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Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/mai 2013

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Alessandro Manzoni – La peste à Milan

Frédéric était pour ces ecclésiastiques un exemple. Après avoir vu périr autour de lui presque tous ses serviteurs, sollicité par sa famille, par les premiers magistrats, par des princes voisins, de se mettre à l'abri dans quelque campagne, il repoussa les instances avec un courage égal à celui qui lui faisait écrire aux curés de son diocèse : « Soyez prêts sans cesse à abandonner cette vie mortelle plutôt que ces infortunés qui sont nos enfants et notre famille ; allez avec amour au-devant des dangers, comme à une autre vie, comme à une récompense, puisqu'en les bravant vous pouvez conquérir une âme au royaume du Christ. » Il ne négligea aucune des précautions" compatibles avec ses devoirs ; il donna même à.ce sujet des instructions et des règles à son clergé; mais il ne s'inquiéta ni-ne parut s'apercevoir du péril partout où il fallait le braver, pour répandre des bienfaits ou procurer des secours. Il visitait les lazarets pour consoler lès malades et encourager ceux qui les assistaient; il parcourait la ville, portant des secours aux malheureux séquestrés dans leurs maisons, s'arrêtant aux portes, sous les fenêtres, pour entendre leurs plaintes, et leur donner en échange des paroles de consolation et d'encouragement. En un mot, il se précipita et vécut au milieu de l'épidémie, étonné lui-même, lorsqu'elle eut suspendu ses terribles ravages, de n'en avoir pas été frappé.

Alessandro Manzoni - Les Fiancés p.159 Chapitre XXXII. [Trad Auguste de Tillemont 1856 | disponible sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5848374v]

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s:mai 2013 Invitation 1

Alessandro Manzoni – La peste à Milan

Frédéric était pour ces ecclésiastiques un exemple. Après avoir vu périr autour de lui presque tous ses serviteurs, sollicité par sa famille, par les premiers magistrats, par des princes voisins, de se mettre à l'abri dans quelque campagne, il repoussa les instances avec un courage égal à celui qui lui faisait écrire aux curés de son diocèse : « Soyez prêts sans cesse à abandonner cette vie mortelle plutôt que ces infortunés qui sont nos enfants et notre famille ; allez avec amour au-devant des dangers, comme à une autre vie, comme à une récompense, puisqu'en les bravant vous pouvez conquérir une âme au royaume du Christ. » Il ne négligea aucune des précautions" compatibles avec ses devoirs ; il donna même à.ce sujet des instructions et des règles à son clergé; mais il ne s'inquiéta ni-ne parut s'apercevoir du péril partout où il fallait le braver, pour répandre des bienfaits ou procurer des secours. Il visitait les lazarets pour consoler lès malades et encourager ceux qui les assistaient; il parcourait la ville, portant des secours aux malheureux séquestrés dans leurs maisons, s'arrêtant aux portes, sous les fenêtres, pour entendre leurs plaintes, et leur donner en échange des paroles de consolation et d'encouragement. En un mot, il se précipita et vécut au milieu de l'épidémie, étonné lui-même, lorsqu'elle eut suspendu ses terribles ravages, de n'en avoir pas été frappé.

Alessandro Manzoni - Les Fiancés p.159 Chapitre XXXII. [Trad Auguste de Tillemont 1856 | disponible sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5848374v]

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s:mai 2013 Invitation 2

Madame de La Fayette – Passions éteintes

M. de Nemours pensa expirer de douleur en présence de celle qui lui parlait. Il la pria vingt fois de retourner à madame de Clèves, afin de faire en sorte qu’il la vît ; mais cette personne lui dit que madame de Clèves lui avait non seulement défendu de lui aller redire aucune chose de sa part, mais même de lui rendre compte de leur conversation. Il fallut enfin que ce prince repartît, aussi accablé de douleur que le pouvait être un homme qui perdait toutes sortes d’espérances de revoir jamais une personne qu’il aimait d’une passion la plus violente, la plus naturelle et la mieux fondée qui ait jamais été. Néanmoins il ne se rebuta point encore, et il fit tout ce qu’il put imaginer de capable de la faire changer de dessein. Enfin, des années entières s’étant passées, le temps et l’absence ralentirent sa douleur et éteignirent sa passion. Madame de Clèves vécut d’une sorte qui ne laissa pas d’apparence qu’elle pût jamais revenir. Elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse, et l’autre chez elle ; mais dans une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables.

Madame de La Fayette (18/03/1634-25/05/1693)— La Princesse de Clèves, 1678 (texte Lepetit, 1820, exipit (dernier §)

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s:mai 2013 Invitation 3

Henri Barbusse – Vision

Voilà que dans les lueurs sinistres de l’orage, au-dessous des nuages noirs échevelés, étirés et déployés sur la terre comme de mauvais anges, il leur semble voir s’étendre une grande plaine livide. Dans leur vision, des formes sortent de la plaine, qui est faite de boue et d’eau, et se cramponnent à la surface du sol, aveuglées et écrasées de fange, comme des naufragés monstrueux. Et il leur semble que ce sont des soldats. La plaine, qui ruisselle, striée de longs canaux parallèles, creusée de trous d’eau, est immense, et ces naufragés qui cherchent à se déterrer d’elle sont une multitude… Mais les trente millions d’esclaves jetés les uns sur les autres par le crime et l’erreur, dans la guerre de la boue, lèvent leurs faces humaines où germe enfin une volonté. L’avenir est dans les mains des esclaves, et on voit bien que le vieux monde sera changé par l’alliance que bâtiront un jour entre eux ceux dont le nombre et la misère sont infinis.

Henri Barbusse (17/05/1873-30/08/1935)- Le Feu, 1916 (fin du Ch I)

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s:mai 2013 Invitation 4

Jacques Delille - ô Virgile ! ô mon maître !

J’essayai d’imiter tes tableaux ravissants !
Que ne puis-je les rendre ainsi que je les sens !
Mais ils ont animé mes premières esquisses,
Et s’ils n’ont fait ma gloire, ils ont fait mes délices.
Ainsi, seul, à l’abri de mes rochers déserts,
Tandis que la discorde ébranlait l’univers,
Heureux, je célébrais, d’une voix libre et pure,
L’humanité, les champs, les arts et la nature.
Veuillent les dieux sourire à mes champêtres sons !
Et moi, puissé-je encor, pour prix de mes leçons,
Compter quelques printemps, et dans les champs que j’aime,
Vivre pour mes amis, mes livres et moi-même !

Jacques Delille (22/06/1738-02/05/1813) - L’Homme des champs, 1800 - Chant quatrième (derniers vers)

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s:mai 2013 Invitation 5

Bernard Clavel – Mauvais vent

L'aube se devinait à peine. Mathieu Guyon observa un moment le ciel de grisailles informes qui écrasait une lueur maladive. Le haut des monts disparaissait, englué dans ces nuées que le vent pétrissait. Mathieu pensa que cette aube annonçait de la pluie. Par-delà l'esplanade, derrière les maisons que la nuit noyait encore, le rougeoiement du grand feu que l'on entretenait, vers la porte de Bracon, dessinait l'angle aigu des toits. Le vent rabattait la fumée dont l'odeur âcre venait parfois jusque-là. Mathieu la respira à petits coups et grogna :

– Doivent plus avoir assez de genévrier, voilà qu'ils brûlent du sapin.

Ce vent qui semblait arriver sur la ville en suivant le cours de la Furieuse était froid. Il enveloppait le torse nu et ruisselant de Mathieu qui grommela :

– Ces vents de rivière, c'est tout mouillé. Je le sens bien... Ce sont ces vents-là qui apportent le mal. Ils ont traîné toute la nuit au fond de la vallée à ramasser des miasmes... Peut rien y avoir de bon là au fond. Ma mère le disait : Jamais ni bonnes gens ni bon vent ne sont sortis de là-dedans.

Bernard Clavel (29/05/1923-05/10/2010) – La saison des loups (éd Robert Laffont, 1976 – incipit)