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Yann Andréa - C'est la vie

Je fais le tour du cimetière, je lis les noms et les dates, les deux dates, la naissance, la mort, je regarde tous ces monuments, toutes ces plaques, tous ces gens nommés. Tout ce chagrin que je ne connais pas. Tous ces gens morts et enterrés et tous les autres qui vont venir, ceux qui sont autour du cimetière, dans la ville, ceux qui s'aiment, qui sourient, et tous les autres qui souffrent, tant de mal à vivre, ceux qui se lèvent le matin avec peine, ces gens qui font quoi de leur vie, je vous le demande, qui font rien, ils attendent sans le savoir vraiment le jour de leur mort, comme un soulagement peut-être, on ne sait pas, ils sont dans la ville, ils boivent des verres dans ce quartier de Montparnasse, le Rosebud, le Select, plus loin sur le boulevard la Closerie des Lilas.

Yann Andréa - Cet Amour-là (éd. Pauvert. 1999) - (page 159)

s:juin 2011 Invitation 1

Elizabeth Barrett Browning - Si tu dois m´aimer

Si tu dois m'aimer, que ce soit pour rien
Sinon pour l'amour en soi. Ne dis pas
"Je l'aime pour son sourire ... son allure ... sa façon
De parler si douce ... sa finesse de pensée
Qui convient à la mienne, et suscita
Tel jour un bien-être fugitif et charmant" --
Car ces choses en elles-mêmes, Aimé, peuvent
Changer, ou changer pour toi -- et l'amour
Ainsi construit peut être ainsi détruit.
Ne m'aime pas par pitié pour mes larmes, --
Qui jouit longtemps de ton soutien pourrait
Sécher ses pleurs, et perdre ton amour !
Mais aime-moi pour l'amour en soi, pour
Qu'à jamais tu m'aimes, d'un amour sans fin.

Elizabeth Barrett Browning (6/03/1806-29/06/1861) - Sonnets portugais (Sonnet 14). (Poésie/Gallimard, 1994. Traduction de Lauraine Jungelson)

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texte original [1]

s:juin 2011 Invitation 2

Georges Feydeau – Dans le grand monde

Étienne (le valet de chambre) : « Oh ! mais je bâille à me décrocher la mâchoire ; ça vient peut-être de l’estomac… Je demanderai cela à monsieur. Ah ! voilà l’agrément d’être au service d’un médecin !… on a toujours un médecin à son service… et pour moi qui suis d’un tempérament maladif… nervoso-lymphatique, comme dit monsieur. Oui, je suis très bien ici. J’y étais encore mieux autrefois, il y a six mois… avant le mariage de monsieur. Mais il ne faut pas me plaindre, madame est charmante !… et étant donné qu’il en fallait une, c’était bien la femme qui nous convenait… à monsieur et à moi !… Allons, il est temps de réveiller monsieur. Quelle drôle de chose encore que celle-là !… la chambre de monsieur est ici et celle de madame, là. On se demande vraiment pourquoi on se marie ?… Enfin il paraît que ça se fait dans le grand monde. »

Georges Feydeau (8/12/1862-5/06/1921) - Tailleur pour dames (1886) (acte I, scène 1)

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s:juin 2011 Invitation 3

Harriet Beecher Stowe - Notre bon oncle Tom

George Shelby fit alors un court récit de sa mort, et parla de ses souvenirs affectueux pour tous ses anciens compagnons : « C’est sur sa tombe, mes amis, que j’ai pris, devant Dieu, la résolution de ne jamais plus posséder un esclave, tant qu’il me sera possible de l’affranchir. J’ai juré que personne, du moins par ma faute, ne courrait désormais le risque d’être arraché à sa maison, aux siens, et d’aller mourir, comme il est mort, seul sur une plantation isolée. Ainsi, en vous réjouissant de votre liberté, pensez que vous la devez à cette bonne et belle âme, et acquittez-vous envers elle à force de tendresse pour sa femme et ses enfants. Songez à la joie d’être libres chaque fois que vous verrez LA CASE DE L’ONCLE TOM, et qu’elle réveille en vous tous l’envie de suivre ses traces, d’être comme lui un honnête, un fidèle, un vaillant chrétien. »

Harriet Beecher Stowe (14/06/1811-01/07/1896) - La Case de l'oncle Tom (1852) (exipit, fin du ch. XLV)

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s:juin 2011 Invitation 4

Yann Andréa - C'est la vie

Je fais le tour du cimetière, je lis les noms et les dates, les deux dates, la naissance, la mort, je regarde tous ces monuments, toutes ces plaques, tous ces gens nommés. Tout ce chagrin que je ne connais pas. Tous ces gens morts et enterrés et tous les autres qui vont venir, ceux qui sont autour du cimetière, dans la ville, ceux qui s'aiment, qui sourient, et tous les autres qui souffrent, tant de mal à vivre, ceux qui se lèvent le matin avec peine, ces gens qui font quoi de leur vie, je vous le demande, qui font rien, ils attendent sans le savoir vraiment le jour de leur mort, comme un soulagement peut-être, on ne sait pas, ils sont dans la ville, ils boivent des verres dans ce quartier de Montparnasse, le Rosebud, le Select, plus loin sur le boulevard la Closerie des Lilas.

Yann Andréa - Cet Amour-là (éd. Pauvert. 1999) - (page 159)

s:juin 2011 Invitation 5

Maylis de Kerangal - Lignes de fuite

Le pont inachevé est massif dans la nuit, une présence monstrueuse, très noire, Waldo le dévisage à voix basse, l'éclairage de nuit ne doit pas être trop fort, trop spectaculaire, Georges, je ne veux pas du sabre de flamme, de faisceaux qui sculptent, d'ampoules qui appuient, toute cette saloperie de grandiloquence, les tours ne seront pas éclairées jusqu'au sommet afin qu'on puisse penser qu'elles se prolongent dans la nuit, le tablier sera un simple trait comme une ligne de fuite, et on réglera la balance entre les ombres, entre les différentes qualités d'ombre, on fera toucher les matières, le fleuve, la ville, la forêt et, pour le pont, je veux seulement que l'on sente la force dans les câbles. Diderot écoute la voix de l'architecte coulée dans la rumeur de Coca et celle de la forêt, et retient Waldo qui se penche dangereusement au-dessus des eaux, à force de ne rien voir, le fait pivoter en douceur afin qu'ils s'en retournent ensemble, et lui glisse à l'oreille, pour l'éclairage nocturne, pas de problème, pour ça aussi, j'ai les plans.

Maylis de Kerangal - Naissance d'un pont (éditions Gallimard, 2010) (page 207)