Utilisateur:SimoneWeil'sGlasses

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Université de Montréal, FRA3314 - Littérature et philosophie.

Compte-rendu d'expérience[modifier | modifier le code]

Wikipédia est dans un état de devenir constant. Infini, peut-on dire. Et contrairement aux encyclopédies livresques qui, depuis le XVIIIe siècle, veulent nous donner l'illusion d'une finitude, Wikipédia prend acte de sa propre impuissance en substituant les mains de l'humanité à celles d'autorités chouineuses et poussiéreuses, habituées à éructer leurs vues monolithiques et, parie-t-on, bourgeoises à souhait. Ici, n'est maître que celui qui est un bon usager, qui sait s'y prendre.

Et franchement, la chose n'est pas si facile que ça. Prenons un seul aspect, un seul : celui du « travail inédit ». La page consacrée à ce bandeau nous indique que tout travail non sourcé (qu'il s'agisse d'une synthèse ou d'une proposition nouvelle) est un travail inédit, et par conséquent ne correspond pas à la visée encyclopédique de Wikipédia. Or il m'apparaît évident que toute page Wikipédia se veut une synthèse inédite d'informations compilées de diverses manières et pour différentes raisons. Il me semble que Wikipédia n'ait pas tant réfléchi à l'aspect inédit et, pire, subjectif des formes a priori objectives (catalogue, compilation, encyclopédie) : le choix de sous-sections, leur ordre même, leur quantité, sont en eux-mêmes des travaux inédits infusés d'une certaine subjectivité. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de consacrer une page à une œuvre littéraire. Où se réfréner, devant l'art ? Quels choix relèvent du contact entre notre subjectivité et l'objet d'art, quels choix sont purement dictés par l'objet ? Et surtout : comment prétendre à l'exhaustivité, et selon quel principe ? Ce sont des interrogations majeures, qui relèvent de l'esthétique, et auxquelles Wikipédia ne s'arrête pas le moins du monde.

Bref, cette question du travail inédit suscite, à mon sens, une question plus englobante : Wikipédia informe-t-il, ou désinforme-t-il ? Pour le dire autrement, et d'une manière qui sied mieux à notre cas : Wikipédia rend-il les œuvres plus présentes, plus évidentes, ou les rend-il plus inaccessibles en refusant d'assumer le caractère subjectif de la synthèse même, donc de la forme encyclopédique ? On peut se dire, en se réconfortant : « Wikipédia n'est qu'un point de départ ; on ne doit pas s'y limiter, mais le prendre comme un tremplin vers plus de savoir, vers un savoir plus approfondi. » Mais toute connaissance n'est-elle pas orientée par le point d'où elle émerge ? Le lecteur peut-il se contenter de la synthèse des autres - donc se condamner à toujours emprunter les mêmes chemins que les autres -, ou devrait-il lui-même devenir un faiseur de synthèses ?

La formule Wikipédia résout, mais de manière partielle, ce problème : tout le monde peut y participer. Tout le monde, en ce sens, est appelé à devenir faiseur, et non seulement lecteur. Pour participer à Wikipédia, il faut, en effet, déjà avoir intériorisé le sujet qui nous intéresse ; déjà se l'être approprié : on se fait déjà soi-même, en quelque sorte, encyclopédie. Il faudrait donc que chaque lecteur se comporte en utilisateur : qu'il sente l'appel de chaque article, qu'il entende son cri d'embryon : « Je ne suis pas fait. Il faut que tu me fasses. »

Que chaque lecteur accepte le caractère infiniment médiocre de Wikipédia qui ne parviendra jamais à l'objectivité, encore moins à l'exhaustivité. Wikipédia ne peut être qu'un terrain intermédiaire, de conflit, peut-être d'entente, entre les subjectivités, tout simplement parce que la connaissance ne peut pas se débarrasser de son cadre d'émergence qu'est la subjectivité.