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Olivier Rolin - Rugissements

Le Grand Absinthier est le premier à reprendre ses esprits. Nina ! Que lui est-il arrivé ? Un vampire, un loup-garou ? Un orang-outang, comme dans cette histoire d'Edgar Poe qu'a traduite Baudelaire ? Il court dans la maison, suivi par les plus courageux, Richepin, Manet, Villiers...Ce qu'ils découvrent dans le boudoir les laisse effarés, bientôt hilares. Le chasseur de lions, à genoux, la tête coincée dans l'arrosoir. À rebours, ses oreilles ne passent pas. Il ne rugit plus, il beugle plutôt. C'est un Minotaure. Il secoue le casque dont il tente vainement de s'extraire. C'est un gladiateur. Chacun accourt, à présent que les éclats de rire qui proviennent de l'intérieur de la maison apprennent qu'il n'y a pas de danger. Jamais on n'a vu chez Nina spectacle aussi drôle. À quatre pattes, l'énorme convive hoche de droite et de gauche son mufle de métal gris, sur quoi le bec de l'arrosoir plante comme une corne. « Un rhinocéros ! » s'esclaffe Richepin. C'est une révélation, tous scandent : « Le rhinocéros ! Le rhinocéros ! »

Olivier RolinUn chasseur de lions (éditions du Seuil, 2008 - page198)

s:juillet 2009 Invitation 1

Jean Cocteau - Rien ne m'effraye plus

Rien ne m'effraye plus que la fausse accalmie
D'un visage qui dort
Ton rêve est une Égypte et toi c'est la momie
Avec son masque d'or
Où ton regard va-t-il sous cette riche empreinte
D'une reine qui meurt,
Lorsque la nuit d'amour t'a défaite et repeinte
Comme un noir embaumeur?
Abandonne ô ma reine, ô mon canard sauvage,
Les siècles et les mers;
Reviens flotter dessus, regagne ton visage
Qui s'enfonce à l'envers.

Jean Cocteau - Plain-chant (éd. Gallimard, 1923)

s:juillet 2009 Invitation 2

Comtesse de Ségur - Cadichon

Je ne me souviens pas de mon enfance; je fus probablement malheureux comme tous les ânons, joli, gracieux comme nous le sommes tous; très certainement je fus plein d’esprit, puisque, tout vieux que je suis, j’en ai encore plus que mes camarades. J’ai attrapé plus d’une fois mes pauvres maîtres, qui n’étaient que des hommes, et qui, par conséquent, ne pouvaient pas avoir l’intelligence d’un âne.

Je vais commencer par vous raconter un des tours que je leur ai joués dans le temps de mon enfance.

Les hommes n’étant pas tenus de savoir tout ce que savent les ânes, vous ignorez sans doute, vous qui lisez ce livre, ce qui est connu de tous les ânes mes amis : c’est que tous les mardis il y a dans la ville de Laigle un marché où l’on vend des légumes, du beurre, des œufs, du fromage, des fruits et autres choses excellentes. Ce mardi est un jour de supplice pour mes pauvres confrères; il l’était pour moi aussi avant que je fusse acheté par ma bonne vieille maîtresse, votre grand’mère, chez laquelle je vis maintenant. J’appartenais à une fermière exigeante et méchante...

Comtesse de Ségur (19/07/1799 - 1874) - Mémoires d'un âne (1860)

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s:juillet 2009 Invitation 3

Primo Levi – Entrée dans les ténèbres

Leurs femmes, silencieuses et rapides, eurent fini avant toutes les autres les préparatifs de voyage, afin qu'il restât du temps pour célébrer la deuil ; et lorsque tout fut prêt, les galettes cuites et les paquets ficelés, alors elles de déchaussèrent et dénouèrent leurs cheveux ; elles disposèrent sur le sol les cierges funéraires, les allumèrent selon le rite des ancêtres et s'assirent en rond par terre pour les lamentations, et toute la nuit elles prièrent et pleurèrent. Nous demeurâmes nombreux à leur porte, et nous sentîmes alors descendre dans notre âme, nouvelle pour nous, l'antique douleur du peuple qui n'a pas de patrie, de la douleur sans espoir de l'exode que chaque siècle renouvelle.

L'aube nous prit en traître ; comme si le soleil naissant se faisait le complice de ces hommes qui avait résolu de nous exterminer. Les divers sentiments qui nous agitaient, l'acceptation consciente, la révolte sans issue, l'abandon à Dieu, la peur, le désespoir, se fondaient maintenant, après une nuit d'insomnie, en une irrépressible folie collective.

Primo Levi (31/07/1919 - 1987) – Si c'est un homme (éd. Julliard, 1987 – page 14)

s:juillet 2009 Invitation 4

Ernest Hemingway – Le grand combat

Il rassembla ce qui lui restait de force, de courage et de fierté ; il jeta tout cela contre l'agonie du poisson. Celui-ci s'approcha de la barque ; il nageait gentiment tout près de vieux, son nez touchait le plat-bord.

Il se préparait à dépasser le bateau. C'était une longue bête argentée aux rayures pourpres, épaisse, large. Dans l'eau, il semblait interminable.

Le vieux lâcha la ligne et mit son pied dessus. Il souleva le harpon aussi haut qu'il put. De toutes ses force, augmentées de la force nouvelle qu'il venait d'invoquer, il le planta dans le flanc du poisson, derrière la grande nageoire pectorale qui se dressait en l'air à la hauteur de sa poitrine. Il sentit le fer entrer, s'appuya et pesa de tout son poids pour qu'il pénétrât jusqu'au fond.

Le poisson, la mort dans le ventre, revint à la vie. Dans un ultime déploiement de beauté et de puissance, ce géant fit un bond fantastique. Pendant un instant, il resta comme suspendu en l'air au-dessus du vieil homme et de la barque. Enfin il s'écrasa lourdement dans la mer.

Ernest Hemingway (21/07/1899 - 1961) – Le Vieil Homme et la Mer (éd. Gallimard, 1952 – page 91)

s:juillet 2009 Invitation 5

Olivier Rolin - Rugissements

Le Grand Absinthier est le premier à reprendre ses esprits. Nina ! Que lui est-il arrivé ? Un vampire, un loup-garou ? Un orang-outang, comme dans cette histoire d'Edgar Poe qu'a traduite Baudelaire ? Il court dans la maison, suivi par les plus courageux, Richepin, Manet, Villiers...Ce qu'ils découvrent dans le boudoir les laisse effarés, bientôt hilares. Le chasseur de lions, à genoux, la tête coincée dans l'arrosoir. À rebours, ses oreilles ne passent pas. Il ne rugit plus, il beugle plutôt. C'est un Minotaure. Il secoue le casque dont il tente vainement de s'extraire. C'est un gladiateur. Chacun accourt, à présent que les éclats de rire qui proviennent de l'intérieur de la maison apprennent qu'il n'y a pas de danger. Jamais on n'a vu chez Nina spectacle aussi drôle. À quatre pattes, l'énorme convive hoche de droite et de gauche son mufle de métal gris, sur quoi le bec de l'arrosoir plante comme une corne. « Un rhinocéros ! » s'esclaffe Richepin. C'est une révélation, tous scandent : « Le rhinocéros ! Le rhinocéros ! »

Olivier RolinUn chasseur de lions (éditions du Seuil, 2008 - page198)