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Émile Zola - Transi

Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri.

La chambre était vide. Un grand souffle désespéré monta du boulevard et gonfla le rideau.

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

Émile Zola (02/04/1840-29/09/0902) - Nana (1880) (dernière page)

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s:septembre 2012 Invitation 1

Émile Zola - Transi

Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri.

La chambre était vide. Un grand souffle désespéré monta du boulevard et gonfla le rideau.

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

Émile Zola (02/04/1840-29/09/0902) - Nana (1880) (dernière page)

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s:septembre 2012 Invitation 2

Walter Scott – Le tournoi

Se débarrasser des étriers et de son cheval tombé fut pour le templier à peine l’affaire d’un instant, et, hors de lui à cause de sa disgrâce et des acclamations dont elle fut accueillie par les spectateurs, il tira son épée et la brandit en défiant son vainqueur.

Le chevalier Déshérité s’élança de son cheval et tira aussi son épée ; mais les maréchaux du camp poussèrent leurs chevaux entre eux, et leur rappelèrent que les lois du tournoi ne permettaient pas, dans le cas présent, ce genre de combat.

– Nous nous retrouverons, je l’espère, dit le templier en lançant un regard courroucé à son adversaire, et dans un endroit où il n’y aura personne pour nous séparer.

– Si nous ne nous revoyons pas, dit le chevalier Déshérité, la faute n’en sera pas à moi ; à pied ou à cheval, à la lance ou à la hache ou à l’épée, je suis également disposé à te faire raison.

Walter Scott (15/08/1771-21/09/1832) - Ivanohé (1820) - (Chapitre VIII)

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s:septembre 2012 Invitation 3

Paul Bourget – Engagement

Il se sentait heureux d’aller à la bataille, même avec la certitude de la perdre, pour la défense d’une Cause que servaient des hommes tels que ce prêtre qui venait de renoncer si simplement et de le faire renoncer à une vengeance sûre, mais basse. Son regard alla de nouveau vers la fenêtre. Par-delà les bâtiments du Grand Séminaire, il contempla les toits des vieux hôtels de la ville, les clochers des églises, ces témoins d’un passé avec lequel l’historien avait tant vécu et espéré. Une émotion s’éveilla en lui, qui était précisément le contraire de celle de la veille au soir : il comprit à quel point leurs façons de penser et de sentir, au Sulpicien et à lui, étaient vraiment celles que les ouvriers lointains de cette vieille ville et de la vieille France auraient souhaitées chez leurs descendants, et il se répéta mentalement l’affirmation de M. Pierron : « Oui, nous vaincrons. Tôt ou tard, nous vaincrons, en ne leur ressemblant pas, en effet, et parce que nous sommes, nous, avec nos morts ».

Paul Bourget (02/09/1852-25/12/1935) – Le candidat (Le cœur et le métier/Les deux sœurs, 1905)

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s:septembre 2012 Invitation 4

Henry de Montherlant - Lassitude

Ferrante - Pour moi, tout est reprise, refrain, ritournelle. Je passe mes jours à recommencer ce que j’ai déjà fait, et à le recommencer moins bien. Il y a trente-cinq ans que je gouverne : c’est beaucoup trop. Ma fortune a vieilli. Je suis las de mon royaume. Je suis las de mes justices, et las de mes bienfaits ; j’en ai assez de faire plaisir à des indifférents. Cela où j’ai réussi, cela où j’ai échoué, aujourd’hui tout a pour moi le même goût. Et les hommes, eux aussi, me paraissent se ressembler par trop entre eux. Tous ces visages, ensemble, ne composent plus pour moi qu’un seul visage, aux yeux d’ombre, et qui me regarde avec curiosité. L’une après l’autre, les choses m’abandonnent ; elles s’éteignent, comme ces cierges qu’on éteint un à un, à intervalles réguliers, le jeudi saint, à l’office de la nuit, pour signifier les abandons successifs des amis du Christ. Et bientôt, à l’heure de la mort, le contentement de se dire, songeant à chacune d’elles : « Encore quelque chose que je ne regrette pas. »

Henry de Montherlant (20/04/1895-21/09/1972) - La Reine morte, Acte II, scène 3 (éd. Gallimard, 1942)

s:septembre 2012 Invitation 5

Elizabeth Gilbert – Une fille des îles

Ruth Thomas, déjà ravissante à sa naissance, devint une ravissante petite fille aux sourcils noirs, à la carrure athlétique et au maintien remarquable. Dès sa plus tendre enfance, elle prit l'habitude de garder le dos bien droit. Elle possédait une présence étonnante. Le premier mot qu'elle prononça ne fut autre qu'un « non » ferme et sans appel, et sa première phrase fut : « Non merci. » Les jouets ne l'amusaient pas plus que ça. Elle aimait s'asseoir sur les genoux de son père et lire les journaux en même temps que 1ui. Elle appréciait la compagnie des grandes personnes. Elle se tenait si tranquille qu'elle passait souvent inaperçue. En revanche, rien ne lui échappait. Quand ses parents rendaient visite aux voisins, Ruth se blottissait sous la table de cuisine où, muette comme une carpe, elle ne perdait pas une miette de ce que les adultes se racontaient. Souvent, elle entendait son entourage s'exclamer : « Ruth ! Mince alors ! Je ne t'avais même pas vue ! »

Elizabeth GilbertLa tentation du homard (USA, 2000 – trad fr. éd. Calmann-Lévy, 2011) – page 28.