’unité ». En 1901, il écrit : « La Pologne avait dans ses confins de l’Est, non seulement une haute mission civilisatrice à accomplir, mais possédait aussi des intérêts. Elle y défendait non seulement la civilisation européenne, mais aussi son existence. » C’étaient là une part des « impondérabilités de l’esprit », auxquels les Polonais du XXe siècle devraient faire référence. Et il ajoute : « Nous devons susciter en nous cette puissante ambition de nos ancêtres, qui animait les soldats de Jagiełło à Grunwald, poussait de l’avant les grands projets de Stefan Batory et Władysław IV (Le jubilée prussien).

     Cependant, tout ne pourra être retrouvé. « Il serait chimérique - souligne Popławski - de vouloir reconstruire une République polonaise multinationale d’avant les démembrements. » Popławski critique également les « patriotes ethnographiques » qui nourrissent cette lubie, pareille à «une envie égoïste d’une noblesse fantasque, fruit de cerveaux dépravés et d’instincts pervers ».

    « Envers les Lituaniens et les Russes blancs (actuellement: Bélarusses) qui tendent vers leur « indépendance », la politique polonaise - souligne Popławski - devra défendre avec zèle et de manière implacable nos droits et intérêts nationaux ». Il faut donc se résigner au fait d’une renaissance nationale des Lituaniens et des Russes blancs (Bélarusses) et la respecter. Mais d’aucune manière leur permettre d’amorcer (en faisant miroiter une mythique « patrie ») une trop grande dynamique. « Il serait irresponsable et commettre un grave péché contre nature et l’instinct de survie, que de vouloir distribuer inopinément et avec largesse, les biens et les conquêtes des générations passées et amoindrir ainsi l’héritage de celles à venir ».

    En Galicie, Popławski ne se consacre pas uniquement à la rédaction de la « Revue suprapolonaise ». Dès octobre 1896, il dirige la rédaction d’un nouveau journal portant le titre « Le Polonais » (pol: Polak), adressé aux paysans polonais et distribué clandestinement dans les territoires sous tutelle russe. Le but principal du « Polonais »,  n’est pas de rallier le peuple à la cause nationale au nom d’intérêts matériels, mais de convaincre, que « la question nationale est la question propre du peuple, qui est la couche sociale la plus importante de la nation » (1906).

     Une publication analogique au « Polonais » - la revue « Patrie », paraît sur les terres autrichiennes, édition que Popławski rédige et soutient financièrement dans les années 1902-1906. En 1902, il est l’initiateur d’une prise de contrôle - par la Ligue Nationale - du journal « Le Verbe polonais » (pol: Słowo Polskie) à Lwów, qui devient en quelques années le principal organe de presse de la nationale-démocratie en Galicie. Popławski est l’un de ses collaborateurs réguliers.

   De juin 1901 à avril 1902, il est le rédacteur en chef du quotidien « Le XXe siècle » (pol : Wiek XX). Une initiative utile, mais éphémère. D’autres entreprises dans lesquelles Popławski s’engage en terre galicienne, ont été plus viables, dont l’Association éditrice (1897), l’Union scientifique-littéraire (1898) et l’École des sciences politiques (1902).

          L’éclatement de la guerre russo-japonaise, en 1904, remet à l’ordre du jour les questions de politique étrangères et la place qu’y tient la question polonaise. Popławski, l’auteur de la conception d’un retour de la Pologne sur les terres des Piast, démontre depuis longtemps, que le danger le plus important pour les intérêts polonais est la formation de l’Empire allemand par la Prusse. Il l’annonce en 1901: « La question du développement et de la chute de la puissance prussienne, se rapporte à celle de notre anéantissement ou bien de notre existence nationale. (…) Pour ce qui est de la naissance d’une Pologne indépendante, cela porterait un coup décisif, non seulement à la puissance prussienne, mais ferait disparaître son nom, apparu il y a deux cents ans ». La pression de la germanisation de la monarchie des Hohenzollern - écrit Popławski (1895) - expliquerait le fait de faire passer les terres polonaises sous tutelle prussienne vers la Russie, au lieu de les laisser dans les frontières de la Prusse. Il explique en même temps, que ce n’est pas là l’expression d’une russophilie, mais l’effet d’un réalisme politique.

    En effet, il est difficile de trouver dans les écrits de Popławski, la moindre trace prouvant une sympathie « non politique » envers la Russie. Sur les pages de la « Revue suprapolonaise », il exprime plus d’une fois sa conviction, qu’un gouffre civilisationnel nous sépare de l’Empire des tsars. Il l’exprime cette idée (1904), en écrivant : « Dans chaque Russe, se trouve un plus ou moins grand Yvan le Terrible », tandis que la culture politique de la Russie est « un mélange d’esprit mongol sauvage et d’une lâcheté byzantine ». Une année plus tard, Popławski souligne que le sens même du contentieux polono-russe est une lutte de l’esprit polonais et de la civilisation occidentale avec l’esprit byzantin-moscovite ».

    De même que Dmowski, Popławski considère le résultat de la guerre russo-japonaise comme un événement décisif pour la politique internationale. Dans la défaite de la Russie, il voit une chance pour la question polonaise, car « dans le bilan des gains politiques, il signifie l’affaiblissement d’au-moins un ennemi dangereux, et dans une proche perspective, peut-être d’un second ».

    Contrairement à Dmowski, Popławski ne croit pas que la défaite de la Russie implique automatiquement  le renforcement de l’Allemagne: « L’Allemagne est plus forte car le voisin a faibli, pourtant ses forces n’ont pas augmenté ». C’est donc uniquement en théorie qu’il analyse (1904), une coalition antiallemande comportant la Russie, la France et la Grande Bretagne: « On peut s’attendre à ce que la puissance allemande se renforce, au cas où la Russie viendrait à faiblir, suite à sa défaite dans la guerre avec le Japon; cela susciterait ou plutôt accélèrerait un règlement de compte avec ces pays, dont les intérêts politiques et commerciaux font preuve de contradiction fondamentale avec les intérêts des Allemands. La France n’est assurément pas l’un de ces pays (…), mais l’Angleterre en est certainement. Puisque jusqu’à présent l’Angleterre était comme ligotée dans ses rapports avec l’Allemagne à cause de la Russie (…), l’affaiblissement de la Russie en Asie facilite son entente avec l’Angleterre, ou au moins assure un comportement neutre de la Russie dans le contentieux anglo-allemand ».

    Une telle appréciation de la situation internationale après 1905, ainsi que la « composante romantique » de la pensée politique de Popławski, explique son acceptation de manière décidée de l’option antiallemande de Dmowski - ce qui signifiait, que l’allié politique de la question polonaise sera l’Entente, dont le représentant en Europe centrale est la Russie -, non sans réticence. Comme le relate par la suite Dmowski: « Il en était aigri et tourmenté par de véritables cas de conscience ».

     En décembre 1906, Popławski quitte non sans regrets Lwów, et revient avec sa famille à Varsovie. Cette décision est prise par les cercles dirigeants de la Ligue Polonaise et du Parti national-démocrate, dont Popławski fait partie, ceci afin que la majorité des activités politiques du Parti se fasse à nouveau sur les terres sous tutelle russe.

    Le 1 janvier 1907, Popławski est chargé d’assumer les responsabilités de rédacteur politique du journal « Le Journal polonais » (pol : Gazeta Polska) à Varsovie, principal organe de presse des nationaux-démocrates. Considérant que le rédacteur principal du « Journal polonais », Roman Dmowski, est de plus en plus absorbé par ses obligations de député polonais à la Duma russe, l’ensemble de la direction du journal repose dans les mains de Popławski.

    À l’automne 1907, vu l’aggravation de sa maladie, un cancer de la gorge,  Popławski arrête toute activité politique et rédactionnelle. Il meurt le 12 mars 1908, à Varsovie. Il est inhumé trois jours plus tard au cimetière de Powązki.