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Résumé:[modifier | modifier le code]

"Dis moi quels sont tes philosophes de références, je te dirai quelle approche de la musique tu auras".

La musique que nous écoutons à 30 ans n'est pas la même que celle que nous écoutions à 15 ans et est rarement la même que celle que nous écouterons à 70 ans. En effet notre rapport au monde évolue, notre philosophie de la vie aussi. Cet article explique comment les présupposés philosophiques ont non seulement une incidence sur la manière de composer la musique, mais aussi sur la manière de l'écouter. Ceci se manifeste clairement dans le domaine de la musique sacrée, car c'est là que nous avons la plus grande traçabilité de l'histoire de la composition musicale.

LES TROIS PORTES PHILOSOPHIQUES DE LA MUSIQUE SACRÉE[modifier | modifier le code]

L’intérêt des philosophes pour la musique a varié selon les époques, mais quand ils abordent le sujet, les auteurs ne le font pas avec demi-mesure. En effet la réflexion sur la musique demande une conceptualisation rigoureuse qui convoque les grands fondamentaux de la pensée. La musique et la philosophie ont effectivement une affinité particulière : il y a même des vases communicants entre les deux. Voici plusieurs citations qui introduisent notre propos : Platon nous rapporte de Socrate : « La philosophie n’est-elle pas la plus haute musique ? »[1] Nietzsche : « A-t-on remarqué… que plus on devient musicien plus on devient philosophe ? »[2] Schopenhauer : « Si nous pouvions énoncer en concepts ce que la musique exprime à sa façon, nous aurions là la vraie philosophie ».[3] Cependant, l’auditeur du XXIe siècle est parfois très déconcerté à l’écoute de certaines œuvres contemporaines où les sons s’enchevêtrent au point qu’il ne s’y retrouve pas… Comment comprendre les bouleversements et la radicale nouveauté de certaines compositions musicales contemporaines ? Est-ce l’expression ou la conséquence de bouleversements philosophiques ? Sur quels critères allons-nous pouvoir en juger ? Theodor Adorno reconnaît qu’il n’existe pas de théorie philosophique générale appliquée à la musique et à son déploiement. Par conséquent, les compositeurs malheureusement manquent d’outils pour conduire leur pensée.[4] Aussi, cet article souhaite-t-il palier ce manque et proposer une synthèse pour comprendre les fondements de la musique en général et de la musique contemporaine en particulier. Entre continuité et discontinuité, évolution et mutation, fidélité et innovation, nous verrons que l’entreprise d’interprétation sera bien délicate et nécessitera bien des précautions. L’enjeu ne sera pas de porter un jugement de valeur, mais davantage d’aider à comprendre comment l’écho-système de la musique a évolué au fil des siècles.

LE TRIPLE SYLLOGISME HEGELIEN :[modifier | modifier le code]

Dans l’histoire de la pensée, on trouve souvent trois pôles principaux autour desquels s’organise la réflexion philosophique, à savoir le monde, l’âme et Dieu. Si nous voulons que notre problématique soit suffisamment pertinente, il convient de prendre ces termes dans un sens assez large. - Le monde désigne tout ce qui entoure l’homme et constitue ainsi sa situation objective concrète, son cadre de vie : aussi bien la nature physique que le milieu social et culturel ou l’histoire. (Hegel nommera NATURE ce pôle). - L’âme, désigne non pas ce qui entoure l’homme, son environnement, mais ce qui constitue le mystère intime de son esprit, de sa liberté, de sa conscience personnelle. Par « âme », nous visons donc la dimension intérieure ou subjective de l’existence humaine. (Hegel nommera ESPRIT ce pôle). - Le mot Dieu, désigne non seulement l’être éternel et personnel de la divinité ; nous considérons aussi sous ce mot tout ce que l’homme reconnaît comme venant de plus loin que le monde et que son propre esprit et devant quoi il s’incline dans une attitude d’accueil et de respect. Nous désignons alors la dimension absolue du réel. (Hegel nommera LOGOS ce pôle).

Toute réalité concrète, et particulièrement la musique, doit être comprise selon une triple articulation échappant à toute partialité. Dans le sillage de cette méthode ternaire inspirée de Hegel, nous identifions trois grandes portes ou voies d’accès en philosophie et donc en musique. En correspondance avec le premier syllogisme hégélien « Logos-Nature-Esprit », nous aurons la voie cosmologique où l’ensemble du réel est pensé à partir et en fonction du « cosmos » au sens large, c’est-à-dire du double monde de la nature et de l’histoire. En correspondance avec le second syllogisme « Nature-Esprit-Logos », nous aurons la voie anthropologique où l’ensemble du réel est pensé à partir et en fonction de l’« homme » (anthrôpos, en grec), c’est-à-dire, essentiellement, de la liberté humaine. En correspondance avec le troisième syllogisme hégélien « Esprit-Logos-Nature », nous aurons la voie métaphysique où l’ensemble du réel est pensé à partir et en fonction de ce Logos « transcendant » (métaphysique) qui s’exprime dans toutes les formes d’absolu reconnues par l’homme.

Chacune de ces voies induit une manière correspondante de penser la musique et ses incidences dans l’expression de la foi. Certains compositeurs ont été séduits par l’imitation de la nature et leur musique est tissée sur les harmonies du cosmos. D’autres ont été soucieux de construire leurs œuvres en proportion avec les caractéristiques de la voix humaine et des dimensions du corps humain. Enfin les derniers se sont laissé forger par des modules musicaux reçus comme une sorte de « révélation » car ils avaient traversé les siècles… [5] Encore aujourd’hui, la musique sacrée se fraie un chemin en passant par chacune des trois portes. Le compositeur ne devrait pas faire l’impasse de l’une d’elle. L’enjeu est de restituer des réalités qui nous dépassent et pourtant qui nous sont si familières aussi. Au terme de ce parcours qui s’apparente un peu à la présentation d’une boite à outils philosophiques, certains sentiront peut-être un goût de trop peu. Qu’ils se rassurent, un deuxième tome est d’ores et déjà prévu ! L’enjeu est ici simplement de donner des éléments de discernement à la fois pour les musiciens, les compositeurs et les auditeurs. Dis-moi quelle philosophie te pétrit, je te dirai quelle sera ta musique. L’enjeu est d’autant plus grand dès lors que cette musique entre dans le rituel de la liturgie. Tout est permis, mais tout ne convient pas. Il faut auparavant être passé par les trois portes pour accéder au sanctuaire. Ne croyez pas que cet itinéraire soit réservé à une élite, non ! Il est pour tout un chacun. Mettons-nous à l’école des Anciens pour composer la musique du XXIe siècle. Les ruptures de traditions mènent à des impasses.

LA NOTION FONDAMENTALE D'ECHO-SYSTEME:[modifier | modifier le code]

Ce concept est une autre manière de parler du "milieu de vie" de la musique et de déploiement. Aussi, traiter de la philosophie de la musique et de son fleurissement théologique dans la sphère du sacré, nous oblige à parler un peu d’architecture, de liturgie et du composé humain qui lui donnent chair et vie. La compréhension des TROIS PORTES suppose cette articulation vitale de la musique avec les autres composantes de « l’écho-système ». Quelles sont ces composantes? Il faut nommer l’assemblée chantante ou les acteurs musicaux, le répertoire, l’architecture de l’église, le cadre culturel et au centre le mystère divin que la musique essaie de rejoindre et de magnifier. Cet écho-système est en perpétuelle mutation au fil des siècles. Dès lors que l’on modifie l’une ou l’autre de ses polarités, un nouvel équilibre doit se trouver. Ainsi, par exemple, pendant des siècles, le chant grégorien s’est déployé sous les voûtes romanes. On peut y reconnaître une sorte de connaturalité entre l’acte de chant portant la mélodie grégorienne et ces voûtes qui en produisent la résonance et le fleurissement. Le chant grégorien porté par l’assemblée est bien l’acte musical qui convient à ces voûtes. Il lui fallait cette acoustique si particulière pour se déployer, expression si belle de la prière chantée de l’ecclesia. Mais ce plain-chant n’est plus réellement le même dès lors que l’on le sort de ses voûtes. Pourquoi ? L’acte de musique dans la liturgie n’est jamais un en-soi. Il est toujours un acte musical d’une assemblée donnée dans un édifice donné. Comme le fait remarquer très justement Michael Forsyth,[6] le chant grégorien n’est pas du tout monodique, contrairement à ce que beaucoup pensent souvent. C’est en effet oublier dans quel instrument de musique il se déploie. C’est oublier le facteur de résonance des voûtes romanes. C’est oublier la relation réciproque entre le musicien et l’instrument. Non, le chant grégorien est en fait polyphonique sous ces voûtes : la mélodie s’élance et retentit, mais elle est soutenue et suivie par l’écho et les phénomènes de résonance. En fonction de ces derniers, voilà que les notes se superposent. Même si la partition semble écrite à une seule voix, l’oreille grégorienne est peu à peu devenue polyphonique. Cela n’enlève rien à la noblesse de la ligne mélodique du chant, mais celle-ci n’est en adéquation avec l’assemblée que dans la mesure où l’édifice est capable de lui faire entendre la polyphonie qu’elle attend de lui. Ainsi, avec les transformations acoustiques majeures associées au déploiement des voûtes gothiques, il n’était plus possible d’entendre de la même manière cette polyphonie renvoyée par l’édifice. C’est alors que l’assemblée a éprouvé progressivement le besoin de chanter à plusieurs voix, de manière à entretenir cette harmonie sonore qui habite la liturgie. Cependant le répertoire grégorien a continué à être chanté simultanément, car les modifications architecturales n’ont pas entraîné la disparition des voûtes romanes. Ce déplacement s’est donc fait dans une sorte de cohabitation de modes architecturaux différents et de modalités d’exécution musicales différentes. Ainsi, sous des voûtes gothiques, ce n’est plus l’architecture de l’édifice qui porte la résonance, mais le chant polyphonique lui-même. Plus tard, à la fin du XVe siècle, l’orgue va entrer dans l’édifice et s’incorpore à lui, soutenant de son chant celui de l’assemblée, donnant à la polyphonie une clarté et une force nouvelle. Dès lors, l’alliance entre la musique de l’orgue et la polyphonie du chœur permettra à l’architecture de l’église-bâtiment de donner à nouveau sa réponse acoustique, du fait d’une puissance de son proportionnée à ses larges volumes. Ainsi, cette progressive transformation architecturale a suscité des modalités d’exécutions musicale différentes, mais dans une réelle continuité les unes des autres. Les compositeurs ont bien souvent, et très judicieusement, gardé les thèmes et les modes grégoriens en y introduisant d’autres voix ou instruments (Palestrina, Victoria, Guerrero etc.). Ils avaient en effet conscience du trésor inestimable des mélodies grégoriennes, qu’il n’était pas question d’abandonner.

LES MYTHES ANCIENS : LES PRÉMISSES DES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE LA MUSIQUE[modifier | modifier le code]

1) Le mythe d'Arion et d'Orphée[modifier | modifier le code]

Ces mythes introduisent à l'approche cosmologique et se caractérisent par l'introduction fondamentale de l'ostinato rythmique :François-Bernard Mache explique que les mythes anciens se caractérisent par le doublement des motifs, ce qui fait penser à la pratique des reprises en musique.[7] Cette tradition a été abandonnée par certains courants contemporains de composition musicale (comme le sérialisme). Or, dans la pensée mythique, la reprise ne signifie pas que le passé se reproduit, mais bien qu’il n’y a qu’un éternel présent. Cette dynamique est ici exprimée dans le mythe d’Arion par un jeu de mots entre delphis, le dauphin, delphys la matrice marine où le plongeur retourne chercher son salut, et Delphes, centre du monde où règne Apollon. Ce phénomène de reprise, est du registre de l’écho. Il prépare la forme en canon ou en fugue des œuvres musicales. La mer constitue le premier réceptacle matriciel où la puissance de la musique s’exprime. Les divinités ou les animaux qui participent au salut habitent les profondeurs marines. Ils sont au service du dieu de la musique.

2) Le mythe d'Amphion et de Zéthos :[modifier | modifier le code]

Amphion est la figure du musicien qui utilise les proportions de son instrument (la lyre) et la puissance sonore de ce dernier pour bâtir des murailles de la villes. Cette proportion entre le corps humain, l’instrument de musique et l’architecture de la ville bâtie est fondamentale. Amphion va jusqu'à rajouter des cordes à son instrument pour qu'il y en ait autant que de portes dans la murailles.[8] La musique est ici au service d’un projet proportionné à l’homme. Ce mythe est précurseur de la porte anthropologique de la musique.

3) Le mythe de la nymphe Echo[9][modifier | modifier le code]

Ce mythe annonce l'approche métaphysique. Cette nymphe fut condamnée par Héra à ne plus répéter que la dernière syllabe des mots que l’on prononcerait devant elle. Par la suite, et à cause de l’impossibilité de déclarer son amour pour Narcisse, elle alla cacher sa peine dans des cavernes solitaires. Au fil des siècle, le phénomène acoustique du retour de son a été lu et interprété de manière surnaturelle. Ce paradigme de l'écho constituera une sorte de structure fondamentale, de « neume » matriciel des actes de musique dans toutes les traditions de musique sacrée, quelles que soient les traditions religieuses.

QUELQUES OEUVRES MUSICALES QUI ILLUSTRENT L'UNE OU L'AUTRE DE CES VOIES PHILOSOPHIQUES :[modifier | modifier le code]

1) La porte cosmologique:[modifier | modifier le code]

- Prokofiev, Pierre et le loup https://www.youtube.com/watch?v=FZmJZauKoTg - Vincent Paulet, le grand stellaire http://www.vincentpaulet.com/spip.php?rubrique16&lang=fr (on peut y écouter un extrait) - Olivier Messiaen, Le réveil des oiseaux https://www.youtube.com/watch?v=sgNeH9_8l0w

2) La porte anthropologique:[modifier | modifier le code]

- Igor Stravinsky, Symphonie de psaumes https://www.youtube.com/watch?v=DqWZGUO_eoc - Krzysztof Penderecki, Requiem, Sanctus https://www.youtube.com/watch?v=jZ7qFQTYj_c - Jocelyn Pook, Ave Maria Desh https://www.youtube.com/watch?v=d_rEfRbB8yU

3) La porte métaphysique:[modifier | modifier le code]

- Luciano Berio, Sequenza V pour trombone https://www.youtube.com/watch?v=ZqlUhN7TbAk - Arvo Pärt, Salve Regina https://www.youtube.com/watch?v=f1CNNf9iU9Y

OUVRAGES ET ARTICLES DE RÉFÉRENCE[modifier | modifier le code]

- MANAUD Olivier et BARRANDON Cécile, SHAMROCK ou les trois portes de la musique sacrée, éditions Dervy, Paris, 2017, 480 p. Ce livre est simultanément un roman et un cours fondamental sur les fondements de la musique. Ce thriller philosophique et musical se présente comme une sorte d’enquête symphonique en trois mouvements, tous nécessaires pour saisir le mystère de la musique sacrée. Une courte présentation existe sur Youtube [10] - L'ouvrage de André-Mutien Léonard, "Foi et philosophies", Paris, Lessius, 1991. - BERTRAND Dominique, Le diabolus des sages. Une dissonance interdite, Signatura, Paris, 2006. - JANKELEVITCH Vladimir, La musique et l’ineffable, Seuil, Paris, 1983. - LABAT Elisabeth-Paule, Essai sur le mystère de la musique, Fleurus, 1962. - MANAUD Olivier, « La note de résonance des édifices, ou l’hospitalité sonore des abbayes médiévales », in Nicolas REVEYRON et Stéphanie Diane DAUSSY (dir.), In locis competentibus. L’Eglise en action : lieux et objets du mystère, Picard, Paris, 2015.

  1. PLATON, Phédon, 61a.
  2. NIETZSCHE, Le cas Wagner, §1, trad. J.-C. HEMERY, in Œuvres complètes, VIII, Gallimard, Paris, 1974.
  3. SCHOPENHAUER, La monde comme volonté et comme représentation, trad. A. BURDEAU, PUF, Paris, 1966, 10ème édition, 1978, p. 338.
  4. « Qui veut juger doit regarder en face les problèmes et les antagonismes imperturbables de chaque création en particulier, et là-dessus ne le renseignent aucune théorie générale et aucune histoire de la musique. Il n’y a guère que le compositeur d’avant-garde qui soit à la hauteur d’une pareille tâche ; en revanche, il manque le plus souvent de dispositions pour la pensée discursive. Il ne peut plus compter sur un médiateur entre le public et lui même. » Theodor W. ADORNO, Philosophie de la nouvelle musique, Gallimard, Paris, 1962, p. 18.
  5. Olivier MANAUD, La musique liturgique édifie l'Eglise, Téqui, Paris, 2012.
  6. « Depuis les temps les plus reculés, l’acoustique des constructions de pierre a très certainement influencé le développement de la musique occidentale. Par exemple, dans les églises romanes, les notes successives de plain-chant se réfléchissent et s’attardent dans la galerie ; en se superposant, elles donnent ainsi l’impression d’harmonie. La tradition musicale de l’Occident n’était donc pas uniquement mélodique, mais aussi harmonique, avant même que naisse, vers l’an 1000, cette pratique d’enrichir le son en chantant plus d’une mélodie à la fois, engendrant ainsi l’harmonie à la source. » Michael FORSYTH, Architecture et musique : l’architecte, le musicien et l’auditeur du 17ème siècle à nos jours, Editions Pierre Malaga, Bruxelles, 1987, p. 32.
  7. François-Bernard MACHE, Musique, mythe, nature, ou les dauphins d’Arion, Méridiens Klincksieck, Paris, 1991, p. 18.
  8. Sylvie DAVID-GUIGNARD, « Bâtir en musique, l’exemple d’Amphion à Thèbes », p. 256.
  9. OVIDE, Œuvres complètes, Les métamorphoses, trad. de Th. Burette, Paris, Bibliothèque latine-française, C.L.F. Panckouche, 1835, tome IV, Livre III, V, p. 176-189.
  10. https://www.youtube.com/watch?v=b4Z1NCwRgag&t=24s