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Michel Le Bris - Une énergie nouvelle
Ce monde nouveau ne laisserait rien derrière lui de l'ancien. Jack London aurait aimé cela, songea-t-il, la vibration de cette puissance, dans la foule en marche, dans les bruits de la rue, dans l'air autour de lui, il aurait su l'absorber , tels une drogue ou un alcool, en faire sa propre force de création – il le lui avait assez répété, depuis qu'ils avaient vu, tous deux, des gamins d'Hawaï danser à la crête des vagues sur une simple planche, tandis que le Snark s'enfonçait toujours plus loin dans une mer de ténèbres. Chevaucher la puissance du monde ou se noyer ! (…) Le cinéma, oui, le cinéma seul pouvait rendre cette frénésie, ce télescopage brutal d'images, de sons. Il serra les poings : coûte que coûte, il serait de cette aventure-là ! Et ce serait la sienne propre, plus celle de Jack London. Le temps du livre s'achève, se surprit-il à penser, vient celui du cinéma.
Michel Le Bris - La Beauté du Monde (éd. Grasset, 2008 – page 64)
s:juin 2009 Invitation 1Boris Vian - Boum boum Il n'ajouta pas qu'à l'intérieur du thorax, ça lui faisait comme une musique militaire allemande, où l'on n'entend que la grosse caisse. _ N'est-ce pas qu'elle est jolie ? demanda Alise. Chloé avait les lèvres rouges, les cheveux bruns, l'air heureux et sa robe n'y était pour rien. _ Je n'oserai pas ! dit Colin. Et puis il lâcha Alise et alla inviter Chloé. Elle le regarda. Elle riait et mit la main droite sur son épaule. Il sentait ses doigts frais sur son cou Il réduisit l'écartement de leur deux corps par le moyen d'un raccourcissement du biceps droit, transmis, du cerveau, le long d'une paire de nerfs crâniens choisie judicieusement. Chloé le regarda encore. Elle avait les yeux bleus. Elle agita la tête pour repousser en arrière ses cheveux frisés et brillants, et appliqua, d'un geste ferme et déterminé, sa tempe sur la joue de Colin. Il se fit un abondant silence à l'entour, et la majeure partie du reste du monde se mit à compter pour du beurre. Boris Vian (1920 - 23/6/1959) – L'Écume des jours (éd. J.J. Pauvert, 1963 – ch. XI) |
s:juin 2009 Invitation 2Georges Courteline – Le printemps à Paris Au-dessus de lui, c’était l’éblouissement d’un après-dîner adorable. Comme il advient tous les ans, Paris, qui s’était endormi au bruit berceur d’une pluie battante, s’était réveillé ce matin-là avec le printemps sur la tête, un printemps gai, charmant, exquis, tout frais débarqué de la nuit sans avoir averti de sa venue, en bon provincial qui arrive du Midi, tombe sur les gens à l’improviste et s’amuse de leur surprise. Par-delà les toits des maisons, derrière les hautes cheminées, le ciel d’avril s’étendait d’un bleu profond et sans un nuage, perdu au loin dans une grisaille brumeuse. Une immense nappe de soleil balayait d’un bout à l’autre la chaussée blondie du boulevard dont les fenêtres, à l’infini, miroitaient comme des lames d’épée, et sur l’asphalte des trottoirs les ombres jetées en biais des platanes et des marronniers semblaient des bâtons d’écolier tracés par une main géante. Georges Courteline (1858 - 25/06/1929) - Messieurs les ronds-de-cuir (1893) |
s:juin 2009 Invitation 3Marie Nimier – L'amie retrouvée La voix de Léa était plus éraillée qu'avant, je ne la reconnaissais pas tout à fait, comment dire ? La conversation était agréable, très agréable même, fluide. Presque un peu décevante. Nous nous parlions au téléphone comme si c'était hier, et ce n'était pas hier. Nous échangions des informations. Le récit se poursuivit le lendemain soir dans un restaurant indien, derrière la gare du Nord. J'attendis Léa devant la porte, je ne voulais pas rentrer, même s'il commençait à faire froid : j'avais trop peur qu'elle ne vienne pas. Je me répétais « tout va bien se passer, tout va bien se passer », comme une fille qui va faire l'amour pour la première fois. Je reconnus Léa de loin, elle avait toujours sa longue tresse posée sur l'épaule et sa démarche nonchalante, non, elle ne se pressait pas. Ses yeux étaient très cernés, peut-être était-ce le maquillage qui lui donnait cet air incertain, le fond de teint, le rouge à lèvres, toutes ces choses qu'elle n'utilisait qu'avec parcimonie. Marie Nimier - Les inséparables (éd. Gallimard, 2008 - page 258) |
s:juin 2009 Invitation 4Michel Le Bris - Une énergie nouvelle Ce monde nouveau ne laisserait rien derrière lui de l'ancien. Jack London aurait aimé cela, songea-t-il, la vibration de cette puissance, dans la foule en marche, dans les bruits de la rue, dans l'air autour de lui, il aurait su l'absorber , tels une drogue ou un alcool, en faire sa propre force de création – il le lui avait assez répété, depuis qu'ils avaient vu, tous deux, des gamins d'Hawaï danser à la crête des vagues sur une simple planche, tandis que le Snark s'enfonçait toujours plus loin dans une mer de ténèbres. Chevaucher la puissance du monde ou se noyer ! (…) Le cinéma, oui, le cinéma seul pouvait rendre cette frénésie, ce télescopage brutal d'images, de sons. Il serra les poings : coûte que coûte, il serait de cette aventure-là ! Et ce serait la sienne propre, plus celle de Jack London. Le temps du livre s'achève, se surprit-il à penser, vient celui du cinéma. Michel Le Bris - La Beauté du Monde (éd. Grasset, 2008 – page 64) |
s:juin 2009 Invitation 5Andrew Miller – L'homme foudroyé C'est le médecin (…), l'ami du pasteur et de sa sœur, qui avait voyagé, dit la rumeur, à juste titre ou non, jusqu'en Russie où il avait rencontré l'impératrice et vécut bien des aventures, c'est lui qui ne passe pas l'été, lui qui meurt un matin d'août au milieu d'un champ d'orge, son carnet à dessin sur les genoux ; la mort l'abat comme on assomme un bœuf et il tombe à la renverse de de son tabouret, dans un bref cri de surprise, et rien qu'un enfant à son côté, un enfant avec un chien. Personne pour l'aller chercher au-dedans de lui-m^me, personne pour le ramener. Durant presque une heure, tandis que l'enfant court trouver de l'aide, James gît seul, silhouette sombre et cruciforme, face ébouriffée par l'ombre des nuages, et les plants ondulent autour de lui comme une foule, une foule d'or indifférente. Dans la cuisine du révérend, Mary, qui pèle des pommes pour une tartre, s'arrête, pose sur la planche le couteau et la pomme. Mrs. Cole lève les yeux de sa pâtisserie, et elle est surprise de voir son amie sourire. Andrew Miller – L'homme sans douleur (éd. Albin Michel, 1998 – page 381) |