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Agustín Gómez-Arcos — Punk

Un couple ultra-moderne surgit de cette voiture mortuaire digne d’un roi ; en apparence, il s’agit d’une fille et d’un garçon, mais Paula n’en jurerait pas. [...] Quant au garçon, il porte une veste gris anthracite, chatoyante à souhait, et un pantalon bleu marine à rayures blanches, le tout large et dégringolant ; il semble se protéger des intempéries à l’aide d’un imper artistement troué de brûlures de cigarette ; chaussures à semelles de crêpe, chaussettes blanches ; il s’est bijouté de la tête aux pieds avec de grosses épingles à nourrice, une orgie en Technicolor fait flamber ses cheveux : chaque mèche arbore une tonalité différente, rouge, bleue, verte, violette, jaune, orangée et même blanche. Heureux croisement d’humanoïde et de perroquet, pense Paula, ou malade atteint du syndrome de l’arc-en-ciel ? Son énorme radio-cassette tonitrue un requiem de Mozart orchestré en rock dur ; ses lunettes noires ressemblent à celles de mademoiselle Martin. Celle-ci n’en croit pas ses yeux.

Agustín Gómez-ArcosUn oiseau brûlé vif (1984, éd. du Seuil).

s:avril 2011 Invitation 1

Charles Baudelaire — Le Balcon

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
Que ton sein m’était doux ! que ton cœur m’était bon !
Nous avons dit souvent d’impérissables choses
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l’espace est profond ! que le cœur est puissant !
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

Charles Baudelaire (9/4/1821 – 31/8/1867) — Les Fleurs du mal (1857, pièce XXXVI : Le Balcon).

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s:avril 2011 Invitation 2

Aloysius Bertrand — À M. David, statuaire

Non, Dieu, éclair qui flamboie dans le triangle symbolique, n’est point le chiffre tracé sur les lèvres de la sagesse humaine !

Non, l’amour, sentiment naïf et chaste qui se voile de pudeur et de fierté au sanctuaire du cœur, n’est point cette tendresse cavalière qui répand les larmes de la coquetterie par les yeux du masque de l’innocence !

(…) Et j’ai prié, et j’ai aimé, et j’ai chanté, poète pauvre et souffrant ! Et c’est en vain que mon coeur déborde de foi, d’amour et de génie !

C’est que je naquis aiglon avorté ! L’œuf de mes destinées, que n’ont point couvé les chaudes ailes de la prospérité, est aussi creux, aussi vide que la noix dorée de l’Égyptien.

Ah ! l’homme, dis-le-moi, si tu le sais, l’homme, frêle jouet, gambadant suspendu aux fils des passions, ne serait-il qu’un pantin qu’use la vie et que brise la mort ?

Aloysius Bertrand (20/4/1807 – 29/4/1841) — Gaspard de la nuit (1842, dernier poème).

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s:avril 2011 Invitation 3

Hervé Bazin — Folcoche

Âgée, à la même époque, de trente-cinq ans, madame mère avait dix ans de moins que son mari et deux centimètres de plus. Née Pluvignec, je vous le rappelle, de cette riche, mais récente maison Pluvignec, elle était devenue complètement Rezeau et ne manquait pas d’allure. On m’a dit cent fois qu’elle avait été belle. Je vous autorise à le croire, malgré ses grandes oreilles, ses cheveux secs, sa bouche serrée et ce bas de visage agressif qui faisait dire à Frédie toujours fertile en mots : « Dès qu’elle ouvre la bouche, j’ai l'impression de recevoir un coup de pied au cul. Ce n’est pas étonnant avec ce menton en galoche. » Outre notre éducation, Mme Rezeau aura une grande passion : les timbres. Outre ses enfants, je ne lui connaîtrai que deux ennemis : les mites et les épinards. Je ne crois rien pouvoir ajouter à ce tableau, sinon qu’elle avait de larges mains et de larges pieds, dont elle savait se servir.

Hervé Bazin (17/4/1911 – 17/2/1996) — Vipère au poing (1948, éd. LGF, coll. Le Livre de poche).

s:avril 2011 Invitation 4

Michel Leiris — Autoportrait

Je viens d’avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taille moyenne, plutôt petit. J’ai des cheveux châtains coupés court afin d’éviter qu’ils ondulent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisse en juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très droite, tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l’on en croit les astrologues) des personnes nées sous le signe du Taureau ; un front développé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cette ampleur de front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe du Bélier ; et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes : le Bélier et le Taureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé ; mon teint est coloré ; j’ai honte d’une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peau luisante.

Michel Leiris (20/4/1901 – 30/09/1990) — L’Âge d’homme (1939, éd. Gallimard, coll. Folio).

s:avril 2011 Invitation 5

Agustín Gómez-Arcos — Punk

Un couple ultra-moderne surgit de cette voiture mortuaire digne d’un roi ; en apparence, il s’agit d’une fille et d’un garçon, mais Paula n’en jurerait pas. [...] Quant au garçon, il porte une veste gris anthracite, chatoyante à souhait, et un pantalon bleu marine à rayures blanches, le tout large et dégringolant ; il semble se protéger des intempéries à l’aide d’un imper artistement troué de brûlures de cigarette ; chaussures à semelles de crêpe, chaussettes blanches ; il s’est bijouté de la tête aux pieds avec de grosses épingles à nourrice, une orgie en Technicolor fait flamber ses cheveux : chaque mèche arbore une tonalité différente, rouge, bleue, verte, violette, jaune, orangée et même blanche. Heureux croisement d’humanoïde et de perroquet, pense Paula, ou malade atteint du syndrome de l’arc-en-ciel ? Son énorme radio-cassette tonitrue un requiem de Mozart orchestré en rock dur ; ses lunettes noires ressemblent à celles de mademoiselle Martin. Celle-ci n’en croit pas ses yeux.

Agustín Gómez-ArcosUn oiseau brûlé vif (1984, éd. du Seuil).